16 septembre 2017 - CONNECTEZ-VOUS sur notre nouveau site : CHRONIQUE DE PALESTINE

Vous êtes ici : Accueil > Dossiers > Palestine > Analyses

L’Histoire ne les acquittera pas !

dimanche 2 mars 2008 - 19h:06

Juan Goytisolo

Imprimer Imprimer la page

Bookmark and Share


Celui qui imaginait que l’entrée triomphale de l’armée américaine à Bagdad et que l’effondrement de la tyrannie de Saddam Hussein ouvriraient, non seulement pour l’Irak mais aussi pour l’ensemble du Proche-Orient, une ère nouvelle de paix, de démocratie et de prospérité, vit sur une autre planète, probablement sur Mars : il ignorait la structure tribale et clanique du pays, ses affrontements ethniques et religieux entretenus au long des siècles de règne des dynasties étrangères.

Si les Ottomans se montrèrent capables de rassembler avec pragmatisme cette mosaïque de pièces bigarrées, leurs successeurs anglais ne se distinguèrent pas comme ils le croyaient dans une brillante parade militaire et durent recourir à l’emploi de gaz toxiques pour écraser la rébellion des tribus et neutraliser l’action des forces centrifuges réticentes à accepter les frontières tracées conformément aux accords de Sykes-Picot.

Après une dure pacification de 10 ans, la dynastie Hachemi fut conduite sur le trône sous la tutelle non dissimulée des compagnies pétrolières britanniques. En 1958, un féroce coup d’état mit fin au règne des Hachemis (princes et princesses comprises) et, depuis lors, l’Irak a été gouverné d’une main de fer par les militaires et les membres du parti Baaz, chacun d’entre eux appartenant à la minorité sunnite. L’ascension et la chute de Saddam Hussein - sa guerre d’agression contre l’Iran encouragée et soutenue par l’Occident, le génocide du peuple kurde de Halabya, l’invasion du Koweit, la guerre du Golfe, la répression sauvage du soulèvement chiite, etc- sont dans tous les esprits et je ne m’attarderai pas là-dessus.
Au printemps 2003, nous avons entendu parler de la reconstruction rapide du pays, d’un nouveau plan Marshall, de fabuleux revenus pétroliers qui enrichiraient les membres de la coalition et participeraient au passage à la cause du progrès et de la liberté dans le monde arabe. Trois ans plus tard, nous constatons qu’aucune de ces prédictions se sont réalisées. Depuis la désastreuse décision du proconsul américain Paul Bremer de dissoudre l’armée et la police de Saddam, laissant à la rue des dizaines de milliers de ses membres qui ne tardèrent pas à former une insurrection, les milices chiites et sunnites imposent leur loi avec brutalité et campent à leur aise, les décapitations et meurtres de groupes religieux rivaux par de mystérieux escadrons de la mort augmentent tous les jours. La guerre civile est déjà une réalité et les énormes sommes destinées à la reconstruction de l’Irak sont employées dans la protection douteuse du personnel chargé de sa réalisation.

Les occupants restent retranchés sur leurs bases et leurs raids meurtriers contre l’insurrection, appelés par euphémisme « dommages collatéraux » qu’ils entraînent, augmentent la haine d’une population qui les accueillent comme des libérateurs. Abu Ghraib et la multiplication des « erreurs » admises par le Pentagone n’arrangent pas les choses. La confusion et l’horreur quotidienne qui règnent dans ce qu’on appelle « le triangle sunnite » s’étend aujourd’hui au sud et aux installations pétrolifères menacées par des groupes incontrôlés. La mort d’Abu Musab al Zarqaui- bourreau impitoyable d’otages et auteur d’une délirante fatwa sur le devoir religieux d’exécuter les « apostats » chiites, soit 60 % de la population irakienne- ne va pas, en tous cas à moyen terme, changer le cours de l’insurrection ni le nettoyage ethnique des zones et des quartiers mixtes ni l’islamisation forcée d’une société laïque, dont les femmes sont les premières victimes. Contrairement à l’adage, « la rage ne s’arrête pas toujours avec la mort du chien » [proverbe espagnol].

L’invasion illégale de l’Irak, basée sur des mensonges et des manipulations, est à ce stade un désastre de dimensions incompréhensibles. Empêtrés dans le bourbier qu’ils ont eux-mêmes créé, les occupants - qui peut encore les appeler les libérateurs ?- se trouvent dans un dilemme de décider entre rester là (on ne sait pas combien de temps) et partir (de manière progressive afin de sauver la face). Abandonner l’aventure militaire après avoir transformé l’Irak en une pépinière de Djihadistes fanatiques et de terroristes kamikazes, ce serait admettre une défaite plus humiliante et infiniment plus dangereuse que celles du Liban ou de la Somalie. Prolonger l’occupation dans l’espoir de laisser en place un gouvernement capable d’imposer une difficile, mais pas impossible, stabilité les rend otages de la majorité chiite dont personne ne peut ignorer les liens avec Téhéran.

Dans le bras de fer avec le régime des ayatollahs sur leur accès à la technologie nucléaire, ce dernier dispose de meilleurs atouts. Enlisés dans la vallée de l’Euphrate, les américains ne peuvent pas se permettre d’ouvrir un nouveau front. Comme les a avertis Ali Yameini, l’Iran tient la clé du détroit d’Ormuz par lequel transite le pétrole brut saoudite, des Emirats arabes, du Koweit, de l’Irak et le leur. Sa fermeture ou une atteinte à la proximité des gisements de l’or noir par rapport à ses voisins serait un coup insupportable donné à l’économie américaine et aux pays dépendants de l’approvisionnement en énergie en provenance du Moyen-Orient.

Si on ajoute à çela la situation intolérable de la population palestinienne, enfermée dans des ghettos impraticables par le monstrueux mur de ciment érigé par Israël au mépris du Droit International et des résolutions de l’ONU - situation aggravée aujourd’hui par les incursions et attaques meurtrières à Gaza et au Liban- nous justifions que l’unilatéralisme et l’idéologie d’extrême droite de Bush et ses conseillers ont encouragé la montée du Djihadisme dans le monde islamique et ont transformé l’Irak en une poudrière condamnée à la même misère que l’Afrique subsaharienne par les subventions protectionnistes des agriculteurs américains, ont substitué les programmes d’aides de Clinton par d’exorbitants budgets de Défense, ont réduit les droits civiques de la population, ont dissimulé des infamies comme celles de Guantanamo et ont augmenté la dette nationale à des chiffres jamais vus. L’arrogance et l’imprévoyance du premier mandataire se retournent comme un boomerang contre lui : sa popularité est au plus bas et l’effet de son voyage éclair à Bagdad ne durera probablement pas plus que la mise en scène d’il y a trois ans, en pleine euphorie guerrière. La combinaison d’autisme volontaire, de grossières erreurs stratégiques et de messianisme religieux inspiré par des prédicateurs comme Pat Robertson l’ont déjà consacré comme le pire président qu’a eu la démocratie d’Amérique.

Si le soutien sans faille aux théocraties du golfe ou aux régimes corrompus favorables aux intérêts politiques et économiques américains n’augure rien de bon pour l’avenir démocratique des peuples arabo-musulmans, l’invasion de l’Irak, projetée, comme nous le savons aujourd’hui, avant le 11 septembre, et l’invention des liens inexistants entre Saddam et Al Qaïda initient une dérive inquiétante de la Maison Blanche vers une guerre asymétrique contre le Mal, sans limites de temps ni de frontières, dont nous sommes tous les otages. La lutte contre le terrorisme international abrite non seulement de graves abus et violations des Droits de l’homme mais il compare des actes de résistance légitime aux occupations illégales à des boucheries perpétrées contre des civils sans défenses. C’est à dire : il transforme l’énorme complexité de la situation politique, économique, religieuse et culturelle que nous affrontons en une croisade manichéenne dictée par un islamisme radical.

Il est surprenant qu’aucun politique important du poids du Parti démocrate américain, écarté du pouvoir par la ruse du Gouverneur de Floride, n’ait soulevé à ce stade la nécessité d’un processus d’ « impeachment » présidentiel comme celui qui a conduit, pour avoir nié la vérité et entravé la loi, à la démission de Nixon. Les mécanismes de sauvegarde de la première démocratie du monde ont-ils rouillé et perdu leur force ? Bush et ses conseillers ne sont-ils pas présumés coupables de graves illégalités et de dissimulations ? Il nous reste une maigre consolation : l’histoire ne les acquittera pas.

JPEG - 5.1 ko
Juan Goytisolo

Du même auteur :

- Gaza abandonnée

22 juillet 2006 - El Païs - Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.elpais.com/articulo/opin...
Traduction de l’espagnol : C.B


Les articles publiés ne reflètent pas obligatoirement les opinions du groupe de publication, qui dénie toute responsabilité dans leurs contenus, lesquels n'engagent que leurs auteurs ou leurs traducteurs. Nous sommes attentifs à toute proposition d'ajouts ou de corrections.
Le contenu de ce site peut être librement diffusé aux seules conditions suivantes, impératives : mentionner clairement l'origine des articles, le nom du site www.info-palestine.net, ainsi que celui des traducteurs.