Financer l’occupation
mercredi 19 décembre 2007 - 07h:00
Lamis Andoni - Al Jazeera.net
Les aides décidées lors de la réunion des donateurs à Paris, en plus d’éviter à Israël de supporter le coût de l’occupation, serviront de moyen de pression sur Abbas et le Fatah pour déclencher la guerre civile contre le Hamas.
- Les agences des Nations Unies ont prévenu à de nombreuses reprises de l’imminence d’un désastre humanitaire dans les Territoires Palestiniens - Photo : EPA
A première vue la réunion internationale des donateurs à Paris a été un fantastique succès.
Des milliards de dollars d’aide ont été promis à l’Autorité Palestinienne pour rétablir son économie aujourd’hui en piteux état, et toute la rhétorique politique du moment a volé au secours de l’idée d’état palestinien.
Mais les engagements financiers, même s’ils parviennent un jour aux Palestiniens, sont sans signification à long terme sans une pression politique internationale pour en finir avec 40 ans d’occupation israélienne sur la Cisjordanie et la bande de Gaza.
« Ce n’est pas une conférence de donateurs. Ceci une conférence pour la construction d’un état, » a déclaré Tony Blair, le délégué du quartet pour la paix au Moyen-Orient, dans son discours à l’occasion de la réunion.
Dans son discours d’ouverture, Sarkozy, le président français, a demandé la fin de l’occupation et un état palestinien indépendant établi sur la Cisjordanie, Jérusalem-est et la bande de Gaza.
Ce genre de communications, bien que significatives politiquement, sonnent creux tant que la communauté internationale ne parviendra pas à un consensus pour faire pression sur Israël non seulement pour stopper les travaux d’extension de ses colonies mais aussi pour les démanteler, car ces travaux transforment en simple rêve l’idée même d’état palestinien.
Aucun « signe de volonté »
Il ne faut pas sous-estimer l’urgence du versement d’une aide immédiate - chaque dollar est grandement nécessaire pour éviter une catastrophe imminente déjà annoncée par des organismes humanitaires des Nations Unies et d’autres.
Pourtant en l’absence d’un plan politique bien défini, l’aide financière ne sera guère plus qu’un vague pansement qui ne pourra empêcher la blessure de saigner abondamment.
À Paris il n’y a eu aucune expression d’une volonté politique internationale de s’attaquer à l’occupation ni même d’exercer la moindre pression sérieuse sur Israël pour que soient levées les restrictions à la circulation des personnes comme des marchandises.
Sont passés inaperçus les avertissements de la Banque mondiale disant qu’un changement fondamental de la politique israélienne concernant les restrictions sur les mouvements et la fermeture des frontières était une condition nécessaire pour la remise sur pied de l’économie palestinienne.
La conférence des donateurs, au même titre que la réunion d’Annapolis convoquée par les Etats-Unis il y a quelques semaines, n’a pris en compte que les priorités sécuritaires israéliennes et américaines, à savoir favoriser, sinon encourager le bellicisme de l’Autorité Palestinienne à l’encontre du Hamas plutôt que de s’intéresser à la réalité de l’occupation israélienne.
Alimenter les divisions
La communauté internationale, suivant l’exemple de Washington, a été instrumentalisée en renforçant les divisions entre Palestiniens, en particulier depuis qu’a été décidé le boycott international du gouvernement formé par le Hamas après la victoire du mouvement islamique lors des élections parlementaires de janvier 2006.
Mais tandis que le déplacement des priorités internationales vers la lutte contre le Hamas a servi aux Etats-Unis et à Israël à centrer la question [de l’occupation] sur le « terrorisme palestinien », le Fatah et le Hamas partagent la principale responsabilité d’avoir permis ce nouveau consensus qui a pour effet de détourner l’attention au niveau international de l’occupation israélienne.
Le consentement de la part de l’Autorité Palestinienne vis-à-vis du boycott international contre le gouvernement dirigé par le Hamas, et la coordination de ses services de sécurité avec les Etats-Unis pour se renforcer face au Hamas - même si cela n’avait pas encore atteint des étapes pratiques - a créé une atmosphère interne de méfiance.
En attendant, la prise de contrôle de Gaza par le Hamas en juin a fourni à Israël une occasion sans précédent pour étrangler encore plus les 1,6 million de Palestiniens déjà en état de suffocation dans ce territoire minuscule, et de transformer une division géographique en division politique pour un système politique palestinien déjà fragile.
En conséquence, nous avons vu une conférence censée rétablir des négociations de paix dans le Maryland se transformer en « guerre générale contre le terrorisme », dressant des Palestinien contre d’autres Palestiniens et mettant en retrait le combat contre l’occupation israélienne.
Cette tendance s’est confirmée à Paris, même si Abbas a tenté dans son discours de ramener l’attention à la réalité sur le terrain.
« J’attends qu’ils [les Israéliens] arrêtent toutes les activités de colonisation, sans exception, » a-t-il dit.
Il a également pressé Israël de retirer des dizaines d’avant-postes de colonies établis depuis 2001, d’enlever les points de contrôle militaires et de stopper la construction du mur de séparation en Cisjordanie.
Instrument politique ?
Il y a aujourd’hui 120 implantations coloniales en Cisjordanie et dans Jérusalem-est, ce qui touche environ 40% des territoires occupés par Israël en 1967.
Mais la demande d’Abbas est certainement tombée dans des oreilles de sourds. Même si la démonstration de soutien international et la pluie de millions de dollars peuvent renforcer la position d’Abbas face au Hamas, rien de tout cela ne renforce la position palestinienne vis-à-vis d’Israël.
Si la conférence a servi à quelque chose, c’est qu’Israël impose ses conditions sécuritaires.
Elle a aussi pratiquement affranchi Israël de prendre des engagements de cesser son expansion coloniale, ses incursions et ses attaques contre les territoires palestiniens, et de lever les restrictions sur les déplacements en Cisjordanie et dans la bande de Gaza.
En effet, la mise à disposition des aides - excepté les fonds des Nations Unies pour l’aide d’urgence - sera utilisée comme outil politique par certains donateurs pour exercer des pressions sur l’Autorité Palestinienne afin que celle-ci s’attaque frontalement au Hamas, et même à d’autres concurrents.
Etapes décisives
On s’attend à ce que le congrès américain, en particulier, impose des conditions plus strictes pour verser les sommes prévues, ou même simplement une partie des 550 millions de dollars sur lesquels s’est engagé le gouvernement des Etats-Unis, afin de s’assurer qu’Abbas satisfasse pleinement l’exigence israélienne d’un démantèlement des organisations armées liées au Hamas et au Fatah.
En d’autres termes, pour que l’Autorité Palestinienne reçoive même une partie de l’aide promise, elle devra prendre des mesures plus décisives et plus dures en matière de « sécurité », ce qui pourrait s’avérer très coûteux pour les territoires palestiniens de plus en plus misérables.
Dans un rapport d’orientation, Sarkozy a suggéré que soit renforcée la machinerie sécuritaire [du Fatah] contre le Hamas par le déploiement d’une force internationale « de paix ». Cette proposition illustre bien les priorités de la réunion de Paris : trouver des recettes pour une guerre civile entre Palestiniens.
Ainsi, alors que la réunion de Paris aurait pu permettre de mettre en évidence l’urgence liée à la situation humanitaire déficitaire, le sous-main politique des engagements financiers des donateurs ne servira qu’à alimenter les différends internes et permettra à Israël de gérer, et non pas cesser, son occupation des Territoires Palestiniens.
* Lamis Andoni est analyste à Al Jazeera pour le Moyen-Orient
Conférence des donateurs :
La Palestine vient chercher cinq milliards à Paris
L’argent gaspillé de la paix
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Traduction : Claude Zurbach