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« Nous sommes là, disaient les Palestiniens »

jeudi 29 mai 2008 - 06h:16

Ahdaf Soueif - Al-Ahram/hebdo

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Pour commémorer la Nakba, seize écrivains se sont rendus en Palestine dans le cadre d’un festival littéraire organisé par Al-Mawred. Parmi eux, Ahdaf Soueif nous livre son témoignage.

Je me suis installée à la Porte des Lions, de là, j’avais une vue surplombant la vallée de Josaphat. Nous, les Arabes, l’appelons la vallée des muscadiers, à cause des arbres qui poussaient ici en abondance. En face de moi, de l’autre côté de la vallée, s’élève le Mont des Oliviers, où les pins privilégiés par les Israéliens pour donner un aspect européen au paysage ont pris le dessus sur les oliviers indigènes.

Les Nations-Unies ont installé leurs bureaux au sommet de la colline à ma droite ; c’est une décision qui n’est peut-être pas si sage, car pour ceux qui ont des références bibliques, c’est la colline du Mauvais Conseil, où l’arrestation de Jésus a été planifiée dans la maison de Caïphe.

Derrière moi, s’étendent les murs du Haram Al-Charif, l’immense enceinte abritant la Mosquée d’Al-Aqsa et le dôme du Rocher. J’ai quitté la Porte en direction du Haram ; les soldats israéliens n’ont pas autorisé mes amis non musulmans à entrer avec moi. Le Palestinien qui garde les lieux me fait signe de derrière les soldats, en s’excusant. Il me dit qu’il aurait voulu nous accueillir tous, mais que ce sont là « leurs » règles.

Nous étions à Jérusalem, Ramallah et Bethléem pour le Festival palestinien de littérature. C’était un événement que certains d’entre nous préparaient depuis près d’un an.

Dans chaque ville, nos débats ont fait salle comble et nos auteurs ont été accueillis avec enthousiasme par le public. A Bethléem, Roddy Doyle a provoqué des éclats de rire et des applaudissements quand il a dit qu’il demanderait compensation aux habitants pour les gifles reçues à son école irlandaise quand il avait dit que Jésus était né à Nazareth. Ses livres furent épuisés en trois jours. A l’Université de Birzeit, un jeune homme était aux anges d’avoir pu rencontrer Ian Jack ; il avait gardé son abonnement à la revue littéraire Granta depuis qu’il était rentré des Etats-Unis neuf ans plus tôt. Des écoliers ont pleuré de joie en rencontrant Khaled Abdallah ; ils venaient de voir The Kite Runner.

Chaque nuit, nous dormions dans un hôtel différent, le matin, nous faisions nos paquets et prenions le bus en direction d’un check-point. A Qalandia, nous avons laissé nos lourds bagages dans le bus et appris à passer les cages métalliques des tourniquets sans laisser de vide, les cages tournent un certain nombre de fois puis s’arrêtent. Une fois passé, on s’est entendu dire qu’il fallait faire demi-tour et repasser - avec nos bagages.

On a vu une femme en pleurs, berçant son bébé et soutenant son mari malade, il avait des tubes qui sortaient de lui et semblait être son grand-père. Les soldats les avaient renvoyés. On ne pouvait rien faire pour elle.

A l’Université de Bethléem, les étudiants étaient tellement captivés par Jamal Mahjoub qu’ils ont demandé que ses romans soient mis au programme. Dans les ateliers animés par Andy O’Hagan et Pankaj Mishra, une jeune femme a demandé s’il était possible de les prolonger.

Maintenant, je suis debout, dans le cimetière musulman. En dessous de moi, les tombes chrétiennes et juives recouvrent également de larges parcelles de terre. Tout le monde veut être enterré ici, dans la vallée de Nutmeg, c’est ici qu’on entendra sonner la trompette et que les morts seront ressuscités. Silwan, le village palestinien lové dans le coin sur la droite, s’emploie depuis des siècles à entretenir les tombes.

Nous marchons autour des murs patinés de la vieille ville jusqu’à surplomber le village. Une amie israélienne (appelez la « B ») nous montre les fouilles en direction d’Al-Aqsa. Elles ont été entreprises, nous dit-elle, dans un « esprit idéologique ». Un gardien à Al-Aqsa m’avait un jour montré le grand puits jadis utilisé pour stocker l’huile des lampes : « C’est par ici qu’ils projettent d’entrer », dit-il. « B » nous explique que 60 % des terres de Silwan ont été prises par des colons et que les villageois qui sont encore là se battent pour rester sur leurs terres.

Elle nous apprend à lire le paysage, à voir les trois petites colonies en haut des collines, comme des antennes féroces, placées là pour barrer les principaux accès à Jérusalem-Est et marquer le tunnel géant qui relie l’Université hébraïque sur le Mont Scopus à la colonie (illégale) de Maalé Adoumim. Nous nous rassemblons autour de ces cartes et schémas. Notre groupe semble tout petit à côté de touristes qui descendent d’autocars géants marqués Fonds national juif.

Esther Freud et Hanane Al-Cheikh décident de marcher jusqu’à l’hôtel. Elles prennent un raccourci à travers un terrain vague derrière le bâtiment et se retrouvent encerclées par des chiens menaçants. Des soldats israéliens apparaissent et interrogent les deux écrivaines. Ils leur disent qu’elles se trouvent en zone militaire, qu’ils les observaient depuis quelque temps et qu’ils auraient pu tirer dessus.

En réponse à l’habituelle question « Qu’est-ce qui vous fait écrire », la veille au soir, Esther avait dit qu’elle aimait/ressentait le besoin de raconter des histoires, mais quand elle ne faisait que les dire, elles ne correspondaient jamais à ce qu’elle désirait. Les écrire, avait-elle dit, était la seule manière d’en faire ce qu’elle voulait.

A l’entrée de la Piazza du mur occidental, une énorme pancarte du ministère israélien du Tourisme annonce que les juifs prient là-bas pour exprimer leur « foi dans la reconstruction du temple ». Dans une petite échoppe tout près, ils proposent des dessins du Haram nettoyé de la Mosquée Al-Aqsa et du dôme du Rocher. Ils montrent des plans et rassemblent des fonds pour que le troisième temple soit érigé à leur place.

A Al-Khalil/Hébron, nous marchons dans les rues vides de la vieille ville, devant les boutiques fermées de ce qui avait été le c ?ur commercial de la Palestine. Des groupes de colons américains baraqués nous dépassent en joggant, en shorts et mitraillettes. Nous avons vu les maisons dont les propriétaires palestiniens, refusant de partir, n’avaient pas été autorisés à utiliser les portes d’entrée et devaient grimper par les fenêtres à l’arrière pour entrer. Et les maisons dont on leur avait interdit de fermer les portes à clé parce que les soldats israéliens les contrôlaient chaque nuit entre minuit et 3 heures du matin.

En partant, nous sommes restés silencieux. Mais ce soir-là, à Bethléem, la troupe Al-Fonoun dansa et s’élança à travers la scène dans des costumes éclatants, et le public dansait, criait, sifflait ; le lendemain matin, les étudiants se bousculaient, riaient, discutaient. Nous sommes là, disaient les Palestiniens, nous lisons, nous questionnons, nous bloggons, nous achetons, nous jouons, nous dansons. Nous vivons.

Copyright : : Ahdaf Soueif 2008
http://www.ahdafsoueif.com
*Ce texte est publié simultanément dans le Guardian et Al-Ahram Hebdo.

Al-Adab prône

Le boycott

C’est à la commémoration de la Nakba que la revue Al-Adab consacre son dernier numéro, en mettant l’accent sur la nécessité du boycott. Car, écrit le rédacteur en chef de la revue, Samah Idriss, dans son éditorial, « si la Nakba a débuté en 1948, elle perdure tous les jours ; nous, citoyens, jouons, souvent sans le savoir, un rôle prépondérant dans cette continuation (...). Nous continuons à soutenir l’entité sioniste en achetant les produits qui contribuent à sa vie et sa prospérité ».

De Coca-Cola à MacDonald’s, en passant par Burger King et Starbucks, Samah Idriss énumère les entreprises qui consacrent une partie de leurs profits à financer des associations qui soutiennent la colonisation en Palestine.

Dans cette situation, « une lueur d’espoir » cependant, écrit l’historien israélien Ilan Pappé dans son article sur « le boycott académique », soulignant les avancées obtenues par les campagnes en ce sens menées dans les universités européennes. L’importance du boycott est également argumentée par Ronnie Kasrils dans une contribution intitulée « Des patates à l’orange à la liberté ».

Ce numéro d’Al-Adab rend également un hommage à son fondateur, l’écrivain libanais Soheil Idriss (1925-2008), avec des contributions de Samah Idriss, Ahlam Mostaghanmi, Mohamad Jamal Barout, Sabri Hafez, Fayçal Darradj et Abdel-Haq Labid.

L’on y trouvera aussi un article de Baqer Ibrahim sur le procès intenté par Fakhri Karim contre la revue Al-Adab, plainte contre laquelle s’organise aujourd’hui une vaste campagne de solidarité avec les animateurs d’une revue dont la qualité et l’intégrité ont forgé la réputation tout au long de ces dernières

Al-Ahram/hebdo - Semaine du 28 mai au 3 juin 2008, numéro 716 (Idées)


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