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Le pragmatisme du nettoyage ethnique

lundi 22 décembre 2008 - 16h:20

Steven Salaita - The Electronic Intifada

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Israël est en train de nettoyer ethniquement les Palestiniens. Il n’y a rien à tolérer au sujet du nettoyage ethnique, c’est un processus profondément violent. Il est donc moralement douteux de sacrifier les Palestiniens (en particulier) au pragmatisme électoral américain.

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Hébron, décembre 2008 - Un soldat des troupes israéliennes d’occupation s’apprête comme à l’habitude à tirer à balles réelles sur des manifestants palestiniens - Photo : Mamoun Wazwaz/MaanImages

La victoire électorale de Barack Obama a inspiré énormément de commentaires, la plupart euphoriques, avec malgré tout certains maugréant depuis la droite de l’échiquier politique, et quelques secteurs de gauche qui ne se laissent pas impressionner ; aussi je suis hésitant à contribuer à ces réticences. Il y a cependant un élément de la victoire d’Obama qui a suscité moins d’attention qu’il ne le mérite, et qui est son engagement profond dans une forme extrême de sionisme. Je ne souhaite pas consacrer tout cet article à condamner Obama pour cet engagement ; je l’ai déjà fait par ailleurs, et d’autres ont déjà publié d’éloquentes condamnations, bien qu’une telle possibilité ne soit pas encore parvenue à s’imposer dans la gauche libérale.

Pour être tout à fait clair, je n’emploie pas l’expression « forme extrême de sionisme » pour son effet rhétorique. Je l’emploie sobrement et dans son sens littéral. Les communiqués d’Obama durant sa campagne le situent clairement dans une perspective sioniste de droite, sur le plan politique comme philosophique. A l’occasion par exemple de son discours à la convention de 2008 de l’AIPAC, le lobby belliciste pro-israélien, Obama a promis : « je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour empêcher l’Iran d’obtenir une arme nucléaire. Tout ce qui est en mon pouvoir. Tout. » Plus tard, il a encore dit : « il était juste que quelques années après la libération des camps [de concentration nazis], David Ben-Gourion ait déclaré la fondation de l’état juif d’Israël. Nous savons que l’établissement d’Israël était juste et nécessaire, enraciné dans des siècles de lutte et des décennies d’un patient travail, mais 60 ans après nous savons que nous ne pouvons pas nous relâcher, nous ne pouvons pas manquer de vigilance, et en tant que Président je ne ferai jamais de compromis quand il sera question de la sécurité d’Israël. »

Ces commentaires sont notables pour leur férocité implicite. Obama exprime non seulement sa fidélité devant le lobby pro-israélien, mais il refuse également de fixer la moindre limite à ce qu’il considérerait comme un comportement israélien acceptable. « Tout, » après tout, est un engagement remarquablement étendu.

Plutôt que de condamner le sionisme d’Obama, je voudrais me concentrer sur les justifications et les rationalisations liées à sa décision, particulièrement celles qui écartent toute implication morale et soulignent au contraire ce que ses pourvoyeurs [le lobby pro-israélien] prétendent être la stratégie à laquelle il ne peut échapper. J’ai vu d’innombrables fois sur Internet et ai entendu encore plus souvent des variations de l’argument suivant : « Obama a été au-devant des souhaits du lobby pro-israélien afin d’être élu ; ceci fait partie de la politique présidentielle aux Etats-Unis. »

Des commentateurs plus insistants expliquent qu’il serait idiot d’agir autrement, un point de vue développé par la romancière et « bloggeuse » Laila Lalami : « Pendant les primaires, j’ai été souvent étonnée d’être sur le point de penser que Barack Obama signifiait le statu quo, simplement parce qu’il n’était pas assez progressiste. Naturellement Obama n’était pas assez progressiste. » D’un air suffisant d’autres libéraux accusent de purisme les sceptiques vis-à-vis d’Obama, qu’ils présentent comme incapables de discussions politiques sérieuses.

Décortiquons certains de ces discours. La première chose que je voudrais relever est que critiquer Obama de ne pas être assez progressif n’est pas la même chose que l’associer avec le statu quo, bien qu’un tel argument ait l’apparence de l’évidence. Il n’est pas non plus automatiquement naïf de suggérer que le sionisme flagorneur d’Obama puisse être expliqué. Dire qu’Obama a dû plaire aux fanatiques sionistes afin de pouvoir être élu pourrait être vrai (mais cependant pas certain), mais les partisans de cette explication supposent que l’élection d’Obama serait plus importante que les politiques qu’il a prétendu soutenir. Ils supposent également que les critiques d’Obama ont mal compris ses motivations, qui étaient de gagner les faveurs d’une multitude qui l’aiderait ensuite à atteindre son but qui était de devenir président.

Je ne peux pas parler pour d’autres critiques d’Obama, mais je suis bien conscient du fait que des élections américaines sont organisées de telle manière que certains groupes doivent être neutralisés, les sionistes étant l’un d’entre eux (les corporations et les fabricants d’armes en étant d’autres). Je me rends également compte qu’aucun candidat présidentiel ne sera progressiste comme il devrait l’être, parce que les vrais progressistes ne remportent pas d’élections présidentielles aux Etats-Unis. Ce n’est pas un manque de compréhension qui m’amène à critiquer le fait qu’Obama courtise des colonisateurs, mais un choix personnel en faveur de ceux qui souffrent des politiques américaines vicieuses qui sortent renforcées de la culture électorale américaine.

Israël est en train de nettoyer ethniquement les Palestiniens. Il n’y a rien à tolérer au sujet du nettoyage ethnique, c’est un processus profondément violent. Il est donc moralement douteux de sacrifier les Palestiniens (en particulier) au pragmatisme électoral américain.

Si nous voulons la justice dans le monde, alors les élections présidentielles américaines ne sont pas le meilleur endroit pour y consacrer de l’énergie. Le problème vient de la structure même du système électoral, qui est la raison pour laquelle ceux qui espèrent changer le monde sont forcés d’abandonner leurs principes moraux les plus basiques quand ils s’investissent dans des campagnes nationales. Ces personnes finissent par mettre en avant un sens des objectifs profondément mal placé.

Dans l’élection la plus récente, ils ont été forcés de reconnaître que les Afghans pouvaient faire face à une occupation militaire bien plus destructive et que les Palestiniens continueront à souffrir de ce qui est devenu maintenant une catastrophe humanitaire. Cette concession peut être quelque chose avec laquelle ils sont disposés à vivre, mais nous devrions nous rappeler que les Afghans et les Palestiniens n’ont aucun choix. Ils doivent accepter les conséquences du pragmatisme électoral américain qui dicte que certains centres de pouvoir doivent demeurer inébranlables. Ces centres incontestables de pouvoir agissent également contre le bien-être de la grande majorité des électeurs américains, ce qui relève de leur génie particulier. [...]

Antonio Gramsci a évalué avec art ces phénomènes il y a plusieurs décennies, dans sa théorie sur l’hégémonie, un mot généralement mal utilisé de nos jours. Gramsci a développé la notion de consentement que Noam Chomsky s’appropriera ensuite et rendra populaire. Parmi beaucoup d’éléments pertinents de la pensée de Gramsci, celui le plus approprié concerne son observation de la façon dont une communauté donnée considère automatiquement comme « sens commun » ce qui recouvre en réalité les intérêts de l’élite de la même communauté. Le bon sens n’est alors pas un phénomène intuitif et évident en soi, mais une formulation qui résulte d’un processus complexe dans lequel les conceptions populaires du bien-être d’une société se mettent à coïncider avec les besoins de qui est riche et puissant.

Ignorer les pires volte-face électorales d’Obama n’était alors ni du sens commun ni inévitable du tout. C’était lié au fait d’accepter le nettoyage ethnique comme une réalité politique américaine. Je doute que les « pragmatiques » d’Obama auraient été des avocats aussi actifs du réalisme électoral s’ils étaient, comme les Palestiniens, chassés de leurs maisons et confinés dans des ghettos.

Si les lecteurs peuvent excuser l’hyperbole, je fais simplement une remarque morale de base : il y a de vrais humains avec des sentiments, des familles et des aspirations qui sont confrontés avec des réalités brutales produites par notre abandon de toute probité morale quand nous faisons le choix de nous soumettre aux limites électorales que les puissants nous ont imposées.

J’espère que mes compatriotes se rappelleront que le vote lui-même ne constitue pas une action ; le travail doit être effectué en dehors de ces appareils d’État. Je me rends bien compte que la seule action demandée aux citoyens pendant quatre années, c’est encore et toujours de voter, alors que voter est un acte de légitimation et non pas de changement, bien qu’il représenterait le pinacle de la responsabilité civique. (Pour être juste, c’est vrai dans la mesure où la responsabilité civique telle qu’elle est définie par les médias dominants est d’être un bon citoyen, du type de celui qui ne va pas en semant des troubles en faisant des choses comme penser de manière critique et contester les injustices du système.)

Une petite nouvelle encourageante est le fait que les Palestiniens sont mieux informés. Un certain nombre d’enquêtes d’opinion, dont plusieurs récemment réalisées par le « Jerusalem Media and Communication Center », prouvent que les Palestiniens « pensent que l’élection de Barack Obama comme président des Etats-Unis n’aura aucun impact sur les chances d’une solution au conflit avec Israël ». Au lieu de sacrifier les Palestiniens à leurs fétiches libéraux, peut-être les apologistes d’Obama devraient juste la fermer un instant et les écouter.

* Steven Salaita a écrit The Uncultured Wars : Arabs, Muslims, and the Poverty of Liberal Thought. Cet article a été à l’origine édité par http://www.antiwar.com et est republié avec la permission de l’auteur.

15 décembre 2008 - The Electronic Intifada - Vous pouvez consulter cet article à :
http://electronicintifada.net/v2/ar...
Traduction de l’anglais : Nazim


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