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La bavure israélienne qui bouleverse Tulkarem

mardi 2 janvier 2007 - 16h:22

Christophe Boltanski - Libération

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Après le meurtre de Doaa, une fillette de 13 ans, son père n’a pas pu se rendre à ses funérailles.




Par manque de temps et d’argent, il n’a pas dressé de tente funéraire devant l’immeuble, comme le veut la coutume. C’est dans son petit salon qu’il reçoit les condoléances. Toutes les cinq minutes, de nouveaux visiteurs surgissent dans l’embrasure de sa porte. Des amis, des voisins, des proches, des anonymes... L’homme les embrasse, puis les invite à s’asseoir. Son fils leur tend une tasse de café sans sucre. « J’ai reçu des centaines d’appels de gens que je ne connaissais pas. Beaucoup d’Israéliens m’ont téléphoné pour s’excuser. Tous sont les bienvenus. Je n’ai pas soif de revanche », déclare Nasser Abdel Qader.

Sa fille, 13 ans, a été tuée six jours plus tôt par un soldat israélien à quelques kilomètres de là, près de la barrière électronique qui longe la ville palestinienne de Tulkarem. Une « bavure ». Le militaire a été suspendu et son supérieur démis de ses fonctions. Tsahal a ouvert une enquête. Doaa avait des cheveux bruns coupés courts, le regard volontaire, un visage oblong. Sa photo circule de main en main avant de regagner le coin de l’unique tableau qui orne la pièce, illustré d’une sourate du Coran. « Je suis mort deux fois, se lamente son père. La première fois en perdant ma fille ; la seconde, en étant absent lors de ses funérailles. »

Doaa a été enterrée le lendemain de son décès, le 20 décembre, conformément au rite musulman. Nasser était alors dans une prison, près de Tel-Aviv. Cet ouvrier palestinien de 38 ans attendait depuis deux mois de passer en jugement pour être entré illégalement en Israël. Ce qu’il fait presque chaque mois. D’habitude, les gardes frontière se contentent de lui coller une amende de 450 shekels (80 euros) et de le renvoyer en Cisjordanie. « Parfois, j’ai été attrapé deux fois en une même journée. Ils me ramenaient au check point et je revenais aussitôt. »

« Je suis devenu fou »

La police le soupçonne de voler des voitures. Une accusation qu’il nie farouchement. « Je ne suis pas un criminel. Cela fait vingt ans que je travaille en Israël. S’il y avait des usines à Tulkarem, je resterais ici, mais il n’y a rien. J’ai quatre enfants. Il faut bien que je les nourrisse. » Il a servi dans des restaurants, sur des chantiers. Il ne tente même plus d’obtenir une autorisation. « C’est impossible ! Mon dernier permis remonte à très longtemps, au moins avant la seconde Intifada [en 2000, ndlr] . Maintenant, ils préfèrent faire venir des étrangers, des gens qui bossent deux fois moins que nous. Les Palestiniens sont durs au labeur. »

Pour rejoindre Netaniya, une ville qu’il voit à l’oeil nu de sa fenêtre, il met parfois plus de deux jours. Il lui faut trouver une faille dans le rempart de béton ou de métal qui enserre la Cisjordanie. « Je descends jusqu’à Abou Dis (dans la banlieue de Jérusalem). Là-bas, il y a plusieurs endroits où on peut passer. De l’autre côté, des taxis sont prêts à t’emmener, des profiteurs qui te réclament 200 shekels [36 euros, ndlr] . » Il se poste sur une place de Netaniya où les Palestiniens clandestins, viennent louer leur bras 100 shekels la journée. « C’est ça ou rien. Quand arrive un employeur, on est à chaque fois une dizaine à nous précipiter sur sa voiture. »

Il dormait avec cinq autres Palestiniens dans un hangar à Kalansua, une bourgade arabe israélienne, quand la police a débarqué, un matin à l’aube, fin octobre. « On a été dénoncé », estime Nasser Abdel Qader. Il a été arrêté avec un de ses compagnons de nuitée. Les quatre autres ont réussi à prendre la fuite. « Je n’ai pas pu courir. Je souffre de rhumatisme musculaire. » Détenu à la prison d’Abou Kébir, il téléphonait tous les soirs chez lui depuis une cabine. C’est ainsi qu’il a appris la mort de sa fille, le 19 décembre. « Je suis devenu fou, j’exigeais de sortir. »

Doaa a été tuée à quelques kilomètres de son immeuble, entre un champ d’oliviers et un terrain de foot en terre battue, en contrebas du village de Faraoun. Elle accompagnait après l’école une amie, Racha, 12 ans, chez ses grands-parents. Ces derniers habitent une petite maison blanche, près de la barrière dite « de sécurité » dans le jargon officiel israélien. Un grillage de trois mètres de haut, précédé par des barbelés, qui coupe la colline en deux. Au-delà, débute la plaine côtière, constellée de lumières. A gauche, tout proche, s’étend la ville arabe israélienne de Taybeh dont la famille Abdel Qader est originaire. La nuit tombant, Nasser se tient à distance de peur de servir à son tour de cible et crie à l’un de ses cousins qui a dévalé le chemin de revenir.

Selon la version de l’armée israélienne, un officier, descendu d’une jeep, a cru apercevoir « deux individus suspects, avec des sacs au dos », et a tiré en l’air en guise de sommation. Un soldat de sa patrouille a ouvert le feu vers les fillettes qui s’enfuyaient. Doaa, touchée au coeur et au poumon, est morte durant son transport vers l’hôpital de Petah Tikva. « Comment ont-ils pu la confondre avec un terroriste. Une enfant de treize ans, vêtue de sa blouse de collégienne et en plein jour ! » s’écrie son père.

900 euros pour assister aux obsèques de sa fille.

Le lendemain du drame, il a demandé l’autorisation d’assister à l’enterrement de sa fille. Son avocat, Rami Othman, s’est heurté au refus du tribunal, du parquet et même de la Haute Cour. « Un juge était prêt à laisser le prévenu se rendre aux funérailles sous garde policière, mais pas en Cisjordanie. Il m’a fallu remonter jusqu’au gouvernement », explique ce dernier. Le 22 décembre, Nasser Abdel Qader a finalement obtenu une permission de trois jours, le temps des cérémonies de deuil. Il a été conduit en jeep jusqu’au barrage de Jebara, à l’entrée de Tulkarem, et a été relâché, après avoir versé 5 000 shekels de caution (900 euros). Une somme que sa famille a dû réunir à la va-vite et faire parvenir en Israël. « On a sauté la barrière pour remettre l’argent à un émissaire de l’avocat », raconte un oncle. Un député arabe israélien, Ahmed Tibi, s’est également porté garant.

L’affaire fait grand bruit en Israël. Plusieurs hommes politiques ont pris publiquement sa défense. « Libérons cet homme. Laissons-le retourner chez lui verser ses larmes. Nous avons tué sa fille. Accidentellement, bien sûr. Une jeune fille d’un mètre vingt correspond exactement au profil d’un terroriste baraqué », écrit un ancien chef du parti pacifiste Meretz, Yossi Sarid, dans le quotidien libéral, Haaretz. Mardi dernier, à l’issue de ses trois jours de deuil, Nasser Abdel Qader est retourné, comme prévu, au barrage pour se constituer prisonnier.

Christophe Boltanski, envoyé spécial à Tulkarem
Quodien Libération, le 2 janvier 2007


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