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Le nouveau philosémitisme européen et le "camp de la paix" israélien

vendredi 23 novembre 2007 - 10h:11

Yitzhak Laor - La Fabrique

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La relation est étroite entre ceux qui s’autoproclament "camp de la paix" en Israël et leurs homologues de la gauche européenne. Ce livre éclaire sans indulgence cette relation, particulièrement marquée dans le domaine littéraire.

Il analyse la réception en Europe des ouvrages d’Amos Oz, A.B. Yehoshua ou David Grossman, il explore la manière dont ces auteurs sont chez nous travestis en hommes de paix, et les raisons de l’enthousiasme de la critique. Il montre que les intellectuels israéliens - ashkénazes pour la plupart, laïques et travaillistes - sont perçus par leurs pendants européens comme faisant partie « des nôtres », à condition qu’ils restent là-bas, en Orient. Et que, symétriquement, ces mêmes intellectuels ont pour principal souci d’appartenir - ou de paraître appartenir, par tous les moyens - à l’intelligentsia européenne. Et de fait, ce que tous ont en commun, c’est la peur et la haine de l’Orient.

Yitzhak Laor est romancier, poète, et critique littéraire au grand journal israélien Haaretz. Il vit et travaille à Tel-Aviv.

ISBN : 978-2-91-337268-9 ; 17 euros - En vente sur : http://www.lekti-ecriture.com/edite....
Traduit de l’anglais et de l’hébreu par Catherine Neuve-Église - Eric Hazan

Ce livre explore la relation entre le groupe qui s’autoproclame « camp de la paix » en Israël et l’Europe. L’expression la plus claire de cette relation, c’est la façon dont sont reçus en Europe les livres, les articles, les discours des principaux écrivains du camp de la paix : Amos Oz, A.B. Yehoshua, David Grossman.

Par un jeu complexe, les intellectuels israéliens (pour la plupart ashkénazes, laïques, travaillistes) sont perçus par leurs homologues en Europe comme faisant partie « des nôtres », et eux mêmes ont pour principal souci d’appartenir à l’intelligentsia européenne. A vrai dire, ces Européens et ces Israéliens-là ont en commun la haine de l’Orient et de ses habitants, en l’occurrence les Palestiniens. « Inquiet devant la masse des immigrés musulmans légaux et illégaux, cet Européen a adopté le nouveau Juif comme un Autre rassurant, moderne, ami du progrès, sans barbe, sans papillotes - heureusement ces nouveaux Juifs n’ont rien en commun avec leurs grands-parents. » La culture juive moderne (laïque) est fondée sur l’identification à un Occident imaginaire, et d’un autre côté, le génocide juif fait figure d’événement universel dans la culture occidentale.

— Dans le premier chapitre, (« La Shoah nous appartient - à nous les non musulmans »), Laor étudie la nouvelle culture européenne de la Shoah. Les questions posées sont brûlantes : « Pourquoi avoir choisi comme symbole Auschwitz, un lieu éloigné au fin fond de la Pologne ? Ce choix ne contribue-t-il pas à refaire ce que les nazis ont fait - reléguer l’horreur “là-bas”, hors du Heimat, loin à l’Est, chez les “Slaves inférieurs” ? » Et plus loin : « Il faut voir l’empressement avec lequel les intellectuels européens libéraux et de gauche invitent les musulmans à s’assimiler. Ils le font sans ciller, sans penser aux papillotes que l’on a tondues sur la tête de nos grands-pères juifs, sans penser à la xénophobie dont ont souffert nos parents. »

— Le deuxième chapitre (« Le Droit au Retour - du colonial - , le « camp de la paix » et ses sponsors français) montre comment certains intellectuels français comme Claude Lanzmann ou Alain Finkielkraut soutiennent, à travers leur réception des écrivains israéliens, la politique coloniale de l’État d’Israël. « La méfiance envers les Arabes, le vieux discours colonialiste avait besoin des intellectuels du camp de la paix pour que “la vérité soit dite”. Avec le crédit d’intégrité intellectuelle qui leur est accordé, ces écrivains dépeignent les Israéliens comme les victimes éternelles des Palestiniens ».

— Le troisième chapitre est consacré à Amos Oz (« Narcissisme et Occident ») et le quatrième à A.B. Yehoshua (« Je ne veux pas connaître leur nom - Sur la haine de l’Orient »). Deux chapitres dévastateurs, où Laor montre à la fois la mauvaise foi de ces auteurs, leur double langage, et l’hypocrisie de leurs supporters français.

— Le dernier chapitre porte sur l’ ?uvre de Hanoch Levin, un écrivain de théâtre très célèbre en Israël. Cette analyse montre comment il est possible de concevoir une littérature israélienne qui prenne en compte la réalité du pays sans chercher à en faire un idéal pour Israéliens à la recherche d’une identité occidentale, ou pour Européens en quête d’un alter ego qui monte la garde sur la frontière orientale de l’Occident.

Union Juive Française pour la Paix

Introduction (extrait) - Diffusé par le Mouvement des indigènes de la république :

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Yitzhak Laor

Malgré ses récriminations sur l’hostilité des médias, Israël a la cote en Europe. Non seulement les Israéliens sont très présents dans l’imaginaire occidental, mais les Occidentaux ont pris l’habitude de nous considérer comme une partie d’eux-mêmes, du moins tant que nous sommes ici, au Moyen-Orient, une sorte de dernière version de pieds-noirs.

Cette identification avec « nous » fonctionne mieux encore avec la culture de l’holocauste, en offrant au nouvel Européen, dans le contexte de la « fin de l’Histoire », une meilleure version de sa propre identité face au passé colonial et au présent « postcolonial ». Inquiet devant la masse des immigrés musulmans légaux et illégaux, cet Européen a adopté le nouveau Juif comme un Autre rassurant, moderne, ami du progrès, sans barbe, sans papillotes, avec une femme qui ne porte pas de vêtements traditionnels et ne dissimule pas ses cheveux -heureusement, ces nouveaux Juifs n’ont rien en commun avec leurs grands-parents. Bref, cet Autre sympathique est assez similaire au Moi européen, toujours hostile à ceux qui ne lui ressemblent pas, qui ne s’habillent pas comme lui ou qui ne se conforment pas à ses valeurs. C’est ce que je montrerai avec une analyse politique de la culture de l’holocauste en Europe (chapitre I), puis une étude de la méthode d’Israël pour gagner les c ?urs et les esprits dans l’opinion publique européenne, grâce à une utilisation particulière de vieux modes de pensée colonialistes (chapitre II).

Israël est comme ces périphéries de l’Europe, qui, suivant l’idéologie nationale, confèrent à leurs sujets le rôle de « dernier avant-poste » contre « la barbarie non-européenne ». Dans l’imaginaire européen, le critère qui permet d’identifier les membres de la communauté occidentale est fondé depuis toujours sur le mur de séparation qui délimite la chrétienté occidentale blanche. Aujourd’hui, le cas le plus connu (et le moins imaginaire d’ailleurs) est l’opposition à l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne. Même les arguments des « libéraux » pour accepter la Turquie s’appuient sur cette démarcation : « Il faut encourager l’Islam modéré », « là-bas, le hidjab est interdit par la loi », etc. Dans cette géographie rêvée, où se situe Israël, où se situent les Juifs, après l’extermination des Juifs d’Europe ? (Auparavant, comme chacun sait, les Juifs ne faisaient pas partie de l’Occident, n’avaient jamais été acceptés par l’Occident, en dépit de la nostalgie à la mode pour les Juifs morts.) Israël partie de l’Occident : c’est une position éminemment politique. Mais c’est une illusion que de tracer un trait là où finit Israël et où commence le monde arabe. (Je traiterai de ce fantasme dans le chapitre IV, à propos de A.B. Yehoshua et de son désir de gommer sa « honte séfarade ».)

En Israël, quelque 60% des Juifs ne sont pas des ashkénazes (Juifs d’origine européenne, occidentale). Faut-il en conclure que la majorité des Juifs en Israël ne sont pas des Occidentaux, que la frontière imaginaire doit être tracée entre les ashkénazes et les Juifs orientaux ? Ce serait une erreur, car il s’agirait alors d’une affaire de couleur, ou de lieu de naissance, d’accent, de cuisine, de traditions religieuses [1], selon un mode de pensée racial ou même raciste. Ce que je pense, c’est que la ligne entre Occident et non-Occident, entre Ouest et Est ne passe pas entre les Juifs et les Palestiniens ni entre les Juifs ashkénazes et les orientaux, mais qu’elle traverse d’une façon très particulière le peuple juif - peuple ou nation. Nous autres, peuple ou groupe religieux, et même ceux d’entre nous qui venons d’Europe occidentale, n’avons jamais fait partie de l’Occident (chrétien), pas même après la nationalisation qu’a subie le peuple juif. Cette nationalisation n’a pas fait de nous des occidentaux [2] .

Pour faire une analyse de cette ambiguïté des Juifs, il faudrait des historiens et des philosophes qui s’emploieraient à décrire en profondeur l’histoire de la vie des Juifs au cours des deux cents dernières années, depuis l’émancipation. Car même les critères utilisés par les Lumières occidentales pour faire la distinction entre le laïque le religieux, principe de base des sociétés modernes, sont des critères étrangers à l’histoire des Juifs et qui ne lui sont pas applicables. Sans parler des lois sur le mariage édictées par l’État, lois non démocratiques, qui nous sont imposées à tous, (les principales victimes étant les femmes) - en faisant cyniquement porter la responsabilité sur les partis religieux, alors qu’elles ne font que servir les intérêts racistes de l’État pour éviter les « mariages mixtes » entre Juifs et non-Juifs (c’est-à-dire Arabes) [3].

Plutôt qu’un exemple aussi évident, prenons celui des lois traditionnelles concernant la nourriture : en Israël, 60 % des Juifs observent les règles de la cacherout, non seulement en ne mangeant pas de porc mais en respectant tous les autres interdits. Ils le font par choix et non sous une quelconque coercition religieuse. Autre exemple éloquent : 99,9 % des gens font circoncire leurs fils et le font comme le prescrit la loi juive, huit jours après la naissance. Pourtant, beaucoup d’entre nous se considèrent comme « laïques », ce qui ne tient pas si l’on se fie aux critères européens de la distinction entre laïques et religieux. Même la séparation qui semble aller de soi et que les Juifs ont acceptée comme mode de vie en se soumettant à l’impératif européen (chrétien) d’être « un Juif à la maison, un être humain à l’extérieur [4] », ne correspond pas à la diversité des histoires vécues par les Juifs. Toutes les tentatives de réunir l’ensemble de ces expériences dans le cadre de l’histoire de l’Occident se sont soldées par des échecs.

Notes :

[1] Les rites populaires et la vénération des « saints rabbins » chez les Juifs marocains est beaucoup plus proche des traditions musulmanes du Maghreb que de celles des Juifs ashkénazes.

[2] La dénonciation juive hystérique des « médias anti-israéliens », du nouvel antisémitisme », reflète peut-être le sentiment d’insécurité de ceux qui se sentent toujours comme des outsiders. Mais là n’est pas la question.

[3] Les citoyens israéliens ne peuvent se marier que dans le cadre de leurs institutions religieuses. Le mariage civil n’existe pas en Israël.

[4] Célèbre slogan des Lumières juives qui entérine l’équivalence entre « être un être humain » et « avoir l’apparence et le comportement d’un chrétien ».

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- Jusqu’à ce que tout soit à nous

21 novembre 2007 - UJFP


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