Les proches de soldats israéliens tués ou blessés durant la guerre du Liban en 2006 dénoncent les conclusions du juge rendues publiques mercredi. Témoignages.

« Je suis anéanti. J’ai l’impression que l’on enterre mon fils pour la seconde fois. » A l’instar de dizaines d’autres parents de soldats israéliens tombés durant la guerre du Liban en été 2006, Yossi Shakhar campe dans la tente dressée depuis quelques jours à proximité du cabinet d’Ehoud Olmert. Il fait froid. La neige tombe sur Jérusalem, mais il n’en a cure.

« Incompétents, incapables »

« Lorsque mon fils a été tué le 5 août 2006, je me suis dit que je devais m’en prendre qu’à moi-même puisque je l’ai élevé dans l’amour du pays et en lui inculquant le sens du dévouement, explique Yossi Shakhar. Aujourd’hui, je m’en veux encore plus, car je me rends compte qu’il est allé se faire tuer sur ordre d’un gouvernement formé d’incompétents et d’un état-major composé d’incapables. Même si cela ne me rendra pas mon enfant, j’aurais aimé que le rapport de la commission Winograd ne se contente pas de généralités sur la mauvaise gouvernance. Qu’il fasse tomber des têtes et que les coupables rendent publiquement des comptes. »

Abandonnés par une grande partie de la classe politique, qui préfère la stabilité à des élections anticipées, les soldats ayant combattu au Liban et les familles de ceux qui sont tombés promettent pourtant « d’empêcher Ehoud Olmert de dormir tranquille ». Ils sont encouragés par les trois sondages publiés jeudi et selon lesquels près de deux Israéliens sur trois estiment que le premier ministre devrait démissionner (lire encadré).

A la pointe de ce mouvement figure Tomer Bouadana, un simple soldat devenu « héros national » après avoir été gravement blessé devant l’objectif des caméras. Le corps noirci encore fumant, un ?il entrouvert et l’autre gonflé de sang, il a trouvé la force de lever la main pour faire le « V » de la victoire face aux photographes. Son geste l’a propulsé à la une de tous les quotidiens israéliens et l’opinion s’est identifiée à cet homme au langage direct.

« Autorité morale perdue »

Deux jours avant la publication du rapport de la commission Winograd, lorsque Ehoud Olmert a annoncé qu’il ne démissionnerait pas quoi qu’il arrive, Tomer Bouadana et ses amis ont envahi la Knesset afin de perturber l’audience d’une commission parlementaire dont les travaux étaient diffusés en direct par la télévision. « Qui êtes-vous pour être aussi méprisants à notre égard ? » a lancé le réserviste aux députés de la Kadima (le parti d’Ehoud Olmert) présents dans la salle. Que faisiez-vous pendant que nous prenions d’assaut les villages du Sud-Liban et que le Hezbollah nous tirait comme des lapins ?

Depuis lors, le grand blessé est sur tous les fronts. « Le Premier ministre dispose de tous les attributs matériels de sa fonction, mais il en a perdu l’autorité morale, assène-t-il. Beaucoup d’entre nous ne le respectent pas. On trouve son comportement empreint de petitesse. »

Mobilisé au beau milieu de la guerre, Doubi Ganich est le seul combattant israélien à avoir été blessé après l’entrée en vigueur du cessez-le-feu du 14 août 2006. Par malchance, il a sauté sur une mine du Hezbollah alors que son unité se repliait sur l’Etat hébreu et il y a laissé une jambe. S’il refuse de parler de la dépression qu’il vient de vaincre et des difficultés de sa rééducation, il est en revanche très prolixe à propos de la commission Winograd. « Ce rapport vient trop tard, dit-il. Certes, je milite toujours contre Ehoud Olmert mais, au fond de moi, je sais que les gens ne descendront pas dans la rue pour autant. En réalité, le rapport publié mercredi est plus que le portrait de l’action de nos dirigeants. C’est un miroir dressé devant la société israélienne et l’image qu’il renvoie n’est pas belle. »

Tel Aviv, le 1er février 2008 - Le Temps