A Gaza, la survie de certains malades dépend du blocus israélien
jeudi 22 novembre 2007 - 06h:16
Benjamin Barthe - Le Monde
Souffle court, teint blafard, le moindre geste lui demande un effort. Sur un lit de l’hôpital Shifa de Gaza, couvert d’une mauvaise couverture apportée par son fils, Maher Al-Mabhuh, 46 ans, fait partie de ces malades palestiniens dont le sort dépend de la bureaucratie militaire israélienne. Si elle l’autorise à franchir le terminal d’Erez, sas de sortie de la bande côtière palestinienne, il ira soigner son cancer du colon dans un établissement plus performant, à Naplouse en Cisjordanie. Dans le cas contraire, il restera à la merci d’une aggravation de sa maladie.
- Des malades palestiniens devant l’hôpital Shifa de Gaza, le 5 novembre 2007
(Ph. AFP/M. Hams)
"J’ai tenté à trois reprises de sortir par Erez, dit-il d’une voix blanche. A chaque fois, les soldats m’ont refoulé alors que j’avais obtenu un permis de l’armée. Ils savent tout de ma vie sur leurs ordinateurs. Si je posais un véritable risque, ils auraient pu m’arrêter ou me questionner. Ils m’ont refoulé sans explication, comme s’ils voulaient nous pousser à les détester."
Huit morts depuis juillet
Depuis la prise de pouvoir du Hamas en juin, Israël soumet la bande de Gaza à un blocus quasi hermétique. Et ce, officiellement, en représailles aux tirs de roquettes Qassam sur les localités juives qui bordent le mince territoire palestinien. Entre juillet et septembre, 140 demandes d’hospitalisation en Israël ont été rejetées par les autorités militaires. Après intervention de l’organisation d’assistance médicale israélienne Physicians for human rights (PHR), une cinquantaine seulement ont été acceptées. "Du coup, beaucoup de jeunes blessés aux jambes ont dû être amputés et certains qui avaient besoin d’un traitement ophtalmologique d’urgence ont perdu la vue, explique Miri Weingarten, porte-parole de PHR. Parmi les cas que nous traitons, huit sont décédés depuis juillet alors qu’ils attendaient l’autorisation de sortir".
Pour Shlomo Dror, porte-parole du ministère de la défense israélien, la responsabilité de ces morts incombe au Hamas. "Au lieu d’investir dans la fabrication de Qassam, ils feraient mieux d’améliorer le système hospitalier", dit-il, avant d’affirmer que "96 % des demandes de sortie pour raisons médicales sont approuvées et les 4 % qui sont refusées le sont en raison d’une menace sécuritaire". Des chiffres contestés par Miri Weingarten, qui critique "l’usage réducteur et manipulateur de la notion de sécurité" : "Parmi les malades refoulés, il y a des aveugles ou des gens dans le coma dont on voit mal quel risque ils peuvent bien poser."
Nimr Shuaiber, mukhtar (chef) du quartier d’Al-Sabra, au centre de Gaza, était de ceux-là. Le 21 octobre, ce septuagénaire, victime d’une crise cardiaque, est conduit en urgence à Shifa. Le permis délivré par les autorités israéliennes ne lui sera d’aucune utilité. "Alors que l’ambulance approchait du check-point, les soldats nous ont tiré dessus. Nous avons dû faire demi-tour", raconte Nahed, son fils.
L’armée a justifié son comportement en affirmant que des roquettes étaient tombées près du terminal, ce que nous n’avons pas vu". Le lendemain, autre tentative. "Nous avons attendu trois heures avant de pouvoir avancer jusqu’au poste de contrôle israélien, poursuit Nahed. Les soldats ont ensuite passé deux heures à fouiller l’ambulance. Mon père était sous assistance respiratoire, ils l’ont forcé à se déshabiller." A court d’oxygène, l’ambulance part en chercher à Gaza. A son retour, Nimr Shuaiber est mort. "Pendant tout ce temps, il est resté allongé sur le sol, en plein soleil. Israël porte la responsabilité de sa mort.".
Un autre malade est mort, le 17 novembre, à l’âge de 21 ans, d’un cancer des testicules.
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