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Palestine : Risquer l’amour en Palestine

samedi 8 mars 2008 - 06h:16

Naela Khalil - BabelMed

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Les femmes, en Palestine, qui se battent pour de meilleures conditions de vie reconnaissent que l’amour vient en tête de leurs priorités malgré tout ce qui risque de le gâcher.

Entre la culture de la réprobation et la mentalité orientale des hommes, l’amour peine en Palestine. Et les femmes qui se battent pour de meilleures conditions de vie reconnaissent que l’amour vient en tête de leurs priorités malgré tout ce qui risque de le gâcher. Une femme peut rencontrer l’homme idéal mais il n’y a pas assez d’espace pour eux : il n’est pas donné à une femme d’être avec un homme et de dire autour d’elle : c’est lui que j’aime.

La culture de la réprobation encercle l’amour et la religion stipule que la rencontre d’un homme et d’une femme, qui ne sont ni parents ni mariés, est un péché.

Sous le règne de la peur, on procède souvent à la dissimulation des choses et des sentiments. On se révolte en douceur et sans fracas contre bon nombre de tabous. Mais les grands dogmes de la société palestinienne, ceux qui interdisent tout débat sur des questions comme le fait de nouer une relation sentimentale, la virginité, sont débattus entre les jeunes filles. Elles le font juste pour se défouler et non pas en vue d’une révolte contre l’ordre familial ou social.

Si la conservation de la virginité s’explique chez certains par la conviction religieuse ou personnelle, d’autres femmes pensent qu’elle constitue l’examen juridique auquel doit se soumettre la jeune fille la nuit de ses noces. Elle doit prouver son innocence, faute de quoi elle souille à jamais l’honneur de sa famille et signe sa condamnation à mort.

Quant à l’amour et aux relations affectives, même quand ils ne dépassent pas le stade des mots doux ou celui d’une unique lettre d’amour, ils peuvent coûter la vie à une jeune fille. Les statistiques des associations féminines en Palestine soutiennent que 12 à 15 femmes sont tuées chaque année dans le pays.

Selon Rania Sanjalaoui, l’assistante sociale, la majorité des victimes ont été tuées parce que leur famille les avaient soupçonnées d’entretenir des relations sentimentales avec un homme, les familles présumant toujours que l’amour conduit à la sexualité, ce que démentent les médecins légistes affirmant que la majorité des victimes étaient encore vierges. C’est pour cela que l’amour est chose extrêmement difficile au sein de la société arabe. Il est condamné et par la société et par la religion, lui qui peut coûter la vie à une jeune fille. On comprend donc que les filles préfèrent entretenir des relations secrètes pour courir le moins de périls possible, l’amour valant encore la peine d’être risqué.

Il manque encore des dents aux engrenages de nos amours :
Bien qu’elle n’ait pas dépassé 33 ans et qu’elle soit considérée comme l’une des plus brillantes journalistes de Ramallah, Nibel Thaouabtah déclare : « Je sens se faner mon corps sans pouvoir en jouir. Je n’ai pas de partenaire dans ma vie et je me contente de la seule écriture sur l’amour ».

Thaouabtah est rédactrice en chef du mensuel Al- Haal (L’état) depuis trois ans et elle dirige l’unité télévisuelle du Centre de Promotion de l’Information à l’université de Bir Zeit. Joignant les doigts sur son corps élégant, elle ajoute : « J’ai la hantise de la vieillesse. C’est pourquoi je tiens à faire du sport chaque jour et à avoir une alimentation saine ».

L’amour a plus d’une histoire dans la vie de Nibel aussi a-t-elle recueilli toutes les histoires qu’elle-même, ses amies ou ses parentes ont vécues sous forme d’un roman, qui sera bientôt sous presse et paraîtra dans quelques mois. « J’ai fait le bilan de mes expériences et des leurs et j’ai placé le tout dans un moule de douleurs que j’ai appelé roman », commente-t-elle malgré les conséquences fâcheuses que la publication d’un tel roman pourrait entraîner pour elle, issue d’un milieu villageois conservateur. Sa famille vit encore dans le village de Beit Fijar dans le district de Bethlehem au sud de la Cisjordanie : « Le discours sur l’amour n’est pas un discours normal dans notre société conservatrice et je ressens de la ranc ?ur contre cette stigmatisation de l’amour dans la culture arabe d’aujourd’hui ». Et elle ajoute : « J’éprouve une grande amertume à la lecture des récits des grandes passions dans l’histoire arabe tel l’amour de Kais Ibn Moulaueh et de la grande liberté dont il jouissait, par rapport à ce que nous vivons aujourd’hui. A l’époque, un poète pouvait crier sur les toits sa passion. Et il n’était pas rare qu’il passe le plus clair de son temps devant la tente de sa bien-aimée, au vu et au su de la tribu. A l’époque, l’amour comportait beaucoup de respect, contrairement à ce qu’on voit aujourd’hui. Un grand nombre d’entre nous a expérimenté l’amour et a connu ses déceptions. Et je ne crois pas que l’amour idéal puisse exister parce qu’il y a toujours des dents qui manquent aux engrenages de nos amours. Dans nos sociétés, il faut se battre pour sauvegarder une relation affective et la couronner par un mariage. Malheureusement, une grande part de la flamme s’éteint dans le tumulte des batailles sociales ».

Nibel poursuit, l’air triste : « A l’université où je travaille, je passe devant des étudiants et des étudiantes dont on voit clairement qu’ils sont amoureux. Je les vois assis côté à côte et frustrés. Je sais que s’ils étaient dans un jardin en Angleterre ou en France, ils se seraient au moins enlacés mais cela n’est pas permis dans un pays régi par les us et coutumes, par la religion et par tous les interdits qui font qu’une relation entre deux personnes de sexe différent est impossible. En un mot, nos sociétés arabes tuent l’amour ».

Aimer, c’est attendre :

« L’amour est un plaisir : quelqu’un vous comprend, a peur pour vous et il est aussi, en ce qui me concerne, une longue attente. » C’est ainsi que Fédia Messaoud, 23 ans, définit l’amour. Fédia est tombé amoureuse du fils des voisins Mohamed Mokded depuis qu’elle était lycéenne, en terminale. En retour, il l’a aimée davantage, dit-elle. Ils ne se sont pas rencontrés dans un restaurant ni au cinéma, comme elle dit. Dans la société du camp où ils vivent, la marge de liberté donnée à de telles relations est quasiment nulle. Fédia et Mohamed vivent à Balata dans le district de Naplouse.

Balata est le plus grand camp de réfugiés palestiniens en Cisjordanie. « J’ai commencé, raconte-t-elle, à remarquer son regard admiratif et l’intérêt qu’il me portait. Nous vivions dans le même quartier surpeuplé. Sa s ?ur était une amie intime. Ce qui a toujours attiré mon attention, c’est qu’il était élégant et qu’il comptait su lui-même : étant d’une famille très pauvre, il travaillait la nuit au marché central pour payer ses études à l’université ». Fédia se souvient : « La première fois qu’il m’a parlé, c’était sur le chemin de l’école. Il m’a arrêtée et m’a déclaré sa flamme. Je me suis alors contenté de lui sourire sans dire un seul mot. Il a alors compris que je partageais les mêmes sentiments. Le lendemain, il m’a envoyé un mot avec sa s ?ur où il me disait qu’il m’aimait, qu’il voulait demander ma main dès que j’aurai passé mon baccalauréat et dès qu’il aurait terminé ses études à l’université. Notre relation a duré sept mois. Il me voyait à mon retour du lycée. Parfois, on se saluait, on échangeait quelques mots en hâte, ou on se donnait des lettres. Et j’allais rarement rendre visite à sa s ?ur, c’est-à-dire à mon amie. On avait alors l’occasion, si rare, de nous asseoir ensemble et de parler en paix. Cela arrivait lorsque sa mère était sortie ou alors qu’elle était occupée car nous tenions pas à ce qu’elle apprenne le motif de ma visite car elle aurait pu pensé du mal de moi. Il n’est pas dans nos coutumes ni dans nos traditions arabes qu’une jeune fille et un garçon parlent ensemble. Un jour, j’ai été très surprise d’apprendre que les forces d’occupation avaient arrêté Mohamed à l’aube. Dès le matin, la nouvelle s’était répandue dans le quartier et elle m’a littéralement foudroyée. Mohamed était en troisième année de la faculté des lettres. Et il allait passer ses examens. Son arrestation signifiait qu’il allait perdre toute une année. Et je ne savais pas combien de temps il passerait en détention. Je suis passée par une période très difficile faite d’angoisse et de peine. J’ai passé mon baccalauréat, avec beaucoup de mal. J’ai obtenu un total de 70/100, un résultat en deçà de ce que j’espérais. Mais aujourd’hui, je peux rendre grâce à Dieu De m’avoir permis de réussir malgré ce que j’endurais ».

Elle poursuit : « La seconde mauvaise nouvelle que j’ai eue dans ma vie, après l’arrestation de Mohamed, ce fut sa condamnation à cinq ans de prison pour appartenance à une des factions de la résistance. J’ai alors senti que la vie m’avait abandonnée. La première lettre qu’il ait pu envoyer de sa prison était adressée à sa famille mais il y avait dans la même enveloppe un petit mot pour moi qu’il avait demandé à sa s ?ur de me faire parvenir. Il y écrivait : “ Cinq longues années se sont interposées entre nous. Je ne te demanderais pas d’attendre mais je t’aimerai éternellement. Poursuis ton chemin ; le mien est trop long.” Après une semaine de réflexion, je lui ai envoyé une lettre par l’intermédiaire de la Croix Rouge Internationale où je lui disais : “Je t’attendrai. Je n’épouserai pas un autre homme que toi. ” »

Durant les quatre ans et demi écoulés, Fédia a rencontré de nombreuses difficultés. Belle et en âge de se marier, elle a dû repousser de nombreux prétendants. Devant ces refus répétés, sa mère insista pour en connaître la vraie cause parce que les nombreux prétextes avancés par sa fille ne la convainquaient pas. « Lorsque je lui ai appris la vérité, elle en fut surprise et elle m’a posé mille questions. Elle voulait savoir si nous nous étions rencontrés en tête-à-tête et où. Je l’ai rassurée en lui disant que je savais me préserver et que notre relation n’avait aucun caractère charnel, que Mohamed était sérieux et qu’il ne plaisantait pas. Ma mère ne résista pas à mes larmes. Elle est tendre et a beaucoup souffert lorsqu’elle s’est retrouvée seule avec nous, après la mort de mon père. Elle a dû aller travailler dans une usine à Naplouse pour nous élever et nous épargner le besoin, mes quatre frères et moi. Notre discussion a pris fin avec une demande insistante qu’elle me fit : que mes frères n’en sachent rien sinon ils changeraient d’opinion sur Mohamed et je risquerais de finir recluse à la maison ».

« Mohamed sortira de prison en automne 2008 », poursuit Fedia. « Il aura passé cinq ans en détention pendant lesquels nous avons vécu grâce à des centaines de lettres échangées par l’intermédiaire de la Croix Rouge Internationale et sa s ?ur qui a su garder notre secret. Je rage de voir que nos lettres mettent trois mois pour parvenir à destination. Le courrier des détenus et celui de la Croix Rouge sont extrêmement lents ».

Fédia sourit en ajustant le hidjab qu’elle porte avec un soin apparent : « J’ai terminé mes études à l’université, section Histoire et j’espère trouver bientôt un poste d’institutrice. Tout ce que nous souhaitons, Mohamed et moi, c’est de nous marier après sa libération. Nous sommes épuisés d’attendre. Et nous projetons d’avoir cinq enfants au moins. Bien sûr, ça sera après qu’il aura terminé l’année qui lui reste à l’université ».

Une rencontre amoureuse dans une troisième ville :

Hiba Radhouane, 24 ans, vit une histoire d’amour dont elle dit qu’elle est simple mais que la société exige des relations les plus simples planification et organisation comme s’il s’agissait d’un crime à commettre ou d’une bataille à mener.

Hiba est de Toulkarem. Elle aime Aous, un jeune homme de Jénine. Ils se sont connus lors d’une activité bénévole au sein d’une ONG. La flamme de leur passion s’est déclarée lors d’une réunion regroupant les sections de cette association. Hiba est diplômée en comptabilité et elle travaille dans une société privée à Toulkarem. Quant à Aous, 29 ans, il est diplômé en éducation physique depuis sept ans. Il a travaillé, pendant de courtes périodes, dans divers domaines autres que sa spécialité. Et il est encore à la recherche d’un emploi dans un club de sport ou en tant qu’instructeur sportif dans une école publique mais en vain.

Cela fait juste un an qu’ils se sont rencontrés, dit Hiba qui espère que son ami trouvera vite un emploi afin qu’il puisse demander sa main et qu’ils puissent rendre publique leur relation. Cela les changerait de cette situation qui met à rude épreuve leurs nerfs chaque fois qu’ils ont envie de se voir, de se parler une ou deux heures de temps tous les mois, ou même plus : « Notre relation vit encore grâce à Internet et au téléphone qui nous permettent de communiquer. Lorsque nous voulons nous voir, nous planifions cela pendant de longues journées. Nous nous rendons alors à Ramallah, moi qui viens de Toulkarem et lui qui vient de Jénine. Nous nous voyons dans un restaurant pour deux heures de temps à peu près. Puis chacun rentre chez lui. Il est impossible qu’il vienne me voir à Toulkarem car c’est une petite ville et je ne pourrais l’accompagner ni au restaurant ni dans un jardin public de peur qu’on me voie en sa compagnie ce qui provoquerait une grande gêne pour les miens et nuirait certainement à ma réputation par la suite.

Il n’y a pas longtemps, j’ai tout raconté à ma mère parce qu’elle commençait à avoir des doutes à cause de tous les appels et de tous les messages que je recevais sur mon portable. Elle s’est montrée compréhensive car, dans une certaine mesure, elle a l’esprit ouvert : elle rencontre beaucoup de gens de par son travail de monitrice dans une autoécole. Elle m’a promis de bien garder le secret et de ne pas en informer mon père qui travaille aux USA où il possède un magasin de bibelots depuis deux ans.

Pratiquement chaque jour, ma mère insiste pour que je fasse des pressions sur Aous afin qu’il vienne demander ma main officiellement, même avant qu’il ne trouve un emploi fixe puisqu’elle est prête à nous aider matériellement. Et elle affirme qu’elle se sent stressée et toujours angoissée à l’idée qu’un parent me voie avec Aous à Ramallah et qu’il en informe mes deux frères, qui, bien que plus jeunes que moi, ne manqueraient pas d’avoir une réaction virulente. Ils pourraient même pousser mes parents à m’obliger à quitter mon travail pour que je reste à la maison. Cela je ne peux même pas l’envisager. »

6 mars 2008 - BabelMed - Traduction par Jalel El Gharbi pour BabelMed


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