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Marx à Gaza : occupation et division en classes

mercredi 9 juillet 2008 - 23h:26

Philip Rizk - Miftah

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Chaque occupation a ses gagnants et ses perdants, les quelques-uns qui en profitent et ceux qui y perdent presque tout.

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Le peuple de Gaza survit avec les moyens du bord, beaucoup d’ingéniosité et une grande volonté.

Au passage de la frontière pour entrer dans Gaza une femme d’un âge moyen s’est assise à côté de moi, paraissant plutôt pâle. Elle était accompagnée de quelqu’un qui semblait être sa mère, et encore plus frêle qu’elle.
Entre ses mains la femme malade tenait un paquet de six verres de thé. Cela semblait un peu étrange que ce genre d’article doive être importé dans Gaza alors qu’il y a si peu d’autorisations pour faire cette excursion tout à fait exceptionnelle au delà des frontières.

Plus tard le même jour, après un important déjeuner d’accueil et après avoir bu le thé dans des tasses en plastique j’ai découvert que les verres de thé comme tant d’autres articles étaient épuisés dans Gaza. Un seul verre aurait presque atteint le prix de toute une série et pour ma famille d’accueil ce n’était tout simplement pas abordable.

J’ai passé une bonne partie de mon deuxième jour à la plage. L’unique sortie possible pour une majorité de la population de Gaza est d’autant plus une réalité les jours d’été comme celui-ci, les centaines de personnes se réunissant à la plage pour échapper à la routine quotidienne.

Chaque occupation a ses gagnants et ses perdants, les quelques-uns qui en profitent et ceux qui y perdent presque tout. Récemment j’avais lu Marx qui considérait que la construction et l’écriture de « l’histoire » étaient basés sur la division des sociétés en classes. Selon Marx, le monde n’était pas tant explicable par des actes divins accueillis avec passivité par l’humanité, que sous la direction et par les actes des peuples. Pour Marx, ces actes de l’histoire étaient déterminés — et se comprenaient — par la division en classes.

Dans la soirée j’ai été invité à une réunion dans la haute société de Gaza. Pour certains, la ré-ouverture récente des frontières était une pied de nez à leurs monopoles sur le marché. Le prix d’une tonne de ciment était maintenant redescendu à 520 shekels, alors qu’il y a une semaine un sac de 10kg coûtait 270 shekels. Dès que le ciment a pu entrer à nouveau dans Gaza, le gouvernement du Hamas — qui montre des couleurs plutôt socialistes — a fixé les prix de façon à miner ce genre de monopoles et à rendre les prix accessibles pour la population. Cette même nuit nous avons mangé du canard, du poulet et des ailes de poulet, de grands plats de divers desserts et de la pastèque.
A compter de ce jour Marx a commencé à me paraître beaucoup plus sensé.
Entre la plage et cette soirée « BBQ [Barbecue ?] » j’ai eu un avant-goût des rues de Gaza sous le régime des coupures d’énergie. En raison de la limitation par Israël des quantités de combustible qui entrent dans Gaza seulement un tiers des approvisionnements nécessaires sont fournis. Cette quantité limitée n’est pas mise sur le marché régulier, qui la ferait grimper jusqu’à des prix extrêmement élevés et créerait un autre monopole. Au contraire, le Hamas répartie cette quantité plutôt raisonnablement.

Naturellement une majorité de membres du Hamas et tous les bureaux du gouvernement sont approvisionnés. De plus, le Hamas fournit des quantités hebdomadaires de combustible aux prix du marché régulier à tous les conducteurs qui enregistrent leurs voitures. Une partie de cet approvisionnement et probablement un pourcentage de la part attribuée au Hamas s’écoulent sur le marché noir à des prix extravagants inaccessibles pour beaucoup ; un litre d’essence coûte jusqu’à 15 dollars. Beaucoup de conducteurs ne peuvent pas se permettre de s’enregistrer, comme ils ne le faisaient d’ailleurs pas depuis longtemps sous le gouvernement précédent du Fatah car le coût cumulé en est simplement trop élevé. Au lieu de cela beaucoup ont commencé à employer de l’huile de cuisine pour remplir leurs réservoirs. Les rues sentent en conséquence. La puanteur d’huile de « falafil » qui remplit l’air rend la marche à pied sur les routes principales à peine supportable.

Du côté palestinien du passage frontalier vers Gaza, portant mes bagages pour un petit bout de chemin, Ridwan m’a indiqué combien il était si fatigué de tout. Chaque nuit, tirant dans les deux sens, en va-et-vient, le cessez-le-feu — si précaire et bien que violé par les deux côtés jusqu’à maintenant — lui a donné un certain répit. Plus tard dans la soirée, tout en fumant et jouant aux cartes, la bonne société de Gaza a parlé de ses craintes quant aux effets du cessez-le-feu. Quelques jours plus tôt une fusée artisanale a été tirée dans le désert israélien, à l’initiative d’un groupe d’hommes d’affaires qui ont trop à perdre avec la fin des combats et l’ouverture des frontières. Les rues vers le centre de Gaza sont remplies de camions chargés de fruit israéliens, et il est rare que ces produits fassent défaut, les fermiers israéliens ayant un marché captif dans Gaza où les fermiers cultivent en grande partie des légumes et comptent sur Israël pour les fruits de catégorie B.

Sans vouloir trop dramatiser, sur ces deux jours j’ai vu « l’histoire » écrite par la division en classes au delà même des frontières de l’occupation. Mais l’occupation demeure la couleur dominante où les couleurs de la division se fondent. A Gaza l’occupation reste le cadre qui détermine tout.

* Philip Rizq est égyptien et allemand. Il a séjourné dans Gaza à de nombreuses occasions. Il a écrit cet article pour PalestineChronicle.com

7 juillet 2008 - Miftah - Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.miftah.org/Display.cfm?D...
Traduction de l’anglais : Alverny


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