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Paradoxe de la judaïsation de la Galilée

lundi 19 novembre 2007 - 23h:11

Meron Rapoport - Ha’aretz

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Les efforts investis dans la judaïsation de la Galilée ont conduit à un paradoxe : des Juifs établis quittent les villes du nord pour des localités communautaires et des villages, et à leur place viennent des Arabes. Carmiel, Nazareth Illit et Maalot deviennent des villes mixtes. La maire adjointe de Carmiel pense que c’est la fin du monde.

Le maire de la ville de Nazareth Illit, Menahem Ariav, ôte d’une chemise en plastique un papier froissé qu’il présente fièrement. Ariav est un vrai dinosaure, quasiment dernier vestige du Mapai historique, maire depuis 32 ans déjà, outre une décennie comme maire faisant-fonction. A ses yeux, sa ville est un projet national, pour ne pas dire juif. Ce papier froissé en est la preuve définitive. Il s’agit d’un document rédigé par le général du commandement nord, Moshe Tsadok, en mars 1953. « Par la présente, vous êtes nommé au comité », y lit-on, « L’objectif : créer une localité juive à Nazareth ». Dit simplement : Nazareth Illit a été créé sur ordre.

Nazareth Illit n’a pas des allures de camp militaire. C’est une ville agréable et soignée, tout comme Carmiel et Maalot. Toutes trois ont été établies à proximité immédiate de localités arabes - Nazareth Illit sur une crête dominant Nazareth, Carmiel au c ?ur des villages de la vallée de Beit Hakerem, Maalot à côté du village de Tarshiha - et cela afin de réaliser un objectif clair : judaïser la Galilée.



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Les efforts d’établissement juif autour du vieux Nazareth ont commencé en 1957, avec la ville de développement de Nazareth Illit officiellement établie en 1962. La ville a attiré des nouveaux émigrants de l’Europe de l’Est à partir des années 70.




Mais c’est un processus inverse qui s’opère actuellement. Carmiel et Nazareth Illit sont en passe de devenir des villes mixtes. On pourrait appeler cela le grand paradoxe sioniste. « Les Juifs ont encerclé les villes et villages arabes, pensant que cela pousserait les Arabes à partir », explique Selim Laham, un entrepreneur de Nazareth, président de l’association de entrepreneurs du nord. « Mais les Arabes ne sont pas partis et ont trouvé un moyen de combattre l’encerclement : ils sont allés s’installer dans les villes juives ». Selim Laham se décrit lui-même comme un nationaliste arabe, et pour lui, le phénomène n’est donc pas négatif. Mais Menahem Ariav, qui juge le phénomène dangereux, ne manifeste pas de désaccord avec la manière dont Selim Laham présente les choses.

La maire adjointe de Carmiel dit que si un changement n’a pas lieu, sa ville sera à l’avenir une ville mixte, à tous égards, situation extrêmement fâcheuse à ses yeux, et Ouzi Shamir, directeur pour la Galilée au Ministère de l’Habitat, est du même avis. « Si nous ne menons pas une nouvelle politique », explique-t-il, « dans dix ans, ces villes seront des villes mixtes ».

Il est difficile de récolter des données précises sur la proportion d’Arabes dans la population des villes du nord. Le Ministère de l’Habitat ne collecte pas ces données, « pour ne pas entrer dans la politique », et les chefs des conseils s’efforcent d’abaisser les chiffres autant que faire se peut. Menahem Ariav dit que, d’après le registre des électeurs aux dernières élections, 8% des habitants de sa ville sont arabes. Il est évident pour tout le monde que le nombre réel est beaucoup plus élevé et Menahem Ariav n’a aucun problème à convenir que les chiffres augmentent chaque année.

La porte-parole de la municipalité de Carmiel dit qu’il s’agit de chiffres très faibles, mais un haut responsable de la municipalité estime qu’à Carmiel vivent entre 500 et 700 familles arabes - soit un peu plus de 6% de la population, selon un calcul prudent. Un appel d’offres pour 300 unités de logement dans la ville a été annulé quand il est apparu que la majorité des inscrits étaient arabes. Shamir explique que la raison officielle de l’annulation de cet appel d’offres est qu’il y était stipulé qu’il n’était destiné qu’aux « gens de l’endroit » - formule aseptisée servant à désigner les Juifs - et les conseillers juridiques l’ont invalidé. Un nouvel appel d’offres n’a pas encore été publié.

A Maalot, dans le nouveau quartier Hazeitim, 45% des locataires enregistrés sont arabes. Pratiquement tous viennent non pas de Tarshiha mais d’autres villages des environs. A Naharia également, à Afoula et dans d’autres villes du nord, il y a des phénomènes semblables, pour ne pas parler d’Acre qui était depuis le début une ville mixte.

Toutes les villes du nord sont malades. C’est ce que révèlent des chiffres officiels en provenance du Ministère de l’Habitat et qui ont été présentés la semaine dernière à la commission parlementaire de l’économie. Seules deux villes du nord du pays - Nahariya et Shlomi - ont connu au cours des six dernières années une croissance dépassant la moyenne nationale dans le secteur urbain qui est de 1,9%. La plupart des villes ont connu un développement de 0,5%, ou moins. Nazareth Illit a connu un repli de 0,5%. Quasiment tous les appels d’offres en matière de logement ont été annulés et les démarrages de chantiers de construction dans le secteur urbain, dans le nord du pays, y compris le district de Haïfa, sont passés de 10.000 unités de logement en 2000 à 6.100 en 2006. La chute libre.

Les raisons ne manquent pas à ce processus, notamment le manque d’emplois et la réduction massive de l’aide gouvernementale à l’acquisition d’appartements dans le nord. Mais il apparaît clairement que l’effort de judaïsation de la Galilée lui-même - la présentation des postes avancés, les localités communautaires et les expansions dans les kibboutz et moshav, comme exécution remise à jour de l’idée sioniste - contribue significativement à l’affaiblissement des villes et à la migration arabe vers celles-ci. Ces expansions et ces localités communautaires voient venir des Juifs qui quittent les villes du nord du pays où ils étaient établis. Leur place dans les villes est alors prise par des Arabes qui souffrent d’un manque de terrains à bâtir dans leurs localités.

Nazareth Illit constitue un exemple parlant. « Des habitants juifs ont bénéficié d’avantages sans fin », raconte Menahem Ariav, « terrain gratuit, participation au développement, aide à l’hypothèque. Maintenant, ils se mettent à vendre leurs maisons, pour un bon prix, à des Arabes - j’ai ainsi appris que mon voisin avait vendu une villa pour 390.000 dollars - et vont s’installer dans des localités communautaires ou des extensions [de kibboutz]. Là, il n’y a pas d’Arabes, pas d’Ethiopiens, pas d’Indiens. Chez eux, il y a un comité d’accueil ; chez moi, il n’y en a pas. Je suis dans le rouge. Des gens qui travaillent dans la Défense ont bénéficié d’énormément d’avantages pour la construction de villas à Nazareth Illit, à condition qu’ils résident sur place au moins huit ans. Alors ils établissent des contrats à l’avance avec des acheteurs arabes et déménagent vers des localités communautaires. »

Shlomo Bouhbout, de Maalot, lui aussi très vieux président de conseil, tient des propos semblables. « Il n’y a aucune logique ici », dit-il. « Moi, je n’ai pas de terres, et dans l’extension du moshav Hosen, on construit 150 unités d’habitation. A Kiryat Shmona, la population nantie achète des maisons dans les localités proches. Ces localités mettent sur pied des écoles régionales qui concurrencent nos écoles. Les enfants de Kfar Vradim fréquentent une école du kibboutz Cabri, 17 élèves par classe, 10.000 livres israéliennes [ 1.730 ?] de frais d’inscription. Comment pourrais-je leur faire concurrence ? »

Menahem Ariav, qui préside également l’Autorité de développement de la Galilée, insiste sur le fait qu’il s’agit d’un problème commun à toutes les localités urbaines de Galilée. Une nouvelle étude menée à l’initiative du Ministère de l’Habitat confirme ces propos : la plupart de ceux qui s’établissent dans les localités communautaires du nord du pays, viennent des villes du nord. Seule une petite partie des nouveaux résidents viennent du centre du pays. Aussi bien Shlomo Bouhbout que Menahem Ariav ont essayé de dénoncer cette tendance auprès des chefs de l’office du développement du Néguev et de la Galilée qui, dans ses campagnes publicitaires en faveur de l’établissement dans le nord, faisait une place importante aux villas de plain-pied dans les localités communautaires et les extensions [de kibboutz]. Mais ils ont eu l’impression que cet office du développement était bien faible. « Le lobby des kibboutz et des moshav est plus puissant », dit Shlomo Bouhbout.

Shlomo Bouhbout et Menahem Ariav ont en général, l’un comme l’autre, des mots chaleureux à propos des habitants arabes qui achètent des maisons chez eux. Menahem Ariav raconte qu’à Nazareth Illit, vivent six chefs de départements de l’hôpital Rambam, tous arabes. « On me dit qu’il y a plein d’Arabes dans le centre commercial, mais moi je dis au commerçants : si les Arabes ne venaient pas, il n’y aurait pas de centre commercial. » Le problème de Menahem Ariav, ce sont les « shebab », qui viennent en Mercedes ou en BMW et qui font des courses dans les rues de Nazareth Illit. Quand on lui rapporte que l’entrepreneur Selim Laham estime que dans dix ans, il y aura un maire arabe à Nazareth Illit, il bondit. « Qu’il ne s’inquiète pas, j’amènerai ici des ultra-orthodoxes, comme à Beit Shemesh. Mais je me fais du souci. 62% des enfants du district nord ne sont pas juifs. L’Etat se tire lui-même une balle dans la tête, pas dans le pied. »

Rina Grinberg, maire adjointe à Carmiel, est plus mordante encore. Les jeunes arabes « des villages » ont pris le contrôle des parcs de Carmiel et ils « démolissent, salissent, vandalisent ». Le centre commercial à l’entrée de la ville est « entièrement la propriété de gens des villages. On n’y parle que l’arabe, et on n’y donne pas de travail aux Juifs ». Grinberg ajoute qu’elle n’a « rien contre les gens qui habitent de l’autre côté de la rue ». Elle comprend qu’il y a des difficultés dans les villages mais Carmiel n’était pas destiné à être une ville mixte. Une population aisée abandonne Carmiel pour Nahariya ou Kfar Vradim et elle est remplacée par une population à faibles revenus et par des Arabes. « Si cela continue, dans dix ans, Carmiel sera une ville mixte », dit-elle. A ses yeux, c’est la fin du monde.

Beaucoup parmi les hauts responsables au sein des autorités juives du nord du pays disent, hors micro, être convaincus qu’il s’agit d’une démarche concertée de la part des Arabes en vue de prendre le contrôle des villes juives. Selim Laham considère que ce sont des bêtises. Il parle en connaisseur, parce que lui-même a construit et construit encore à Nazareth Illit et à Carmiel. « Les gens de Nazareth n’ont pas envie de venir à Nazareth Illit. Ils viennent parce qu’ils n’ont pas le choix », dit Selim Laham. Il n’y a pas de place dans les villages arabes, pas d’infrastructures ni d’hypothèques.

Selim Laham estime que pour résoudre le problème, il faudrait modifier l’affectation des sols, affecter des terres agricoles à la construction et développer un bâti arrivé à saturation dans les localités arabes. Il a déjà mis au point un plan envisageant la construction, sur dix ans, de 10.000 unités d’habitation dans le secteur arabe. Dans le projet de Selim Laham, un Arabe qui acquérrait un logement dans une zone bâtie saturée (12 unités de logement par dounam - soit 1.000 m²) recevrait de l’Etat une subvention pouvant s’élever à 150.000 livres israéliennes (26.000 ?). Les conditions de l’hypothèque seraient comparables à celles qui s’offrent aux habitants du secteur juif et l’Etat contribuerait au développement, comme dans les localités juives. Toute cette opération ne coûterait pas un maravédis à l’Etat parce qu’elle serait financée par les taxes sur les acquisitions arabes.

Selim Laham est persuadé que le projet peut réussir, que si on leur en donne la possibilité, les Arabes préféreront demeurer dans leurs localités. Il a présenté son idée au Ministre de l’Habitat, Zeev Boim, et à l’association des entrepreneurs. « Comme nationaliste arabe, je préfère que ma proposition ne soit pas acceptée », dit-il, « parce que dans dix ans, je poserai ma candidature au poste de maire de Nazareth Illit. »

Ouzi Shamir accepte l’analyse de Selim Laham. Si l’Etat ne commence pas à construire massivement dans le secteur arabe, dit-il, ce sera ça le processus. « Nous allons adopter le projet de Laham », dit l’administrateur du district. A condition, bien sûr, que l’Etat soit d’accord de donner l’argent et à condition aussi que l’Administration des terres d’Israël soit disposée à modifier l’affectation des terres. Selim Laham, qui est parfaitement au fait des efforts prodigués par l’Etat pour ne pas transmettre de terres aux Arabes, est plutôt sceptique.


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Meron Rapoport - Ha’aretz, le 16 novembre 2007
Traduit de l’hébreu par Michel Ghys


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