L’Europe et la Palestine : beaucoup de bruit pour pas grand’chose
mercredi 26 décembre 2007 - 06h:58
Rami G. Khouri - Daily Star
J’étais en Allemagne afin de débattre avec des Européens impliqués dans les questions ayant trait au Moyen-Orient tandis que se déroulait la conférence de Paris sur l’aide à la Palestine et qui lundi [17 décembre] s’est engagée à fournir 7,4 milliards de dollars sur trois ans au demi-gouvernement palestinien dirigé par le président Mahmoud Abbas. Les Européens semblent encore vouloir relever le défi de l’engagement dans le conflit israélo-arabe avec leur habituelle générosité financière et leurs illusions politiques.
Les 27 états-membres de l’Union Européenne et d’autres états pourraient et devraient répondre à la nouvelle situation d’après-Annapolis en décidant d’une politique offensive qui les renforceraient plutôt que d’institutionnaliser leurs faiblesses. Ce serait une stupidité au niveau collectif pour l’Europe de fournir à nouveau des milliards d’euros d’aide aux Palestiniens, milliards qui seront gaspillés, matériellement détruits ou totalement niés par le militarisme israélien, l’hypocrisie américaine, les divisions inter-palestiniennes et la passivité du monde arabe.
Les Européens fourniront autour de 2 milliards de dollars de l’argent promis à Paris, devenant ainsi le premier donateur pour la Palestine, alors que leur rôle politique semble aller à l’opposé. L’Europe devrait rétablir un équilibre et jouer un rôle politique et diplomatique en rapport avec son engagement économique. Les Européens devraient revenir à leur premier rôle en tant que garants de l’application de la loi, de la légitimité internationale, de la morale politique et du consensus international pour la paix basé sur les résolutions des Nations Unies et les conventions internationales. Ce sont tous d’immenses objectifs, je l’admets, mais quelqu’un ne devrait-il pas se lever pour ces objectifs-là si les Américains, les Israéliens et les Arabes ne le font pas ?
Un diplomate allemand à Berlin très impliqué dans ces questions a expliqué que les Européens agissaient à l’arrière de la scène, tout en augmentant leur implication pour la paix et leur participation économique sur le terrain, « développant les outils qui permettent à l’Europe d’influer sur les événements, » particulièrement en contrecarrant de manière constructive la politique des Etats-Unis. Je vois peu d’exemples confortant ce point de vue, aussi sincère qu’il soit. Les Européens semblent ignorer le fait que les conditions économiques, politiques et diplomatiques en Palestine empirent réellement, ce que confirment plusieurs faits de la semaine passée.
Dans un rapport général peu commun publié la semaine dernière, le Comité International de la Croix Rouge (CICR) a exigé une action politique immédiate pour contenir « une crise profonde » en Cisjordanie et dans Gaza. Le CICR a accusé les politiques israéliennes dans les territoires occupés de refuser aux Palestiniens le droit de mener une vie normale et digne. Le directeur du CICR pour les opérations au Moyen-Orient a déclaré : « La totalité de la bande de Gaza est étranglée, économiquement parlant, et la vie y est devenue un cauchemar. » Le responsable a ajouté que l’aide humanitaire ne résoudrait pas le problème.
La Croix Rouge a également publié un rapport, dont le titre « la dignité niée » dépeint l’horreur des conditions de la vie quotidienne pour les Palestiniens pour lesquels il est de plus en plus difficile d’aller au travail, d’accéder aux soinx médicaux et même à la simple alimentation. Le rapport explique que seule une action politique innovatrice et courageuse « peut changer la dure réalité de cette occupation qui sévit depuis si longtemps, peut reconstituer une vie sociale et économique normale pour les Palestiniens, et leur permettre de vivre avec dignité. »
La semaine dernière, la Banque Mondiale a ajouté sa voix à ces constats sinistres. L’organisme a estimé qu’une combinaison de nouvelles aides et de réformes du gouvernement palestinien auraient peu d’impact si Israël maintient ses dures restrictions aux déplacements et aux échanges commerciaux.
En outre cette semaine, un nouveau sondage d’opinion publié par le respecté Centre Palestinien pour les Etudes Politiques a suggéré que le support financier accordé au gouvernement Abbas-Fatah était peu susceptible d’imposer une soumission politique au Hamas. Ce sondage indiquait un manque total de confiance dans le processus d’Annapolis et plaçait la popularité du Hamas et du Fatah toujours aux mêmes niveaux - à 31% pour le Hamas et à 49% pour le Fatah - presque identiques aux estimations de septembre passé.
Ces développements laissent supposer que jeter plus d’argent dans une situation d’occupation permanente et de résistance n’est pas une politique pertinente, mais devrait plutôt être associé avec une action politique cherchant à traiter les racines du conflit. L’Europe ferait mieux de combiner sa générosité financière avec un fort soutien politique en parallèle. Elle n’a sans doute pas les moyens d’impliquer les Arabes et les Israéliens dans des négociations qui aboutissent. Mais elle a la force morale pour dire clairement ce qu’une paix négociée signifie, ce que sont les préceptes admis dans le domaine de la légitimité et de la loi, et comment toutes les parties en conflit manquent à leurs engagements pour parvenir à la paix et à la sécurité, pour les Arabes comme pour les Israéliens.
L’Europe devrait réfléchir un moment avant de commencer à signer des chèques de milliards d’euros pour des projets dans les domaines du développement et de la sécurité, que les avions de combat israéliens mais fournis par les Etats-Unis sont susceptibles de réduire à nouveau en miettes. L’Europe ferait bien de réfléchir au dilemme qui est le sien et qu’a si bien formulé la semaine dernière Volker Perthes, le respecté directeur allemand d’un groupe de réflexion : « L’Europe s’est réellement plus impliquée au Moyen-Orient et sur la question israélo-arabe dans les domaines de l’économie, de la diplomatie, de la politique, de la sécurité et du maintien de la paix ; mais elle semble moins capable de traduire cet engagement en influence pour changer les choses. »
* Rami G. Khouri écrit chaque semaine dans le Daily Star
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19 décembre 2007 - Daily Star - Vous pouvez consulter cet article à :
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Traduction : Claude Zurbach