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Une violence politique justifiée

jeudi 31 janvier 2008 - 08h:41

Allan Nairn - Counterpunch

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Que se passerait-il si des Palestiniens décidaient de briser aussi le mur de Cisjordanie ?

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Une certaine violence peut être justifiée en ultime ressort et,
quelquefois, être au surplus, pertinente.




La destruction du mur de Gaza

La destruction du mur entre Gaza et l’Egypte est manifestement une bonne chose, un exemple rare de l’usage moral - et pertinent aussi - de la violence en politique.(*)

La plupart du temps, la violence politique est manifestement une faute, tels les meurtres et les guerres injustifiés, mais parfois, malheureusement et à contrec ?ur, une certaine violence peut être justifiée en ultime ressort et quelquefois, dans ce cadre, être au surplus, pertinente, tactiquement.

Quand vous n’êtes pas directement touché par les meurtres, les crimes de guerre et tout acte contre l’humanité, certains choix concernant l’usage ou non d’une certaine violence peuvent légitimement paraître durs et discutables.

Mais là, il est aisé de se déterminer sur la démolition du mur de Gaza : personne n’a été tué, certains ont pu même être sauvés, et le spectacle de l’exode vers l’Egypte a mis en évidence le drame d’une injustice choquante.

L’ironie, c’est que cela a apparemment été fait (mais à quel niveau précisément ?) par, ou avec, des gens du Hamas ; un mouvement qui, par ses tirs sur les civils israéliens, est considéré aux yeux de beaucoup, comme immoral, criminel et tactiquement stupide, un mouvement qui transforme l’opprimé en oppresseur, et certaines victimes en réels assassins.

Mais cet usage de la violence - contre de simples briques de mur - était fondé, c’était un coup de génie. En dépit d’une légende selon laquelle les renseignements israéliens seraient au courant de tout, certains tueurs des FDI (forces de défense israéliennes), du Shin Bet, du Mossad et du Conseil des ministres ont dû être stupéfiés et, pour un temps, ébranlés.

C’était, après tout, le premier gros coup habile palestinien de l’Intifada de David contre Goliath, ponctuée par de simples jets de pierre d’adolescents contre des chars d’assaut et des soldats équipés de gilets pare-balles, Intifada qui a dénoncé l’occupation, il y a vingt ans, mettant le régime d’Israël sur la défensive. (Non qu’elle ait duré assez longtemps pour produire ses résultats : les lauréats de la Paix, Rabin et Arafat, l’ont tuée ; Rabin en brisant les genoux : « Force, puissance et raclées », telle était sa consigne qui, pendant longtemps, a terni davantage encore l’image d’Israël, puis par Arafat qui a arrêté les Davids de 10 ans, car ils étaient en train de gagner sans qu’il ait donné son approbation).

Le pauvre Washington Post a été complètement abasourdi et perturbé par cette brèche dans le mur à Gaza.

Il en a été réduit à accuser le Hamas « d’exploiter l’arrêt temporaire (par Israël) des fournitures de carburant », enfin c’est ce qu’il disait aux gens (les journaux ne sont pas censés encourager cela ?), et acculé à une fâcheuse position - si on rentre dans sa logique - où le journal a semblé soutenir le déni des droits des réfugiés du Darfour. (« Alors que, par milliers, ils franchissent la frontière vers l’Egypte, le Hamas bloque le processus de paix », The Washington Post, 24 janvier 2008).

The Post interroge : « Mr Mubarak autoriserait-il des dizaines de milliers de réfugiés du Darfour à entrer illégalement en Egypte depuis le Soudan, là où une vraie crise humanitaire menace ? » (comptant sur le lecteur pour répondre de façon réaliste, honteuse - pour Mubarak - « Non »), puis il demande à Mubarak d’appliquer la même règle honteuse en barrant le passage à ces gens de Gaza qu’il n’a pas invités.

Ainsi, afin de maintenir les Palestiniens à l’extérieur (ou, plus précisément, de les garder enfermés), vous semblez prêt à refouler aussi les Darfouriens ?

Quand vous en arrivez à de tels arguments, c’est le signe que votre position sur la question est quelque peu ébranlée.

Que se passerait-il si des Palestiniens décidaient de briser aussi le mur de Cisjordanie ? Que dire de dizaines de milliers d’ados qui arriveraient un matin, à l’aube, avec des pioches et des pinces-monseigneur ?

Les FDI massacreraient-elles les gens pour protéger du béton ?

C’est tout à fait possible.

Elles se sentiraient dans leur droit.

Comme le ministre de la Justice, Haim Ramon, l’a déclaré, « Nous avons le droit de tout détruire » (Gideon Levy, « Petits Ahmadinejads », Ha’aretz, 10 juin 2007). Et même s’il parlait alors de la guerre du Liban de 2006 (bilan final succinct : 1 000 civils libanais et 40 civils israéliens tués, et 4 millions de petites bombes à sous munitions éparpillées par les FDI dans le sud du Liban), il aurait pu parler des grandes philosophies morales et pénales des establishments israélo-étasuniens et - s’agissant d’Israël -, parler beaucoup de la société israélo-étasunienne d’aujourd’hui.

Mais si elles le faisaient, si elles ouvraient le feu, l’histoire d’Israël/Palestine recommencerait, et de nombreux Palestiniens mourraient, comme d’habitude. Mais cette fois, ils pourraient ne pas mourir en vain, car beaucoup dans le monde, y compris aux Etats-Unis, verraient qui opprime qui.

A propos, le principal quotidien d’Israël, Ha’aretz, a publié une critique rigoureuse de la logique sécuritaire derrière le vaste ensemble de barrières qui enferment les villages de Cisjordanie, un ensemble dont le mur n’est que la manifestation ultime, la plus haute.

La raison avancée pour ces barrières qui détournent et entravent les Palestiniens, qui les épuisent et les font mourir dans les ambulances, est qu’elles empêchent les kamikazes d’attaquer ; ce qui est, en soi, un bon objectif.

Mais les journalistes d’Ha’aretz trouvent que, de façon incroyable, 475 des 572 barrages routiers sont automatiques, alors ils posent logiquement les questions décisives : « Quoi, les kamikazes ne peuvent pas passer ici ? Ils ne vont pas enjamber les barrières automatiques qui stoppent les gens ordinaires (et les ambulances) ? »

L’analyste d’Ha’aretz en arrive à la conclusion légitime que cet enfermement des Palestiniens a une autre fonction :

« Quelqu’un peut-il sérieusement soutenir qu’un monticule de terre, un fossé ou une série de blocs de béton puissent empêcher des terroristes de se déplacer ? Ces barrières ne servent-elles pas à aigrir la vie des Palestiniens ? Les malades et les personnes âgées, les femmes enceintes et les gens portant leurs cabas ont certainement plus de difficultés pour entrer et sortir de leurs villes et villages barricadés. Et effectivement, deux organisations, B’Tselem et les Médecins pour les droits de l’homme, ont fait connaître des cas de personnes malades incapables de recevoir leur traitement parce qu’elles ne pouvaient arriver jusqu’à leurs médecins et centres médicaux - alors que quiconque projetterait une attaque terroriste pourrait facilement grimper sur les monticules, traverser le fossé ou contourner les blocs... »

« Aucun, parmi ceux avec qui j’ai discuté » continue le journaliste Daniel Gayron, « a une explication militaire convaincante pour ces barrages routiers automatiques. En réalité, les gens qui connaissent bien la pensée militaire israélienne m’ont convaincu que le principal objet de ces barrières était de fragmenter le territoire, de prendre les devants efficacement pour empêcher tout "Etat palestinien contigu" tel que mis en avant récemment par le président US, George Bush. Rien de ce que j’ai entendu ne m’a convaincu que les barrages routiers automatiques amélioraient la sécurité des Israéliens en Israël, ni même celle des colons juifs dans les territoires. » (Daniel Gavron, « Commencer par les barrages routiers automatiques ! », Ha’aretz, 23 décembre 2007 - qui se réfère aussi à des articles antérieurs d’Ha’aretz).

Et comme la correspondante israélienne avertie, Amira Hass, le fait remarquer, il y a d’autres raisons (autres que le mur et les barrières) derrière la baisse récente des attentats : attentats par des Palestiniens ambulants, augmentation des attentats par les aviateurs israéliens (voir Amira Hass, « Où sont les kamikazes ?  », décembre 2007/Kibush.co.il, traduit de l’hébreu par George Malent. Hass constate que certains Palestiniens, cherchant désespérément du travail, franchissent quotidiennement le mur pour passer en Israël. S’ils le peuvent, alors les kamikazes le peuvent aussi s’ils le veulent, individuellement ou politiquement).

Et, en tout état de cause, les colonies et l’occupation sont déclarés illégales, comme le mur, par la Cour internationale - et sans surprise, tous font le malheur des Palestiniens -, de sorte que la meilleure solution sécuritaire est tout simplement de les supprimer.

Mais le régime israélien semble vouloir pérenniser une tension belliciste. Elle sous-tend aujourd’hui sa culture politique.

Très bien. Ils peuvent vouloir ce qu’ils veulent.

Mais ils n’ont aucun droit de l’imposer. Et ni les Palestiniens, bien sûr. Ils ont juste le droit de leurs droits.

Etant donné que l’un veut abattre ce mur illégal, et que l’autre, Mr Olmert, ne le veut pas, peut-être que des ados palestiniens vont le faire pour lui.

Il peut aller les rencontrer sur le mur, à l’aube.

Dites-lui d’apporter une pioche.



* Pour la logique et les effets du bouclage israélien de Gaza, voir l’article du 7 décembre 2007, "Imposed Hunger in Gaza, The Army in Indonesia. Questions of Logic and Activism".

Nairn est un spécialiste de la question du Timor oriental. Lauréat de plusieurs prix d’excellence en journalisme, Allan Nairn a enquêté sur le rôle des États-Unis dans la création des escadrons de la mort au Salvador, la stratégie militaire américaine en Amérique latine, les services de renseignement militaires au Guatemala.

Son blog : News and Comment

28 janvier 2008 - Counterpunch - traduction : JPP


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