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Retracer l’histoire de Gaza jusqu’en 1948

mercredi 20 février 2008 - 06h:32

Mark Levine - Al Jazeera.net

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Les origines de la détresse actuelle de Gaza remontent à la fin de la période ottomane, soit des dizaines d’années avant que la guerre de 1948 ne transforme la Bande de Gaza - de port de peu d’importance adossé à un arrière-pays agricole - en un des lieux les plus surpeuplés du monde.

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Un fermier palestinien et sa fille regardent des tanks israéliens déferler sur Gaza [Getty]

C’est alors, au c ?ur de la première phase importante de la mondialisation, que le sort de Gaza a été scellé, même s’il fallut un demi siècle avant sa concrétisation.

A la fin du 19ème siècle, l’Empire ottoman était en voie de modernisation et ouvrait des provinces comme la Palestine à une plus grande pénétration économique et culturelle européenne.

C’est pendant cette période - à l’apogée du grand impérialisme - que le sionisme a débarqué sur le sol palestinien.

Au début du 20ème siècle, des milliers de juifs d’Europe orientale, jeunes et relativement non qualifiés, arrivaient chaque année en Palestine à la recherche désespérée de travail et de logement.

Gaza n’a jamais été un lieu privilégié pour les colonies sionistes ; toutefois, la ville avait une communauté juive, petite certes, mais établie de longue date ; en outre, plusieurs colonies, dont Kfar Darom, ont été créées dans la Bande sous le mandat britannique (1917-1948) et furent réinstallées après 1967.

La plupart des jeunes colons qui sont arrivés avec les trois premières vagues de colonisation juive entre la fin des années 1880 et la Première guerre mondiale, étaient incapables de concurrencer la main d’ ?uvre palestinienne mieux formée et moins payée ; cette main d’ ?uvre bénéficiait d’une économie palestinienne plus importante qui avait connu un développement significatif pendant les cent cinquante dernières années, avec des hauts et des bas, il est vrai,.

Cette situation amena le leadership sioniste socialiste naissant à élaborer deux stratégies : d’abord, « la conquête du travail » (kibosh ha-avodah) et devant son échec, la « conquête de la terre » (kibosh ha-karka’a) afin de réaliser la création de colonies autonomes, exclusivement juives, échappant à la concurrence des travailleurs non juifs.

La ville bourgeoise de Tel Aviv, créée en 1909, a suivi la politique de l’exclusivité juive du premier kibboutz, Degania, fondé la même année, un kibboutz étant un établissement agricole collectif.

Tant la ville que le kibboutz s’efforcèrent de créer un environnement moderne exclusivement juif, qui serait, du point de vue culturel, économique et politique, aussi autonome que possible par rapport à l’environnement ambiant - c’est-à-dire les anciennes communautés arabes/sépharades et les communautés juives ashkénazes non sionistes, tout autant que les Arabes palestiniens.

Transformer le sionisme

C’est de manière fondamentale que cette concurrence manifestée dès le début pour les emplois et la terre a aidé à transformer le sionisme lequel, selon le sociologue israélien Gershon Shafir, est devenu un « mouvement nationaliste militant » lors de la création de Tel-Aviv et de Degania.

Le nationalisme exclusiviste du mouvement a été exacerbé par le fait que le sionisme, à l’instar des nationalismes américain, australien et sud-africain, était en même temps colonial.

Tous ces mouvements illustraient une « colonisation par des colons » uniques dans leur but de remplacer, plutôt que d’exploiter la population indigène sur les terres colonisées. Cette stratégie était conforme à l’éthique socialiste du leadership sioniste émergeant, dont l’idéologie visait à éviter d’exploiter la population palestinienne.

En même temps, l’expérience que beaucoup d’importants dirigeants sionistes avaient acquise dans les colonies européennes en Afrique servirait à élaborer les politiques sionistes en Palestine.

Animés de la mentalité d’autres entreprises coloniales, les dirigeants sionistes justifiaient leur projet en prétendant que les juifs sionistes avaient le droit de gouverner la Palestine parce qu’eux - et non pas les Palestiniens - avaient la capacité de mettre la terre en valeur et d’en développer pleinement le potentiel, tirant ainsi la Palestine de son prétendu sommeil et de sa soi-disant stagnation pour l’introduire dans le monde moderne.

La réaction du nationalisme palestinien ne se fit pas attendre après les premières manifestations du sionisme, et fut tout aussi exclusiviste dans sa revendication du droit de gouverner la Palestine.

L’ « esprit de résistance » qui avait animé les Palestiniens face aux incursions étrangères - qu’elles soient le fait de la France napoléonienne ou de l’Egypte de Mehmed Ali - ne manqua pas de se manifester dans la mesure où les Palestiniens harcelèrent les Européens qui achetaient la terre dans le pays avant même la création des premières colonies sionistes.

Le conflit avec les colons sionistes commença dès le début des efforts de colonisation du mouvement sioniste.

Transition du pouvoir

Une fois que la Palestine fut passée du pouvoir ottoman au pouvoir britannique, il était inévitable que se produise un conflit à somme zéro pour l’avenir du pays, d’autant plus que l’immigration juive et les achats de terre augmentèrent spectaculairement pendant les années 20 et 30.

La situation fut exacerbée du fait que le gouvernement britannique avait reçu littéralement un « mandat » pour faciliter la création d’un foyer juif national en Palestine tout en se limitant à protéger les droits civils et religieux de la population autochtone.

La structure et les objectifs mêmes du mandat britannique exigeaient l’écrasement de tout leadership palestinien indépendant.

Pendant ce temps, la manière la plus logique et la plus « efficace » de développer l’économie consisterait à tabler sur les programmes de développement du mouvement sioniste, dont l’idéologie, le discours politique et économique flattaient les sensibilités impériales européennes et les puissantes sympathies sionistes chrétiennes qui avaient vu le jour en Angleterre à la fin du 19ème siècle.

Tout aussi important fut l’énorme afflux de capitaux que l’entreprise sioniste attira dans le pays dont le développement pouvait donc se faire sans que cela en coûte beaucoup au contribuable britannique.

Ironiquement, des dirigeants sionistes comme Felix Frankfurter, juge à la Cour suprême, dira qu’aucun « cordon sanitaire » ne pouvait protéger la Palestine du monde moderne qui, selon lui, n’était arrivé qu’avec le mouvement sioniste et le mandat britannique.

En fait, ni l’un ni l’autre n’avaient introduit la modernité en Palestine puisque celle-ci était déjà présente depuis des décennies.

Les sionistes ont simplement remplacé une modernité ottomane naissante et de plus en plus cosmopolite dans laquelle la Palestine avait connu un développement rapide lors des dernières décennies de la domination turque. A ce développement avaient contribué des Arabes juifs et les premiers sionistes, ainsi que l’intensification des échanges commerciaux et des contacts avec l’Europe. Les sionistes lui ont substitué une modernité européenne coloniale qui finirait par évincer les Palestiniens et par en expulser plus de la moitié de leur terre.

Dans le cas de Gaza particulièrement, cela a consisté, d’abord en 1948, puis en 1967, et à nouveau pendant la décennie Oslo marquée par la « séparation » et le « divorce » entre les Israéliens et les Palestiniens, à entasser les Palestiniens dans une prison dont ils essaient toujours de s’évader.

Arrivée massive de réfugiés

Au début de la guerre de 1948, la population de la région de Gaza se situait entre 60.000 et 80.000 personnes. A la fin des hostilités, au moins 200.000 réfugiés ont afflué dans ce qui allait devenir la Bande de Gaza, dont le pourtour rectangulaire correspondait grosso modo à la zone du District de Gaza de l’époque du mandat (mais diminuée d’au moins un tiers).

La forme exacte de la Bande de Gaza a été déterminée par les positions respectives des forces égyptiennes et israéliennes au moment de l’annonce du cessez-le-feu .

La majorité des réfugiés avaient été chassés ou évacués presque systématiquement
des villes et des villages palestiniens depuis Jaffa en direction du Sud vers la ville de Gaza, ainsi que depuis les villages environnants, dépeuplés pendant la guerre, situés au Nord et à l’Est.

Ces réfugiés ont été logés pendant les années suivantes dans huit camps répartis dans la région dont beaucoup étaient d’anciennes bases militaires britanniques. En 2000, dernière année du processus de paix d’Oslo, le nombre de réfugiés et de leurs descendants avait dépassé les 400.000.

La hijra de Gaza

Ayant passé plusieurs années à interviewer des réfugiés à Gaza, Ilana Feldman, professeur à l’Université de New York, décrit le parcours typique suivi par celui qui devient un réfugié dans la Bande de Gaza, expérience que beaucoup de Gazaouis ont nommée la « hijra » (pour utiliser la terminologie islamique décrivant la fuite de la communauté musulmane, encore petite, de la Mecque à Médine en 622) ; cette hijra s’est produite « presque sans que l’on s’en rende compte ».

« Ils n’ont pas traversé de frontière internationale, ils ont simplement descendu la route...Peu d’entre eux ont imaginé qu’ils partaient pour plus de quelques jours ou de quelques semaines » écrit-il. A son avis, les réfugiés de Gaza sont le microcosme de l’expérience palestinienne plus large, celle de la Nakba, la catastrophe de la guerre de 1948.

A l’encontre de la Rive occidentale, qui a été effectivement annexée par la Jordanie en 1950 et dont la population s’est vu offrir la citoyenneté jordanienne, l’Egypte a maintenu Gaza sous commandement militaire jusqu’à l’élection d’un conseil législatif en 1957.

En outre, contrairement au cas de la Jordanie, l’Egypte a peu de liens avec Gaza et ne s’en préoccupe pas beaucoup ; par conséquent, la Bande n’a retenu que peu d’attention et n’a guère bénéficié d’investissements pour son infrastructure de 1948 à 1967.

Les colonies juives

Après sa conquête par Israël, Gaza a vu s’établir 17 colonies juives dans la Bande de 1970 à 2000. Si le nombre de colons a été bien inférieur à 10.000, les colonies ont néanmoins dominé la géographie de la Bande, s’étant assurées l’accès à une bonne partie des meilleures terres, de l’eau et des zones côtières.

A cause de la présence des colons, 60 pour cent seulement de la Bande sont passés sous contrôle palestinien pendant Oslo. Les colons, qui ne représentaient qu’un demi pour cent de la population de la Bande, contrôlaient 40 pour cent de son territoire et une proportion encore plus grande de ses ressources.

Cette situation n’allait pas changer sensiblement pendant la période Oslo, et quand le dernier colon est parti, cinq ans après le début de l’intifada al-Aqsa de septembre 2005, Gaza est devenue effectivement la plus grande prison du monde.

* Mark Levine est professeur d’histoire à l’UCI Irvine et auteur ou éditeur d’une demi douzaine de livres traitant du conflit israélo-palestinien et de la globalisation au Moyen-Orient, notamment : Overthrowing Geography : Jaffa, Tel Aviv and the Struggle for Palestine, Reapproaching Borders : New Perspectives on the Study of Israel and Palestine, Why They Don’t Hate Us : Lifting the Veil on the Axis of Evil,et bientôt An Impossible Peace : Oslo and the Burdens of History.

17 février 2008 - Al Jazeera.net - Vous pouvez consulter cet article à :
http://english.aljazeera.net/NR/exe...
Traduction : amg


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