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Al-Nakba de 1948, combien de temps encore ?

lundi 24 mars 2008 - 07h:23

Khalil Nakhleh - CounterPunch

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Ce qui est important de mon point de vue, en tant que Palestinien, c’est la nécessité pour nous de comprendre ce qui nous est arrivé, en 1948 et autour de 1948 ; pourquoi cela s’est produit de cette façon ; et ce que nous devrions faire pour libérer notre avenir d’Al-Nakba.

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Plus de 60 années, ça c’est sûr, mais combien de temps encore va-t-elle durer ?




Je ne sais pas vraiment à quel moment nous avons commencé à appeler ce qui est arrivé à notre peuple et à notre pays, après l’établissement de l’Etat d’Israël, « Al-Nakba ». Mais ce n’est pas réellement le point le plus important. Ce qui est important de mon point de vue, en tant que Palestinien, c’est la nécessité pour nous de comprendre ce qui nous est arrivé, en 1948 et autour de 1948 ; pourquoi cela s’est produit de cette façon ; et ce que nous devrions faire pour libérer notre avenir d’Al-Nakba.

Telle que définie officiellement, Al-Nakba, ou « la catastrophe », est la formule consacrée pour désigner le désastre qui a frappé le peuple et la société palestiniens en Palestine historique, en 1948 et autour de 1948, quand Israël s’est autoproclamé Etat indépendant. Dès lors, nous avons commencé à mettre en équation et à associer l’« indépendance » d’Israël - à savoir le 15è jour du mois de mai de chaque année depuis 1948 -, avec notre « catastrophe ». Ce faisant, nous avons réduit le mal qui avait été sciemment perpétré contre nous, peuple et société, à une date commémorative dans notre agenda ; un jour où nos ennemis chantent et où, nous, nous pleurons.

Al-Nakba ne devrait pas être considérée comme une « catastrophe » dans le même sens que ces bouleversements soudains, ces destructions, etc., qui sont provoqués par des catastrophes naturelles inexpliquées, des tremblements de terre gigantesques, des inondations, des tornades, ou par une attaque inattendue de météorites venant de l’espace. Ce que je veux dire par là, c’est qu’il est nécessaire d’élargir notre conception d’Al-Nakba et de la voir comme un processus désastreux, dont les graines furent sciemment semées au moins au début du siècle dernier, et dont les objectifs clairs ont été de nous déplacer et de nous isoler de notre terre originelle, pour nous remplacer par des colons juifs sionistes, lancés contre nous depuis d’autres parties du monde.

Mon appel à revoir notre conceptualisation de ce qui a été appelée Al-Nakba, ne vise absolument pas à nier, ni à sous-estimer, le mal qui a nous a été fait et qui a affecté toute une société, une histoire et un territoire. Al-Nakba se pose comme un repère incontournable dans la vie d’au moins trois générations de Palestiniens depuis 1947-48 ; un repère qui restera ineffaçable dans l’esprit des futures générations palestiniennes. Il s’agit, assurément, d’une rupture, d’une séparation violentes des Palestiniens d’avec leur passé : tout ce à quoi ils étaient accoutumés dans leur cadre quotidien, leur environnement immédiat et leur rapport naturel avec leur milieu. Il s’agit d’un processus qui a conduit au nettoyage (c’est-à-dire à des meurtres et des expulsions) d’au moins 86% de la population palestinienne indigène qui vivait sur le territoire devenu Israël ; et à l’effacement d’au moins 531 de ses villes et villages, dans le but explicite de créer un Etat exclusivement juif sur ce même territoire. Al-Nakba est un processus, toujours en cours, de « mémoricide » (pour employer le terme d’Ilan Pappe), visant à effacer une mémoire individuelle et collective, avec l’espoir qu’elle ne pourra être ranimée.

Processus d’Al-Nakba : les intermédiaires et les cibles

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L’objectif était (et est toujours) de déloger la population arabe indigène de Palestine.

A partir de ce qui précède, et selon toutes les analyses historiques sérieuses connues, il ressort qu’Al-Nakba n’a pas été un évènement soudain venant de nulle part. Ce qui est arrivé en 1947-1948 est le point culminant d’un processus d’implantation coloniale dont l’objectif était (et est toujours) de déloger la population arabe indigène de Palestine et de la remplacer par des colons juifs sionistes venant d’autres pays. Ces colons et leurs descendants ont été le fer de lance d’un processus systématique - commencé au début des années 20, au siècle dernier - pour le nettoyage du territoire de sa population palestinienne, le transformant pour qu’il devienne un prolongement du centre du capitalisme mondialisé. Ce processus se poursuit encore aujourd’hui, avec l’autorisation directe et indirecte des Etats-Unis, de l’Europe et d’une multitude de leurs vassaux, Etats et organismes non étatiques.

Pour parvenir à comprendre clairement et en profondeur ce vaste processus, je propose de prendre le « processus Al-Nakba » à deux niveaux : les phases de son développement et ses cibles. S’agissant de ses phases, nous pouvons en relever trois, qui se chevauchent quelque peu : 1) la phase de la conception/planification, 2) la phase de la réalisation, et 3) la phase de l’achèvement. Traversant ces trois phases, trois cibles nettes que je veux mettre en avant : 1) le peuple, 2) la terre, 3) les institutions.

La phase conception/planification

Il est reconnu que cette phase a commencé avec la tenue du premier congrès sioniste, en 1897. L’idée de créer un Fonds national juif (FNJ) dans le but d’acquérir des terres appartenant aux Arabes de Palestine - et de la région - pour l’usage exclusif des Juifs a été proposée lors de ce premier congrès sioniste, il y a plus de cent ans. L’idée d’un FNJ a été officiellement approuvée en 1901 et il a été enregistré comme entreprise en Grande-Bretagne en 1907, avec l’objectif explicite d’acquérir des terres et des immeubles « en Palestine, en Syrie, et en certaines parties de la Turquie et de la Péninsule du Sinaï ». Il fut stipulé par la suite que la terre acquise par le FNJ - quel que soit le moyen utilisé - et détenue par lui était « la propriété inaliénable du peuple juif et que, seule, une main-d’ ?uvre juive pourrait être employée sur ces implantations. » (Lesch). Par la suite, une commission britannique a conclu que « la terre était exterritorialisée. Elle cessait d’être une terre dont un Arabe (un Palestinien) pourrait tirer profit, pour l’époque et pour le futur. Non seulement afin qu’il ne puisse jamais la louer ni la cultiver, mais pour qu’il soit définitivement privé de son usage » (Lesch). En mai 1954, par une note officielle du gouvernement israélien, le FNJ a été officiellement subsumé comme entreprise en Israël. Ce Mémorandum signé a gardé ses objectifs tels qu’ils étaient dans l’enregistrement original, mais il a identifié les activités du FNJ « dans l’Etat d’Israël et dans tout secteur placé sous sa juridiction aux fins d’implanter des Juifs sur ces terres et propriétés. » En outre, le FNJ a été reconnu comme l’un des bras du mouvement sioniste mondial. (Abu Ras). On estime aujourd’hui que 13% (soit 2,5 millions de dunums [250 000 hectares]) de la superficie du territoire d’Israël sont détenus par le FNJ ; dont la majorité sont des terres appartenant à des Palestiniens exilés, des terres accaparées dans le cadre du processus de nettoyage ethnique.

Ainsi, il est flagrant que le Fonds national juif a bien été l’intermédiaire sioniste primordial pour Al-Nakba, le bras sioniste de la colonisation de la Palestine.

La mise en ?uvre d’Al-Nakba en Palestine a suivi un double mouvement : politico-diplomatique, et économique. Le processus d’implantation coloniale a été codifié (ou officialisé) en 1917 par la Déclaration du Britanique Balfour, quand le gouvernement britannique s’est déclaré « favorable à l’établissement, en Palestine, d’un foyer national pour le peuple juif ». Avec la fin de la Première Guerre mondiale et la création de la Société des Nations, la Grande-Bretagne fut désignée par la SDN, en 1923, puissance mandataire pour la Palestine. Le préambule du Mandat britannique reprenait la Déclaration Balfour avec des ajustements mineurs (Mallison dans Abu-Lughod, 61).

Ceci veut dire que les puissances occidentales, sorties victorieuses de la Première Guerre mondiale et fondatrices de la Société des Nations (puis, plus tard, des Nations unies après la Seconde Guerre mondiale) s’engageaient à créer « un foyer national pour le peuple juif » en Palestine, et à le réaliser. En d’autres termes, la SDN, le Mandat britannique et les Nations unies furent les entremetteurs essentiels au niveau politico-diplomatico-économique pour Al-Nakba.

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Un réfugié palestinien de 48 brandit ses titres de propriété.

Pour bétonner le contrôle sioniste sur la terre et toutes les ressources économiques essentielles, des hommes d’affaires juifs de premier plan ont reçu du gouvernement britannique des concessions monopolistes aussitôt que fut imposer le Mandat, dans les années 20 et 30 du siècle dernier, ceci bien que, « dans chaque cas, la concession ait été disputée par d’autres prétendants sérieux » (Lesch). De sorte que l’entreprise sioniste a été autorisée à mettre la main sur les ressources naturelles les plus importantes (par exemple, la Compagnie d’Electricité de la Palestine, l’exploitation des minerais de la Mer Morte, la Compagnie de la mise en valeur de la Terre de Palestine, etc.) en préparation d’Al-Nakba.

Parallèlement, le système d’enseignement sioniste-juif a été séparé du système qui prévalait dans la population indigène et il devenait totalement centralisé sous le contrôle exclusif du mouvement sioniste, celui-ci lui affectant environ 40% de son budget. L’objectif était clair : inculquer la revendication mythique du sionisme aux générations de colons ; renforcer le contrôle colonial sur le territoire ; et préparer une présence juive hégémonique séparée en Palestine.

Je reste convaincu que si le sionisme n’avait pas été un mouvement d’implantation coloniale avec l’objectif d’établir un « foyer national juif » exclusif en Palestine, et s’il n’avait reçu le soutien politique, économique et militaire des principales puissances occidentales sorties victorieuses des deux guerres mondiales, tout ce processus n’aurait probablement pas abouti à Al-Nakba. L’insistance récurrente à partager le territoire pour permettre un Etat juif hégémonique et exclusif en Palestine - contre la volonté manifeste de la population originaire de ce pays - qui persiste encore, malheureusement, au moment où j’écris, est le prélude direct d’Al-Nakba.

Tout réexamen sérieux des machinations et des délibérations - dans le contexte des Nations unies et des puissances occidentales dominantes cherchant à rendre opérationnelle la « Déclaration Balfour » conduisant à la création d’Israël - devrait conduire à la conclusion que le partage de la Palestine (indépendamment de la superficie attribuée à chaque partie) ne pouvait qu’entraîner le nettoyage de la population indigène vivant sur ce territoire, c’est-à-dire la recette infaillible pour Al-Nakba. Si nous réfléchissons à cette question du partage de la Palestine, qui répond aux aspirations sionistes et aux projets capitalistes occidentaux, dès le début de 1937 et tel que proposé par la Commission Peel, nous pouvons noter qu’aucun effort sérieux n’a été fait dans le cadre des Nations unies pour éviter Al-Nakba. La société palestinienne fut alors, comme aujourd’hui, complètement exposée, sans défense, à des forces extérieures et soumise au contrôle des éléments de ces forces à l’intérieur du pays. Sa structure intérieure sociale, économique et culturelle manquait du recul requis pour pouvoir résister à ces forces. Ainsi, un nouvel Etat juif-sioniste s’est implanté en 1948, sur une société indigène, rurale, décimée, appelée Palestine.

La pression persistante des centres impérialistes et capitalistes, et de leurs Etats vassaux, poussait alors, à l’instar du mouvement sioniste, en faveur de la partition physique de la Palestine afin de créer un Etat séparé pour les Juifs ; ils n’ont jamais été favorables à l’instauration d’une société juste et démocratique dans toute la Palestine. Cela aurait pu être possible si tel avait été leur objectif. Mais jamais cela ne fut le projet du mouvement sioniste - ni l’intention de la Déclaration Balfour, trente années plus tôt - ni de l’harmoniser avec l’objectif de création d’une agence juive suprême pour la colonisation (Fonds national juif), près de 46 années plus tôt.

Phases réalisation et achèvement

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Massacre de Deir Yassin, 9 avril 1948.

Je ne m’attarderai que très peu sur les détails de cette partie, parce qu’elle est très documentée et qu’elle est débattue par nombre d’historiens, palestiniens et non palestiniens, depuis les années 50 de l’autre siècle ; et qu’elle a été, ces derniers temps, documentée et analysée d’une façon plus globale par l’historien Ilan Pappe dans son beau livre, Le nettoyage ethnique de la Palestine (2006 - édité chez Fayard en 2008).

Pour en rester à quelques images, disons que les opérations de nettoyages ont démarré en décembre 1947. A l’époque, les Palestiniens constituaient les deux tiers de la population (alors qu’ils représentaient près de 90% de la population de la Palestine au début du Mandat britannique en 1923). Les Palestiniens possédaient alors environ 97% de la terre. Lors des opérations de nettoyage ethnique, 531 villages palestiniens ont été rasés ; plus de 86% de la population palestinienne indigène a été anéantie, expulsée ou déplacée. Ainsi, seuls, 14 à 15% de la population palestinienne (environ 130 000, 150 000) est restée dans son pays, pendant que les autres devenaient des déplacés ou des réfugiés sans abri.

Alors qu’une partie de la population palestinienne restait sur la terre qui était la sienne (en Israël), elle est estimée aujourd’hui à environ 1,3 million de Palestiniens, le vol de sa terre se poursuivait par le biais de la législation du gouvernement. En 1967, la Knesset israélienne votait la Loi du règlement agricole qui « interdisait la sous-location à des non-Juifs des terres à propriété juive du FNJ... Cette loi stipulait aussi que les quotas d’eau réservés aux terres FNJ ne pouvaient être transférés à des terres non FNJ » (Ilan Pappe - Fayard p. 286). La minorité palestinienne en Israël, qui constitue actuellement environ 18% de la population totale, « a été contrainte de subsister avec 3% seulement des terres »... « Selon les estimations,... 70% de la surface foncière appartenant aux Palestiniens d’Israël a été saisie ou leur a été rendue inaccessible ». (p. 287)

Comment pouvons-nous libérer notre avenir d’Al-Nakba ?

Sur la base de ce qui précède, je suis convaincu que le processus d’Al-Nakba restera récurrent dans l’avenir palestinien à moins que, et jusqu’à ce que, nous, et toutes les forces dans le monde qui refusent une Nakba récurrente, nous nous engagions sans équivoque dans les étapes suivantes :

1) - Arrêter de penser et d’agir en faveur du partage de la Palestine historique au prétexte qu’il faut trouver une solution à la situation injuste actuelle, résultat du processus de ces cent dernières années.

2) - Agir pour le démantèlement de l’Etat israélo-juif-sioniste, exclusiviste, raciste, pour aller vers un Etat démocratique, non hégémonique, pour tous les habitants de la Palestine historique.

3) - Mettre en avant le mal historique commis contre le peuple palestinien, et agir au niveau mondial pour contraindre le mouvement sioniste et l’Etat d’Israël à reconnaître leur responsabilité directe dans la perpétration de ce mal historique, et pour que de véritables mesures soient prises pour y remédier.


Khalil Nakhleh est Palestinien, anthropologue, consultant indépendant pour le développement et l’éducation, et écrivain. Ses deux derniers livres sont : Le mythe du développement palestinien (2004) et, avec Tafeeda Jirbawi, L’émancipation des générations futures (2008).

Il est l’éditeur d’un prochain livre L’avenir de la minorité palestinienne en Israël.

Le Dr Nakhleh réside à Ramallah et peut être joint à l’adresse : abusama@palnet.com.


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Le partage de la Palestine de 1947 à 1949
(Philippe Rekacewicz - avril 1998 - Monde diplomatique)

21 mars 2008 - CounterPunch - Traduction : JPP


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