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Israël devra bien finir par discuter avec ceux que son armée cherche à tuer

vendredi 18 janvier 2008 - 06h:45

Alain Campiotti - Le Temps

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A peine George Bush a-t-il quitté le Proche-Orient que la violence et la division commencent déjà à refermer la parenthèse diplomatique. En avançant, Annapolis cultive dans les deux camps les oppositions.

Cette image va chauffer un peu plus l’opinion arabe : Mahmoud Zahar en pleurs soutient de ses deux mains la tête de Hussam, son fils mort, et ferme ses yeux. C’était mardi, dans le grand brouhaha de l’Hôpital Shifa, près du bord de mer à Gaza, sous l’ ?il des caméras. La scène alimentera d’autant mieux la saga des martyrs que le Dr Zahar, médecin et écrivain, homme fort du Hamas dans la bande, s’est fait lui-même le mémorialiste des combattants palestiniens tombés, et qu’il a perdu cette semaine le deuxième de ses quatre fils : Khaled avait été tué en 2003 par une bombe israélienne qui visait le père, dans sa maison.

A peine George Bush a-t-il tourné les talons que l’horizon de nouveau se bouche au Proche-Orient, en accéléré. Les groupes armés de Gaza avaient précédé et accompagné le voyage de l’Américain honni d’une pluie régulière de roquettes artisanales tirées vers Israël. Tsahal, qui rongeait son frein sur ordre, a déclenché sa riposte au moment où cet intermède diplomatique se fermait.

Retenez l’enchaînement. Lundi, les négociateurs israéliens et palestiniens du processus d’Annapolis étaient réunis pour ouvrir les dossiers les plus brûlants. Mardi, le raid punitif le plus intense (qui a coûté la vie au fils de Zahar) était déclenché en plein centre de la ville de Gaza, à Zeitoun, fief du Hamas. Mercredi, le chef militaire du Djihad islamique, Walid Obeidi, longtemps poursuivi, tombait près de Jénine, en Cisjordanie. Au même moment, Avigdor Lieberman et son petit parti d’épurateurs, partisans pourtant de cette méthode forte, lâchaient Ehoud Olmert à la veille de la publication du rapport définitif sur la guerre du Liban en 2006, qui peut faire chavirer le gouvernement. Et à Ramallah, Mahmoud Abbas, dont la modération est constamment prise à contre-pied et dont le gouvernement est contesté par le Fatah, son propre parti, dénonçait, bien forcé, les « massacres » commis à Gaza. Autrement dit, les deux protagonistes poussés sur la scène d’Annapolis sont encore plus faibles qu’en décembre.

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Mahmoud Zahar pleure la mort de son fils Hussam, 24 ans ... - Photo : AP/Khalil Hamra

L’escalade militaire est encore contrôlée, des deux côtés. Le Hamas, qui imposait à sa milice, Ezzedine al-Qassam, une sorte de trêve des roquettes, a repris ses tirs, mais sans utiliser les engins plus perfectionnés qu’il dit posséder. Et il bannit encore, pour le moment, les attentats-suicides. Tsahal, de son côté, ne semble pas prêt à prendre le risque de mettre à exécution le plan d’invasion de Gaza que ses généraux ont préparé. Les éliminations ciblées ne visent jusqu’à nouvel ordre que les chefs des groupes militaires, épargnant les responsables politiques. Cette confrontation limitée peut cependant déraper à tout moment et détruire l’échafaudage d’Annapolis, qui risque de s’effondrer, même sans une montée aux extrêmes, sur ses fondations politiques trop fragiles.

La nouveauté de l’initiative américaine, c’était son ambition de résoudre d’un coup par compromis tous les grands différends entre Israéliens et Palestiniens : frontières du nouvel Etat, Jérusalem, réfugiés. Son défaut cardinal vient de la faiblesse des acteurs. Chaque concession faite par un camp est une arme donnée à ceux qui sont exclus ou s’excluent de la discussion. Lieberman quittant Olmert, c’est Annapolis qui recule. Hamas et ses alliés dans leur camp retranché, c’est Annapolis impossible, inapplicable même si le processus aboutit à un résultat.

Mahmoud Zahar est l’une des voix les plus fortes à Gaza contre cette négociation. Faut-il le tuer, après ses fils, comme Israël l’a déjà tenté ? Insensé : ses successeurs seraient d’autant plus nombreux qu’il serait martyr. Et puis, le docteur n’est pas un exalté, plutôt un intransigeant rationnel. Il ne dissimule pas, quand on lui parle, les oppositions qu’il rencontre dans le Hamas même. L’un de ses critiques, Ghazi Hammad, vient de reprendre la parole après des mois de marginalisation. Il dénonce la mainmise des militaires sur l’organisation, demande une reprise de contrôle par les politiques.

Hammad est un de ceux, dans le Hamas, qui avancent l’idée d’une trêve de longue durée. Israël a rejeté cette offre officieuse. Ou plutôt, Jérusalem ne conçoit un cessez-le-feu que s’il est accompagné du maintien du blocus de Gaza, pour affaiblir et abattre le mouvement islamique. Naturellement, l’autodestruction n’entre pas dans les projets du Hamas.

Le refus de tester - au moins - une trêve revient à assurer dans le huis clos de Gaza la haute main des militaires sur l’organisation. Et plus largement, le maintien de la division entre les Palestiniens de la bande et ceux de Ramallah. Dans le même temps, à Jérusalem, le tir continu des roquettes renforce le camp de ceux qui s’opposent à toute concession faite au pouvoir chancelant et mal représentatif du président Mahmoud Abbas. C’est le grand problème du processus d’Annapolis : ceux qui le portent cultivent en avançant leur propre opposition. Or la paix ne peut s’établir qu’au moment où les adversaires les plus implacables sont suffisamment affaiblis ou suffisamment consentants. C’est ce qu’Yitshak Rabin et Yasser Arafat avaient compris. Le malheur, c’est qu’ils en sont morts, chacun à sa manière. Il n’y a pourtant pas d’autres voies.

Correspondant au Proche-Orient, jeudi 17 janvier 2008 - Le Temps -


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