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Ma relation avec le sionisme

vendredi 11 juillet 2008 - 06h:09

Abdel-Wahab Al-Messeiri/Dira Maurice - Al-Ahram/hebdo

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Extrait de l’autobiographie d’Al-Messeiri Mon voyage intellectuel dans les graines, les racines et les fruits (Editions Al-Chourouq).

L’on pourrait dire que ma véritable relation avec le sionisme a commencé en 1963 lorsque je suis parti à l’Université de Colombia à New York pour obtenir mon magistère de littérature anglaise et comparée. (...) J’ai été replié dans un coin tout seul ne parlant à personne (je n’avais pas encore maîtrisé l’art de participer aux cocktails et galas, un art assez fin et difficile), lorsqu’une de mes collègues est venue vers moi.

J’avais l’impression qu’elle était comme moi ne sachant pas comment s’en sortir dans ce milieu aristocrate (dont j’ai compris plus tard que c’était le Wapish dérivé de WASP qui est l’abréviation de White Anglo-Saxon Protestant, Américain protestant d’origine anglo-saxonne, qui peut être anglais, allemand, norvégien, etc.). De ces Wasp provenaient tous les présidents de la République américaine (jusqu’à l’élection de Kennedy comme premier président catholique), de même que tous les propriétaires de l’industrie lourde et directeurs des grandes compagnies, soit les membres de l’élite propriétaire au pouvoir.

Ma collègue a pris l’initiative de me parler en me disant que nous étions tous les deux incapables de nous mouvoir facilement dans ce milieu, et donc pourquoi ne pas discuter ensemble. J’ai partagé son avis, elle m’a devancé en demandant - comme c’est le cas dans de pareilles occasions et situations - mon nom et ma nationalité. Je lui ai répondu : untel, fils d’untel, et que je suis égyptien. A mon tour, je lui ai posé la même question. Elle m’a fait : Thelma Bernestien, puis a ajouté qu’elle était juive. J’ai répété ma question : « Je n’ai pas demandé votre religion, mais votre nationalité ». Elle a insisté : « Nationalité juive ». J’avais appris des livres de politique et de sociologie qu’on séparait la religion de l’Etat dans le monde occidental, et j’ai senti un certain déséquilibre dans ce terme, une certaine lacune dans la vision, chez moi ou chez elle.

Les causes idéologiques deviennent toujours pour moi des problèmes existentiels personnels. Il importait de trouver une réponse ou une justification, c’est pourquoi j’ai commencé à lire avec acharnement sur le sionisme, le judaïsme, les juifs et les Israéliens. Une vision tout a fait différente de nos connaissances commençait à voir le jour. J’ai appris par exemple que ledit Israël n’est pas autant « ledit » que les Etats-Unis, plutôt le monde occidental, soutiennent férocement et considèrent comme le représentant élu de la civilisation occidentale. J’ai appris à propos des aides qui tombent directement dans l’entité sioniste « prétendue », et à propos des programmes d’entraînement militaire et social. Enfin, j’ai appris que l’Etat sioniste est fondé en Palestine, le portail oriental de l’Egypte. Celui qui l’occupe, il serait tenant des clés de l’Egypte et de l’Orient arabe.

L’implantation de colonies sionistes en Palestine n’a de but que de réaliser cet objectif. (...) La ligne principale de la propagande sioniste était à ce moment de dénier la responsabilité des sionistes des massacres commis contre les Arabes. Ils affirmaient que les massacres de Deir Yassin étaient l’exception, et que les Haganas « modérés » avaient dénoncé puissamment cette opération commise par des « extrémistes ». A cette époque, Théodore Hertzel, le fondateur du mouvement sioniste, était décrit comme un écrivain libéral tentant de ne nuire à personne.

De même, son discours sur l’exclusion des Arabes remonte aux premiers jours de la période romantique de sa vie, avant qu’il ne soit mûr sur le plan philosophique. Je savais la falsification de ces dires, non seulement à partir des livres, mais aussi de mon expérience personnelle. Je savais que le paysan ne vend jamais sa terre ni ne la quitte que sous des circonstances inhumaines. Que le sionisme est un mouvement qui vise à substituer une masse humaine « juive » à une masse humaine « palestinienne ». Que Max Nordau, le collaborateur de Hertzel à la fondation du mouvement sioniste, qui avait appris la présence des Palestiniens à la 1re Conférence du sionisme, s’est précipité vers Hertzel en disant : « Pourquoi ne pas me prévenir de la présence des Palestiniens ? » Hertzel l’a consolé en disant que tout sera dans l’ordre des choses. Et nous, les Arabes, savons très bien « comment les choses se mettent en ordre et les moyens pour y aboutir » .

Traduction de Dina Kabil

Al-Messeiri au fil des ans

« Des graines, des racines et des fruits », quoi de mieux pour résumer le parcours de vie du penseur Abdel-Wahab Al-Messeiri que d’emprunter le titre de son autobiographie Rehlati al-fikriya fil bozour wal gozour wal semar (Organisme général des palais de culture, 2000, réédité en 2005 à Dar Al-Chourouq). « Les graines » sont semées à Damanhour en 1938, l’année qui a témoigné de sa naissance, puis à Alexandrie où il est diplômé en littérature anglaise. En 1963, il voyage aux Etats-Unis où il obtient son magistère en 1964 de l’Université de Colombia et son doctorat en 1969 de l’Université de Rutgers. Les postes successifs qu’il avait occupés ont contribué à fixer solidement ses « racines » dans le mouvement de la pensée : professeur à l’Université de Aïn-Chams et dans d’autres universités, dont celle du roi Saoud, maître conférencier à l’Université de Malaisie, membre au comité d’experts au Centre d’Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram (1970-1975), conseiller culturel pour la délégation permanente de la Ligue arabe auprès des Nations-Unies (1975-1979), l’un des fondateurs du mouvement égyptien Kéfaya et coordinateur général du mouvement d’opposition à partir de 2007. Une position qui l’a classé, dans les cinq dernières années, parmi les grandes figures opposées au régime égyptien.

Au cours de ce long parcours professionnel, il nous offre une corbeille de bons « fruits ». Des ouvrages marquant à jamais la pensée arabe. Il se consacre à la question sioniste dont il devient un expert émérite. « Comprendre et analyser le phénomène du sionisme » est le thème principal de la majorité de son ?uvre, dont la plus marquante est l’Encyclopédie Les Juifs, le judaïsme et le sionisme (éd. Dar Al-Chourouq, 1999) en huit tomes, un travail auquel il a consacré une trentaine d’années. Ce zèle encyclopédique a commencé en 1972 par son livre La Fin de l’histoire : Introduction pour l’étude de la structure de la pensée sioniste. D’autres thèmes ont également figuré dans son ?uvre, comme l’invasion culturelle occidentale des Arabes dans Al-Alam min manzour gharbi (le monde selon une vision occidentale, Dar Al-Hilal, 2001), des études en littérature comme Dirassat fil chear (des études en poésie, éd. Maktabet Al-Chourouq Al-Dawliya, 2007). Des traductions trouvent une place privilégiée dans son ?uvre, comme la traduction du livre Le Vieux marin de Samuel Taylor Coleridge sous le titre Al-Mallah al-qadim. Les enfants occupent aussi une part non négligeable de l’intérêt de Messeiri. Il leur dédie un nombre de livres, dont un recueil de poèmes qui lui a valu le prix Suzanne Moubarak en 2002, à savoir Oghniyat ila al-achiyae al-gamila (éd. Dar Al-Chourouq, 2002). Il y compose des chansons sur une liste de « belles choses », dont la naissance, la connaissance, et, paradoxalement, la mort.

Même atteint du cancer, il a transformé sa souffrance en une créativité fructueuse. A tel point que les médias israéliens ont salué en lui un ennemi digne de respect, et ont vu dans sa mort « la perte d’un ennemi persévérant dans l’étude de nos affaires internes et historiques, une perte difficile à compenser » .

Dira Maurice

Lire aussi à propos d’Abdel-Wahab Al-Messeiri :

- La logique d’un conflit de Khaled Abdel-Azim (Al-Ahram/hebdo)
- Ça suffit ? de Chérif Albert (Al-Ahram/hebdo)

Al-Ahram/hebdo - Semaine du 9 au 15 juillet, numéro 722 (Idées)


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