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« Toute cette histoire vise à détourner les regards de la colonisation »

jeudi 3 janvier 2008 - 06h:43

Mohamad Bassiouni/Samar Al-Gamal - Al Ahram/hebdo

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Mohamad Bassiouni, président de la commission des Affaires étrangères au Conseil consultatif et ancien ambassadeur égyptien en Israël, souligne que les accusations israéliennes concernant les tunnels ne sont pas fondées sur des preuves.

Al-Ahram Hebdo : Comment voyez-vous la crise actuelle entre l’Egypte et Israël ?

Mohamad Bassiouni : La crise concernant les histoires de trafic d’armes à travers des tunnels remonte au moment du retrait israélien du Sinaï, suite au traité de paix égypto-israélien. C’est depuis cette période que les différends se sont intensifiés ainsi que le creusement des tunnels. Jusqu’à leur retrait de la bande de Gaza en 2005, ils n’avaient jamais pu contrôler le creusement de ces passages. Aujourd’hui, ils nous demandent de le faire. Il est vrai que nous déployons des efforts à 100 %, mais on ne peut pas garantir des résultats à 100 %. Il n’existe pas un pays qui puisse contrôler chaque centimètre de son territoire. Je ne sais pas comment ils osent accuser l’Egypte de ne pas faire d’efforts, alors qu’ils savent très bien que Le Caire a pu découvrir 160 tunnels qui ont été détruits ainsi que de grandes quantités d’explosifs qui ont été saisies. D’autre part, l’Egypte est contre ces tunnels car ils peuvent permettre les trafics d’armes, de drogues et même de personnes à l’intérieur des territoires égyptiens.

- Pourquoi donc Israël a-t-il provoqué ce différend si lui-même n’a pu empêcher ce genre de trafic ?

- C’est une question que les Israéliens devraient eux-mêmes se demander. Toute cette histoire vise à détourner les regards de la colonisation confirmée à la suite de la conférence d’Annapolis.

- Les réactions égyptiennes ont été fortes surtout celle du président Moubarak. Comment l’expliquez-vous ?

- Bien sûr il fallait que les réactions soient très énergiques, car nous défendons nos droits et nous ne pouvons pas accepter ce genre d’accusations. Il est très facile, étant simplement assis dans son bureau, de lancer des dizaines de déclarations et d’accuser les autres sans connaître les vérités. A mon avis, Tzipi Livni aurait dû, en cas de doute sur un sujet pareil, appeler son homologue égyptien, ou lui envoyer un message au lieu d’aggraver la situation devant les médias. C’est un acte que nous ne pouvons pas accepter car ces accusations ne sont pas fondées sur des preuves mais uniquement sur des fausses estimations de la part de l’armée israélienne.

- Les journaux israéliens ont assuré qu’ils possédaient des photos comme preuves ?

- Aujourd’hui, avec toute cette technologie qui existe, il est très facile de faire des montages de photos. Et nous pouvons faire de même et inventer des photos d’Israéliens en train de trafiquer des armes. Mais celle-ci n’est pas une manière d’agir entre deux pays liés par un traité de paix. Si les Israéliens voient qu’il y a des problèmes, ils n’ont qu’à nous le dire et qu’on en discute ensemble. Mais il ne faut jamais faire de la surenchère auprès des médias, sinon notre réponse sera très sévère. Mais le problème n’est pas aujourd’hui cette histoire de photos. L’essentiel, c’est que les Israéliens sachent que pour avancer dans le processus de paix, ils doivent s’engager de tout c ?ur dans des négociations pour arrêter le conflit israélo-palestinien, afin de créer deux Etats indépendants. C’est ainsi seulement que nous pouvons mettre fin aux problèmes des tunnels.

- Pourquoi, selon vous, cette affaire a-t-elle été liée à la question des aides américaines ?

- Sans doute, le lobby sioniste aux Etats-Unis a profité de cette occasion pour convaincre le Congrès américain que l’Egypte ne fait pas assez d’efforts pour empêcher le trafic d’armes. Les Etats-Unis ont donc exigé plus d’efforts en échange des aides envoyées. Je voudrais signaler que nous n’acceptons pas que l’on nous impose des conditions. Je pense qu’ils n’ont toujours pu comprendre ni la mentalité ni la psychologie égyptiennes. On n’accepte ni conditions ni menaces. S’ils ne veulent plus accorder leurs aides, qu’ils cessent de les envoyer.

- Quel est, dans ce contexte, le sens de la visite de Barak en Egypte ?

- Barak a essayé à travers sa visite d’atténuer les réactions égyptiennes et cela en déclarant que les relations égypto-israéliennes sont stratégiques et très importantes pour Tel-Aviv qui tient aux rapports bilatéraux entre les deux pays. Et que leur relation avec l’Egypte est la pierre de base de la réalisation de la paix dans toute la région.

- Mais à quoi cette visite a-t-elle réellement abouti ?

- Nous avons pu lui faire part de notre point de vue et nous avons pu discuter de cette histoire de tunnels et nous lui avons expliqué notre position. Nous avons même proposé que s’ils le veulent, ils peuvent contrôler la zone, de leur côté et pas du nôtre bien sûr. En ce qui nous concerne nous déployons le maximum d’efforts. Nous nous sommes accordés sur la formation de deux équipes afin de pouvoir échanger les informations, de manière à pouvoir résoudre les problèmes loin des médias.

- En ce qui concerne la crise des pèlerins. N’est ce pas une manière de satisfaire le côté israélien ?

- Les autorités égyptiennes ont été surprises par la présence de 2 200 pèlerins qui ont détruit les barrières du côté palestinien fermé actuellement. Nous ne pouvions pas tirer dessus, surtout qu’ils avaient leurs visas pour l’Arabie saoudite ; nous avons donc été obligés d’accepter leur passage. Les Israéliens ont été furieux de cette décision. Donc, avec le retour de ces pèlerins, nous leur avons demandé de passer par le passage de Karm Abou-Salem contrôlé par les Israéliens et par lequel ils devaient normalement passer. Là, ils ont refusé sous prétexte que les Egyptiens les remettraient aux Israéliens. S’ils n’ont rien à craindre, pourquoi ils refusent d’y passer ? Jusqu’à maintenant, ils sont toujours devant le passage de Rafah.

Propos recueillis par Chaimaa Abdel-Hamid

Al-Ahram/hebdo

Les galeries de la fiction

Egypte-Israël. Le président Moubarak a réagi de manière énergique et sans précédent aux déclarations de la chef de diplomatie israélienne sur les tunnels entre Gaza et Rafah. Un nouvelle tension s’installe entre Le Caire et Tel-Aviv.

« Au début, ils servaient à la contrebande des cigarettes, de l’or, de la marijuana, mais avec l’éclatement de la première Intifada il y a une vingtaine d’années, la recette a changé. La priorité était pour les armes », se souvient encore Khaled au sujet des tunnels creusés entre l’Egypte et la Palestine. Ce Palestinien, âgé de 44 ans, est un expert dans le domaine. « On creusait quelque 30 mètres de long, pas plus. Les maisons étaient alors très proches des frontières et les familles divisées entre Rafah l’Egyptienne et Rafah la Palestinienne pouvaient échanger des conversations entre elles en s’engageant dans ces galeries », poursuit Khaled, qui pendant une vingtaine d’années ne faisait que creuser des tunnels avant d’être finalement arrêté par la sécurité palestinienne. Plus tard avec la deuxième, l’armée israélienne a détruit des milliers de maisons à la frontière, les tunnels devenaient alors plus longs. 1 000 mètres dans beaucoup de cas, l’issue se trouvait parfois au c ?ur des terres agricoles dans le Sinaï.

Avec le blocus imposé à Gaza, les tunnels sont devenus une source d’approvisionnement importante. Les tunneliers travaillent d’arrache-pied dans l’étroite galerie. A genoux, munis d’une torche, ils font passer des grands jerricanes à travers un câble. Pour les armes ? Ce n’est plus le cas, disent-ils. « Après la fin des affrontements entre le Hamas et le Fatah, plus personne n’a besoin d’armes. Aujourd’hui, les Palestiniens préfèrent le tabac et les pilules de viagra », lance l’un d’entre eux cité par le Réseau palestinien des médias. A l’extérieur, le son d’une explosion retentit ; Tsahal poursuit sans relâche ses raids contre le territoire. Les trafiquants poursuivent leur mission. Ils prennent le risque simplement car cela permet « de faire fortune ». Deux de leurs collègues ont succombé il n’y a pas longtemps, lorsque les Egyptiens ont lancé des gaz lacrymogènes. D’autres ont été obligés de rester plusieurs jours sous les décombres, lorsque l’un des tunnels s’est écroulé au moment où les forces égyptiennes tentaient de le détruire.

Karim Lebhour, correspondant de RFI à Ramallah, raconte, dans « Rafah. Chronique d’une ville dans la bande de Gaza », comment les tunnels sont « devenus l’un des sujets de reportage favoris des journalistes étrangers. Les creuseurs n’hésitent pas à demander jusqu’à 500 dollars pour accepter de se laisser filmer ». selon Lebhour, ils emmènent les journalistes à côté d’un tunnel inachevé appelé « Le musée ». « Deux ou trois figurants mettent des cagoules, font semblant de creuser et le tour est joué ». Les images font le tour du monde. Les tunnels de contrebande ne sont-ils pas à la mode ? Ils existent avec un aspect fictif qui va au-delà de la réalité. Et les Egyptiens luttent contre quand même. Mais cette lutte ne semble pas satisfaire aux Israéliens.

La semaine dernière, la tension est montée d’un cran entre Le Caire et Tel-Aviv et le ministre israélien de la Défense a dû s’expliquer auprès du président Moubarak sur les propos de sa cons ?ur Tzipi Livni, chef de la diplomatie israélienne, qui « a franchi mes lignes rouges », en qualifiant de « terribles, problématiques » les efforts égyptiens pour contrôler la frontière avec Gaza, a lancé le président égyptien dans une interview accordée au quotidien israélien Yedihot Aharonot. Des critiques dures et peu usitées. En dépit des discordes, pas moins fréquentes entre Le Caire et Tel-Aviv, le raïs n’a jamais été aussi explicite dans ses critiques envers Israël. « C’est très facile d’être assis dans un bureau à Jérusalem et de juger notre action sur le terrain. Si la façon dont nous nous occupons de réprimer le trafic d’armes ne vous convient pas, je vous en prie, faites-le vous-mêmes », a dit Moubarak.

Avant lui, le chef de la diplomatie égyptienne a demandé à son homologue israélienne de « concentrer son attention sur les négociations avec les Palestiniens au lieu de faire des déclarations hasardeuses sur des questions qui ne doivent pas être traitées sans bonne connaissance ». Livni a été apparemment une cible facile d’autant plus qu’en Israël même ses déclarations ont soulevé une polémique. Le ministère de la Défense l’a accusée de vouloir saboter la visite de Barak à Charm Al-Cheikh. Ce dernier n’a apparemment pas entendu des choses plaisantes au bord de la mer Rouge, surtout que depuis longtemps les Egyptiens réclament un renforcement de leurs garde-frontières. A ce jour, ils ne sont que 750 soldats travaillant par rotation sur environ 120 kilomètres. Une augmentation en nombre nécessite un amendement du traité de paix signé en 1979. Et c’est la chose dont Israël ne veut surtout pas entendre.

Pour faire plus facile, Israël veut que l’Egypte sécurise à elle seule les frontières, lutte contre les tunnels, s’occupe du poste frontalier de Rafah sans renforcer son dispositif militaire ... Sinon, Le Caire serait taxé de « coopération avec les terroristes », comme est désigné le Hamas par les Israéliens. Pourquoi, si la mission est si facile, Tel-Aviv ne s’en est-il pas occupé durant une occupation militaire longue de 40 ans de la bande de Gaza ? La partie israélienne est évidemment consciente que ces tunnels ne seront pas utilisés contre elle, aussi les ignore-t-elle. Tsahal aurait fermé ces tunnels en un clin d’ ?il et occupé le corridor de Salaheddine (Philadelphie).

L’Egypte le sait bien et c’est pourquoi elle est furieuse contre Israël d’autant plus que ce prétexte a été utilisé contre Le Caire auprès du Congrès américain. Tel-Aviv aurait remis à Washington une vidéocassette filmant le trafic d’armes vers Gaza se déroulant sous les yeux des gardes-frontières égyptiens. Selon les Egyptiens, le lobby israélien s’est servi de ces images « montées de toutes pièces » pour convaincre les sénateurs de couper 100 millions de dollars de l’ensemble de l’aide américaine à l’Egypte. Ceci est certes un facteur mais il compte parmi d’autres qui concernent plus strictement les relations égypto-américaines.

Les Israéliens sont cependant encore plus irrités. Ils reprochent à l’Egypte d’avoir laissé les pèlerins palestiniens de la bande de Gaza franchir les frontières à travers Rafah, c’est-à-dire échapper au contrôle des Israéliens. Ils se sont même plaints auprès de la Maison Blanche. Le prétexte cette fois-ci est que des militants se seraient infiltrés parmi les pèlerins pour aller s’entraîner à l’étranger pour la lutte contre Israël. En fait, Tel-Aviv ne veut pas voir les responsables égyptiens garder des contacts avec le mouvement du Hamas surtout après sa prise du pouvoir de la bande de Gaza. Au Caire, le raïs voit les choses autrement. Il opte plutôt pour un rapprochement avec le mouvement de résistance tout en tentant de mener une réconciliation entre celui-ci avec le Fatah de Mahmoud Abbass. L’objectif ultime serait le règlement du conflit palestino-israélien.

Un autre point de litige, l’échec d’Annapolis est désomrais attribué à Israël, du moins par l’Egypte qui espérait après cette rencontre internationale donner un coup de pouce au processus de paix et dans le moindre des cas une diplomatie cohérente de la part d’Israël. Celle-ci n’est vraisemblablement logique qu’en matière de gel du processus de paix. Certains voient les choses autrement. Ces échanges de diatribes ne seraient qu’une tempête dans un verre d’eau comme le dit Emad Gad, rédacteur en chef d’Israeli Digest. Selon lui, « ce différend ressemble à beaucoup d’autres entre Israéliens et Egyptiens et il sera vite surmonté par beaucoup de coordination ». Le site militaire israélien Debkafile annonce d’ailleurs que lors de sa visite, Barak s’est mis d’accord avec les Egyptiens à former une commission sécuritaire conjointe qui se rencontrera à Nitzana sur les frontières avec Gaza pour lutter ensemble contre les 80 ou 90 tunnels. L’affaire se résumerait à un simple échange d’invectives dont la seule perdante est Livni qui a gâché ses relations avec Le Caire. Mais c’est bien symptômatique de la conjoncture proche-orientale marquée par le marasme. Peut-être que dans ce contexte Livni est celle qui explique le mieux l’establishment sioniste.

Samar Al-Gamal

Al-Ahram/hebdo

ILS ONT DIT

Déclarations chaudes entre Egyptiens et Israéliens

« Nos responsables (ont vu les images) (...) et je vous informe qu’ils ont trafiqué des images à l’ordinateur (...). N’importe qui peut faire des images de trafic d’armes (...). Et je peux faire des images d’un Israélien et d’une Israélienne se livrant au trafic d’armes et complotant une opération terroriste (...). Quiconque tente d’accuser l’Egypte de coopérer avec des trafiquants d’armes, je dis que c’est un gros menteur ».

Le président égyptien, Hosni Moubarak.

« Leur (les Egyptiens) action est problématique et nuit à la possibilité de progresser dans le processus de paix ».

La ministre israélienne des Affaires étrangères, Tzipi Livni.

« L’Egypte luttera contre toutes les violations que certains tentent de commettre sur la frontière égypto-palestinienne, c’est-à-dire que nous faisons face aux tunnels et à tout ce qui peut compliquer les relations avec les Palestiniens et avec les Israéliens ».

Le ministre égyptien des Affaires étrangères, Ahmad Aboul-Gheit.

« La paix avec l’Egypte est un atout stratégique pour les deux parties, et comme à chaque fois que nous nous sommes disputés par le passé, nous devons régler nos différends (...). Chaque fois que nous aurons des points de discorde, nous les discuterons par le biais d’un dialogue face à face, de bonne foi ».

Le ministre israélien de la Défense, Ehud Barak.

« Il serait préférable que la ministre israélienne concentre ses efforts sur les négociations avec les Palestiniens, au lieu de faire des commentaires hasardeux sur des sujets qu’il est inapproprié pour elle d’aborder sans les connaissances adéquates ».

Le porte-parole de la diplomatie cairote, Hossam Zaki.

« Le gouvernement israélien a bien commis une erreur en confiant aux Egyptiens le contrôle de cette zone ».

L’ancien ambassadeur d’Israël en Egypte, Tsvi Marzel.

« L’Egypte peut faire bien davantage d’efforts. S’ils n’en font pas, je pense qu’il serait pertinent d’ajuster en conséquence l’aide que nous leur accordons (...). Ils bénéficient beaucoup de largesse et de l’argent américain, 2 milliards de dollars par an (1,4 milliard d’euros) ».

Un parlementaire américain, le sénateur républicain de Pennsylvanie, Arlen Specter.

« Ces renforts n’empêcheraient pas la contrebande d’armes car ce problème concerne l’ensemble de la péninsule du Sinaï et ne peut être résolu en intervenant uniquement dans une zone de 100 mètres de large à la frontière ».

Le vice-premier ministre israélien, Shaoul Mofaz.

Semaine du 2 au 8 Janvier 2008, numéro 695 (Evénement)


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