Un cheval de Troie... israélien - 2° partie
vendredi 17 octobre 2008 - 07h:23
Christopher Ketcham - Counterpunch
Voici de quelle façon la technologie de contrôle à distance[israélienne] a pénétré le système des télécommunications gouvernementales américaines, en portant atteinte à la sécurité nationale des Etats-Unis.
(suite)
La Calea Connection
Aucun des problèmes de la police judiciaire américaine avec Amdocs et Verint n’aurait pu se produire sans les changements apportés par le Communication Assistance for Law Enforcement Act [dont l’acronyme est CALEA] de 1994 [décret relatif à l’assistance en matière de communications à l’usage de la police judiciaire], lequel, comme cela a été relevé, visait à installer des logiciels d’espionnage dans les réseaux de télécommunications. Le Calea, pour citer la littérature, requiert que les transports terrestres, les services de téléphonie mobile et d’autres entités de télécommunications permettent au gouvernement d’intercepter « toutes les communications filaires et orales acheminées par le routeur, en même temps qu’il les transmet ». La technologie T2S2 remplit parfaitement ce contrat : branché sur le réseau, le T2S2 dérive la ligne sans interrompre le moins du monde le flux de données (une bifurcation T2S2 est considérée virtuellement indétectable). Une moitié de la ligne ainsi dédoublée est enregistrée et stockée dans un centre d’écoutes éloigné ; l’autre moitié continue son petit bonhomme de chemin, depuis votre bouche ou votre clavier jusqu’à ceux de votre copain. (Qu’est-ce donc que ce « T2S2 » ? Pour simplifier : un ordinateur, S2, collecte les données et il les encrypte ; quant à l’ordinateur T2, il les reçoit, et il les décrypte.)
Calea fut salué comme un triomphe de la légalité, comme l’ ?uvre de décennies de lobbying du FBI. Son directeur, Louis Freeh, alla jusqu’à le qualifier de « plus haute priorité législative » du « bureau ». De fait, Calea était l’expansion la plus étendue des pouvoirs de surveillance électronique du gouvernement depuis le Crime Control and Safe Streets Act de 1968 [Décret sur le contrôle des armes et la sécurité urbaine], qui imposait des conditions définies avec un soin extrême aux écoutes téléphoniques. Aujourd’hui, le gouvernement pourrait user de pouvoirs coercitifs pour ordonner aux opérateurs téléphoniques d’ « inventer des solutions » aux « problèmes générés par les technologies émergentes » auxquels la police judiciaire pourrait être confrontée (en imposant notamment une pénalité de 10 000 dollars par jour aux opérateurs récalcitrants). La main du gouvernement serait en permanence insérée dans le réseau de l’infrastructure des télécommunications du pays. Le professeur de droit Lillian BeVier, de l’Université de la Virginie, écrit des analyses très développées sur les problèmes inhérents à ce décret Calea.
« Le scénario idyllique imaginé par les législateurs ne sauraient survivre à un instant de réflexion », observe Mme BeVier. « Bien qu’il soit présenté de manière conventionnelle comme rien d’autre que « le dernier chapitre dans l’histoire longue de trente ans de la législation fédérale des écoutes téléphoniques », Calea n’est pas simplement la banale installation d’une évolution statutaire motivée technologiquement. Non, en termes de nature et d’ampleur des intérêts que ce décret a tendance à « servir » et de l’industrie qu’il vise à réguler, en termes de degré avec lequel il a tendance à imposer des solutions du secteur privé à des problèmes du secteur public, et en termes de l’emprise qu’il donne au gouvernement, qui lui permet de contrôler le tracé des réseaux de télécommunications, cet Acte représente un glissement paradigmatique. De plus, si on l’examine de près et de manière objectivement désintéressée, le décret Calea apparaît comporter des sacrifices potentiellement abusifs des principes de la vie privée, ainsi que des conceptions viciées et incomplètes des fins et des moyens de la police judiciaire, ainsi qu’une appréciation imparfaite des intéressements incompatibles des acteurs dans le jeu qui serait inévitablement joué dès lors qu’on le mettrait en ?uvre ».
La réelle innovation - et le danger - de Calea réside dans le fait que les réseaux de télécommunications, de nos jours, sont configurés de telle manière qu’ils sont vulnérables à l’espionnage ou au flicage. « Nous avons délibérément affaibli les réseaux téléphoniques et internet, les rendant bien moins sûrs, bien plus vulnérables à la fois à la surveillance légale et aux intrusions (hacking) illégales », dit le procureur spécialisé dans les crimes cybernétiques du DOJ [Department of Justice] Mark Rasch.
« Tout le monde est plus ou moins sûr, dans ses communications, depuis l’adoption du décret Calea. Alors, comment allez-vous faire pour avoir des communications sécurisées ? Vous devrez sécuriser les communications elles-mêmes, puisque vous ne pouvez pas sécuriser le réseau. Pour ce faire, vous avez besoin de la technologie d’encodage (encryptage). Ce que Calea force désormais les boîtes et les individus à faire, c’est d’aller chez des tierces-parties pour acheter de la technologie d’encryptage. Quel est le principal pays outre-océan auquel les Etats-Unis achètent de l’encryptage high-tech ? J’aurais tendance à vous aider en vous disant que c’est une petite démocratie du Moyen-Orient. Ce que nous avons fabriqué, c’est le pire de tous les mondes possibles. Nous nous sommes arrangés pour que la plupart de nos communications soient soumises à des immixtions (hacking) et à des interceptions de sales types. En même temps, les méchants - le crime organisé, les opérations terroristes - peuvent très facilement encrypter leurs communications »... Il est notable que les premiers systèmes de télécom conformes au décret Calea à avoir été installés aux Etats-Unis aient été offerts, au titre d’échantillons, par la firme (israélienne) Verint Incorporation...
L’Amdocs Connection
Dès que vous composez un numéro de téléphone aux Etats-Unis, il y a de fortes chances qu’Amdocs Limited ait un enregistrement de ce numéro, qui comporte l’identité de qui vous avez appelé, et combien de temps vous avez parlé. Cela est connu sous le nom de « donnée d’appel transactionnel ». Les plus grands clients d’Amdocs, aux Etats-Unis, sont AT&T et Verizon, qui ont collaboré dans une large mesure avec les programmes d’écoutes téléphoniques sans garantie de l’administration Bush. Les données d’appels transactionnels ont été identifiées comme étant un élément clé de la pêche aux données pratiquée par la NSA [National Security Agency], à la recherche de « séquences suspectes » dans les communications.
Durant la décennie écoulée, Amdocs a été visée par plusieurs enquêtes pour savoir si des individus, appartenant à cette compagnie, avaient ou non partagé des données sensibles du gouvernement américain avec des éléments du crime organisé et/ou avec les services de renseignement israéliens. A partir de 1997, le FBI a mené une enquête de grande envergure sur l’espionnage allégué qu’aurait pratiqué un employé israélien d’Amdocs, qui travaillait sur un programme de facturation téléphonique acheté par la CIA. D’après Paul Rodriguez et J. Michael Waller, du magazine Insight, qui a révélé cette histoire en mai 2000, l’Israélien visé par l’enquête avait également facilité la mise sur écoute de lignes téléphoniques à la Maison-Blanche, sous Clinton (vous vous rappelez, ce témoignage de Monica Lewinsky, devant Ken Starr : le président, affirmait-elle, l’avait avertie qu’une « ambassade étrangère » écoutait leurs conversations téléphoniques torrides, bien que Clinton ait démenti avoir dit cela, par la suite, sous serment). Plus de deux douzaines de responsables du renseignement, du contre-renseignement, de la police judiciaire et d’autres instances ont déclaré à la revue Insight qu’une « opération audacieuse », effectuée par le renseignement israélien, avait « permis d’intercepter des conversations téléphoniques ainsi que des communications plus modernes (électroniques), sur certaines des lignes les plus sensibles du gouvernement américain, et ce, de manière assidue. »
Le principal journaliste d’investigation de la revue Insight, Paul Rodriguez, m’a dit, dans un mél, que l’histoire de mise en examen d’un espion, en mai 2000, « était (et reste, à ce jour) une des plus étranges sur lesquelles j’ai eu à travailler, étant donné l’état d’alarme, de préoccupation et de sidération » parmi les agents fédéraux. D’après le reportage d’Insight, les enquêteurs du FBI étaient particulièrement ulcérés de découvrir que le sous-traitant israélien visé (par l’enquête) avait, en quelque sorte, mis la main sur les numéros de téléphones du FBI les plus sensibles, y compris les lignes « noires » du célèbre Bureau, utilisées à des fins d’écoutes téléphoniques. « Certains des numéros énumérés », ajoutait l’article d’Insight, « correspondaient à des lignes que le contre-espionnage du FBI utilisait afin de remonter la piste de l’opération de l’espion israélien suspecté. Dans cette affaire, c’est le gibier qui suivait le chasseur à la trace ! » Rodriguez a confirmé la panique que cela avait provoqué dans les milieux américains du renseignement. « C’est un énorme cauchemar, du point de vue de la sécurité », lui a dit un haut responsable américain. « Les implications sont très graves », a dit un autre haut responsable. « Tout ce que je puis vous dire, c’est que nous pensons savoir, désormais, comment cela a été fait », a déclaré un troisième responsable à Rodriguez. « C’est déjà en soi extrêmement grave, mais c’est ce que nous ne savons toujours pas qui a des conséquences terriblement profondes. » Aucune charge, toutefois, n’a été rendue publique, dans cette affaire. (Ce qui s’est produit, en coulisses, dépend de la personne à qui vous parlez, dans les services de la police judiciaire : le service de contre-espionnage du FBI ayant cherché à obtenir une garantie de la part du sous-traitant israélien, le Département de la Justice, étrangement, refusa de coopérer et, en fin de compte, aucune garantie ne fut émise. Les enquêteurs du FBI, découvrant cela, étaient sciés.)
Le reporter du Sunday Times (de Londres) Uzi Mahnaimi cite des sources, à Tel Aviv, disant que durant cette période, des méls du président Clinton avaient également été interceptés par les services israéliens du renseignement. Un article de Mahnaimi publié en mai 2000 révèle que l’opération avait comporté un « hacking à l’intérieur des systèmes informatiques de la Maison-Blanche, durant une période d’intense spéculation autour de la direction qu’allait prendre le processus de paix [au Moyen-Orient] ». Les services israéliens auraient infiltré une entreprise appelée Telrad, soumissionnée par Nortel pour développer un système de communications pour la Maison-Blanche. D’après le Sunday Times, « les managers de cette compagnie n’étaient pas au courant du fait que des puces virtuellement indétectables, installées durant la fabrication des appareils, permettaient à des agents extérieurs de s’immiscer dans le flux des données provenant de la Maison Blanche ».
En 1997, des détectives de la police de Los Angeles, travaillant en tandem avec les services secrets FBI et DEA, furent confrontés à un effondrement comparable et inexplicable de la sécurité de leurs communications. La police de Los Angeles était en train de mener une enquête sur le crime organisé israélien : trafiquants de drogues et escrocs aux cartes de crédit, basés en Israël et à Los Angeles, avec des tentacules à New York, à Miami, à Las Vegas et en Egypte. Le nom de ce groupe mafieux et ceux de ses membres restent non-communicables et classifiés dans des documents d’ « évaluation de la menace » que ce reporter a obtenu de la police de Los Angeles, mais ces documents déclinent, avec quelque détail, l’ampleur et le caractère varié des opérations de ce groupe : 1,4 millions de dollars volés à Fidelity Investments, à Boston, au moyen d’une fraude informatique sophistiquée, extorsions de fonds et kidnapping d’Israéliens à Los Angeles et à New York, deal de cocaïne en coordination avec les crimes organisés italien, russe, arménien et mexicain, blanchiment d’argent et assassinats.
Le groupe avait, par ailleurs, accès à des technologies et à des données extrêmement sophistiquées en matière de technologie de la contre-surveillance, ce qui était un véritable désastre, pour le LAPD [Los Angeles Police Departement]. D’après des documents internes dudit LAPD, le groupe du crime organisé israélien avait obtenu numéros de téléphone fixe, de téléphone cellulaire et de pagers totalement secrets de non moins de cinq-cents enquêteurs de la brigade des stup’ de Los Angeles, ainsi que les informations fournies par des indics à des dizaines d’agents fédéraux - informations au noir, numéros de téléphone inconnus y compris des enquêteurs les plus proches. Les Israéliens avaient même installé des écoutes sur les lignes des enquêteurs du LAPD, espionnant leurs conversations par téléphones cellulaires et par téléphones fixes avec d’autres agents - essentiellement du FBI et du DEA - dont les noms et les numéros de téléphones furent également recherchés, et trouvés.
Le LAPD était horrifié, et tandis que l’on commençait à parler de plus en plus de ce qui était apparemment un effondrement total de la sécurité, le choc se propagea à des agents du DEA, du FBI et même de la CIA, qui, ensemble, décidèrent de lancer une investigation. Il s’avéra que la source de l’essentiel de cet espionnage clandestin pouvait être attribué à une compagnie, appelée J&J Beepers, qui obtenait ses [nouveaux] numéros de téléphone d’un service de facturation qui s’avéra être une filiale d’Amdocs...
Une source très au fait des enquêtes menées à l’encontre d’Amdocs m’a fait part de plusieurs théories, en ce qui concerne les allégations d’espionnage formulées contre cette firme. « Déjà, au début des années 1970, quand il devint évident qu’AT&T allait être dissoute et qu’il allait y avoir une révolution informationnelle et technologique imminente, Israël comprit qu’il disposait d’une population hautement éduquée et hautement cosmopolite, et il fait un certain nombre de découvertes économiques et diplomatiques calculées », dit cette source. « L’une d’entre elles, c’était que les télécommunications étaient à leur portée : elles ne requièrent pas de ressources naturelles, mais seulement de l’intelligence, de la formation et du cash. Les Israéliens furent donc, très vite, impliqués dans les télécommunications. Per capita, Israël est probablement le pays le plus avancé et puissant au monde, en matière de télécom. L’éclatement d’AT&T se produisit en 1984 ; la technologie Internet explose, et Israël voit toutes ces compagnies acheter de manière agressive des contrats, sous la forme de filiales telles Amdocs. Amdocs a commencé comme une minuscule PME et aujourd’hui, c’est la plus importante firme de facturation des télécommunications au monde. Ils commencent à mettre sur pied leur réseau massif de télécommunications. Comme pratiquement tout, en Israël, il s’agit d’une entreprise sponsorisée par le gouvernement.
« Ainsi, il a été dit qu’Amdocs utilisait ses listes de facturations comme un exercice de collecte de renseignement, parce que son conseil d’administration, au fil des années, avait été lourdement peuplé par des membres actifs et à la retraite du gouvernement israélien et de l’armée israélienne. Ils utilisaient ces fonctions comme une opportunité de collecter de l’information sur les conversations téléphoniques du monde entier. Tant qu’à faire, en matière de phénomène de collecte du renseignement, un analyste diplômé du MIT aurait préféré disposer d’une liste de cinquante pages de noms de qui a appelé qui, plutôt que cinquante heures de conversations téléphoniques effectives. Pensez à toutes ces conversations téléphoniques échangées avec des amis, avec des maris, avec des épouses... Cette information brute ne saurait servir à grand-chose. Mais s’il y a un pattern de trente conversations téléphoniques passées durant une journée, cela peut signifier énormément de choses. C’est un algorithme infiniment plus simple. »
Une autre source - un ancien agent de la CIA - me dit que les agents du renseignement américain qui ont diffusé les soupçons pesant sur Verint et Amdocs ont été attaqués de toutes parts. « Une fois qu’il a été connu qu’un individu est en train d’investiguer là-dessus [l’affaire Verint/Amdocs], il ou elle est typiquement identifiée peu ou prou à un(e) fouteur/se de merde, à un enquêteur, et il (elle) est roué(e) de coups sans pitié », dit l’ancien agent de la CIA. « De manière typique, ce qui arrive, c’est que l’individu se trouve dans un scenario où sa retraite est menacée - voire pire. Le fait que, simplement parce que vous avez jeté un coup d’ ?il à cette question, tout soudain vous devenez un arabisant ou un antisémite - c’est de la pure connerie, parce que je vais vous dire, de première main, que ces gens, dont l’héritage est enraciné dans ce pays, ont travaillé très dur, à ce sujet. C’est un genre de vocation qui ne s’achète pas. » L’ancien agent de la CIA ajoute : « Il n’y a pas de politique définie, à ce jour, quant à la manière de traiter ce genre de choses [les questions de sécurité aux Etats-Unis impliquant Israël], mis à part celle consistant à les endiguer, à les maintenir à distance, à les contrôler. Mais ça ne marche plus ! Pas après les attentats du 11 septembre 2001 : impossible ! Le bûcher funéraire qui a continué à brûler durant des mois au fond du tas de décombres [du Ground Zero] ont appris à des millions de personnes qu’elles n’avaient plus à être « politiquement correctes ».
Les immixtions en matière de communications [du type Amdocs/Verint] ne datent pas d’hier ; elles ont commencé il y a bien des années. Et c’est là une cause d’embarras majeure pour des organisations qui aimeraient bien pouvoir dire qu’elles dominent la situation et qu’elles ne sont ni cooptées, ni compromises. Dès que vous commencez à bosser sur cette question, vous découvrez très vite que beaucoup de gens ont soit détourné pudiquement le regard, soit ont été cooptés en chemin. Certains, quand ils se rendent compte de ce qu’il s’est produit, prennent conscience à leur grande honte qu’ils se sont fait avoir. Beaucoup parmi eux étant des bureaucrates, ils ne veulent pas qu’on les fasse paraître aussi stupides qu’ils le sont dans la réalité. Alors, ils font comme si de rien n’était. Parfois, c’est aussi simple que cela... »
Christopher Ketcham écrit dans Vanity Fair, GQ, Harper’s, Salon et beaucoup d’autres revues et sites ouèbe. Vous pouvez le contacter à l’adresse mél suivante :
cketcham99@mindspring.com.
Vous pouvez consulter cet article :
http://www.counterpunch.org/ketcham...
traduit de l’américain par Marcel Charbonnier