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Démocratie et mécontentements à Gaza

mercredi 3 janvier 2007 - 14h:19

Ramzy Baroud

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Les Palestiniens n’ont aucune illusion : élire un gouvernement sous occupation ne changera rien à leurs vies d’assiégés, mais cela pourrait, espèrent-ils, conduire à la fin de leur propre népotisme.

Il est trop commode pour le site de la BBC de présenter les effusions de sang entre partisans du Hamas et du Fatah dans la Bande de Gaza comme des « rivalités entre factions », de même pour le Washington Post de relater ces évènements malheureux - qui ont fait beaucoup de tués et blessés palestiniens - comme s’ils étaient complètement isolés de leurs contextes régional et international.

En outre, sont déconcertants les appels des « principaux dirigeants arabes modérés » vers les factions palestiniennes qui se combattent afin de les réunir dans une capitale arabe, d’aplanir leurs divergences et parvenir à un cessez-le-feu de plus en plus fugace ; comme si les Arabes - craintifs devant les pressions des USA exigeant que les sanctions imposées pour affaiblir le gouvernement palestinien démocratique atteignent leur but - n’avaient pas contribué, activement et sciemment, à la crise qui s’étend en Palestine.

Il est singulier de prétendre que les Palestiniens doivent être réprimandés, en douceur ou sans ménagement, pour qu’ils règlent leur problèmes d’une manière plus civilisée, ou qu’ils devraient prendre une leçon ou deux par quelque commentateur américain, supérieur, sur la vraie démocratie, ou leur rappeler qu’ils sont « eux-mêmes leurs pires ennemis » et qu’ils ne « manquent jamais l’occasion de rater une occasion ». Absurde.

Ce qui se passe dans les Territoires occupés, particulièrement dans la Bande de Gaza, a beaucoup moins à voir avec des rivalités inter factionnelles qu’avec les jeux de pouvoir au plan régional et international, auxquels certains Palestiniens téméraires ont décidé de se mêler pour sauvegarder des acquis personnels et factionnels.

Pour éviter de m’auto-flageller, je voudrais souligner une remarque que j’ai faite à plusieurs reprises dans le passé : si ce n’était la nature non opérationnelle et le manque d’unité au sein d’une myriade de structures politiques et sociétales qui disent représenter le peuple palestinien, aucun concept politique, qu’il soit américain, israélien ou autre, ne réussirait à duper les Palestiniens avec un tel comportement caustique et suicidaire. (L’exécution des trois enfants le 11 décembre et le meurtre d’autres personnes innocentes, dont des enfants, ainsi que l’agression contre le Premier ministre, Ismail Haniya, le 14 décembre, ont en effet franchi toutes les lignes rouges.)

Une fois écartée l’autopunition, cependant, il ne faut pas se précipiter à conclure que le tout dernier épisode de violence dont Gaza a été la scène - après la proposition du 9 décembre du Président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, pour des élections anticipées, et son discours télévisé du 14 annonçant son intention de tenir les élections législatives et présidentielles anticipées - n’a été qu’un feu de paille du fait d’un manque de discipline de quelques éléments isolés. C’est au contraire un aspect d’un coup d’Etat qui dure, et n’a pas réussi jusqu’à présent, pour renverser le gouvernement palestinien ; ce coup d’Etat a été annoncé carrément par la secrétaire d’Etat US, Condoleezza Rice, exigé par Israël et confié au Président Abbas et à certaines factions - dont son parti, le Fatah - après l’accession du Hamas au pouvoir lors d’élections transparentes et sous observation internationale, en janvier 2006.

A ceux qui pourraient trouver justifier de forcer à la démission un régime « théocratique » par tous les moyens nécessaires, même les balles d’un assassin, il a échappé qu’en dépit de la position religieuse du Hamas, celui-ci n’a pratiquement rien tenté pour détourner les règles de la démocratie. Au contraire, il parait plus motivé dans son adhésion à la Constitution laïque palestinienne qu’Abbas lui-même.

Effectivement, ce n’est pas une guerre entre fanatiques religieux et laïques démocrates, loin de là. Mais c’est une bataille avec de nombreuses ramifications, chacune étant conçue et définie pour répondre aux intérêts et gérer les inquiétudes des nombreuses parties impliquées, et c’est vrai, celles-ci ne sont pas toutes palestiniennes.

Le Hamas n’est pas arrivé au pouvoir derrière un char américain, comme plus ou moins le régime pro Washington en Irak, ou par l’intermédiaire d’un système politique, armé et autorisé par Israël, corrompu et élitiste, comme celui concocté après la signature d’Oslo en 1993. Il n’a rien imposé ni manipulé pour arriver au pouvoir. Ce fut le résultat d’un processus démocratique irrésistible, et assez ironiquement, en partie le résultat des exigences de démocratie de l’Amérique pour le Moyen-Orient, une diversion de leurs échecs épouvantables en Iraq.

Se sont-ils donc trompés ?

L’élection du Hamas a envoyé des ondes de choc à travers toute le Moyen-Orient, elle proposait une alternative islamique sans remise en cause des règles démocratiques et semblait capable d’élaborer une stratégie pour une union durable entre les deux, à la différence de l’exemple algérien qui a inspiré la guerre civile la plus destructrice.

En second lieu, il a mis à mal la vision de l’administration Bush de sa démocratie pour le Moyen-Orient, une vision qui s’appuyait sur la prétention des alliés proaméricains de la région de donner une façade de démocratie sans avoir à réviser sérieusement leurs systèmes politiques et sans mettre en danger les intérêts américains. Les élections présidentielles iraquiennes et égyptiennes étaient espérées pour être le modèle à suivre, pas celles du Hamas.

Troisièmement, la victoire du Hamas, essentiellement fondée sur son image anti-corruption, menaçait de détruire et d’éliminer un système politique entièrement corrompu dont les différents niveaux de l’Autorité palestinienne avaient tiré bénéfice, avec le soutien israélien. Le modèle de l’Autorité, tel que conçu par Oslo, a produit l’un des pires régimes politiques corrompus et corruptibles, avec une totale dépendance des aides américaines et européennes, un argent qui est à peine parvenu aux masses opprimées.

Les Palestiniens n’ont aucune illusion : élire un gouvernement sous occupation ne changera rien à leurs vies d’assiégés, mais cela pourrait, espèrent-ils, conduire à la fin de leur propre népotisme.

L’administration Bush, qui a immédiatement revu à la baisse sa rhétorique sur la démocratie après les élections palestiniennes était décidée à renverser le Hamas. Pour Israël, la question n’est pas de savoir qui tient la barre en Palestine, Israël ne reconnaît jamais avoir un partenaire digne de confiance pour faire la paix (pour Israël, la question est toujours de gagner du temps, pas de faire la paix).

Les Israéliens se sont réjouis et ont profité activement du chaos palestinien qui représentait pour lui une occasion historique de voir s’affaiblir les Palestiniens dans ces conflits internes sans fin, et même mieux, dans une guerre civile. Et comme les Arabes suivaient les ordres de Washington, comme les Européens attendaient des instructions supplémentaires (c’était bien la peine de jouer les médiateurs pour une paix alternative), les Palestiniens sont tombés dans le piège, transformant l’un des moments démocratiques les plus remarquables de la région en un moment d’extrême ironie, en angoisse et peut-être, en défaite.

Il est clair décidément que les projets politiques de Washington et Tel Aviv ont convergé vers la nécessité de faire durer les combats internes palestiniens et en finale vers la destitution du gouvernement. Il est clair également qu’Abbas et ses partisans ont accepté de remplir le rôle qui leur a été confié, à l’instar de nombreux dirigeants arabes.

Je veux, désespérément, conclure avec la prétention que les Palestiniens résisteront une fois encore à cette épreuve dure, cruelle, et gagneront, sains et saufs, grâce à leur unité et leur démocratie ; mais après ce que j’ai vu ces dernières semaines, et convaincu de l’ampleur de l’expérience américaine qui s’étend bien au-delà des rues bondées de Gaza assiégée, appauvrie, je ne suis plus certain de ce qu’ils veulent.

Mais s’ils échouent, qu’en sera-t-il de la véritable démocratie et ses défenseurs, car le mot sera alors vidé de tout son sens, il sera, une fois encore rabaissé au niveau de l’habituelle comédie américaine, comme toujours.

Le dernier livre de Ramzy Baroud, La seconde Intifada palestinienne : une chronique du combat du peuple », (Pluto Press) est disponible sur Amazon.com et à la presse de l’université du Michigan.

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Trad. : JPP


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