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Israël/Palestine : rencontrer l’autre ?

lundi 12 novembre 2007 - 06h:55

Kathleen et Bill Christison - Counterpunch

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Apprendre aux enfants israéliens et palestiniens à « s’entendre » ne sert, au mieux, qu’à enterrer les véritables problèmes.

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La réalité : des adolescentes israéliennes inscrivent des messages sur des obus... qui tueront des enfants libanais (Juillet 2006).




On hésite à critiquer ce genre de démarches. Elles partent d’une si bonne intention, et on semble si susceptible. Mais la multitude d’efforts déployés dans le monde pour réunir les enfants des conflits politiques, plus particulièrement du conflit israélo-palestinien, dans une sorte d’intimité forcée - dans des écoles ou des camps, par exemple - afin qu’ils arrivent à se connaître et à comprendre que, tous, ils sont des humains, cette multitude d’efforts peut n’aboutir en fait, et c’est souvent le cas, qu’à prolonger le conflit. Ces efforts bien intentionnés détournent en réalité l’attention des véritables problèmes, des véritables griefs, ils endorment les gens en leur laissant croire qu’être ainsi conciliant permettrait d’avancer vers le règlement du conflit.

L’un de ces camps pour jeunes israéliennes et palestiniennes est organisé chaque été dans un refuge près de l’endroit où nous vivons, au Nouveau-Mexique. Ces dernières années, ce camp a rassemblé des adolescentes des deux côtés qui ont vécu ensemble pendant deux semaines - partageant les chambres, mangeant en commun, faisant du bricolage et des activités musicales ensemble, parlant sans arrêt d’elles-mêmes, de leurs sociétés, de leurs craintes aux unes et aux autres. Elles se sont quittées, avec une perspective nouvelle, voyant l’autre comme une personne réelle qui a les mêmes soucis avec les garçons, les mêmes angoisses d’adolescentes, les mêmes difficultés avec les parents. Mais, si égales qu’elles aient pu être dans les montagnes du Nouveau-Mexique, elles ne s’en sont pas retournées chez elles sur un même pied d’égalité, elles n’y ont pas trouvé un contexte changé dans leurs vies quotidiennes.

Des démarches similaires sont menées en nombre d’endroits. Seeds of Peace (Graines de paix) réunit depuis des décennies des enfants de conflits, particulièrement des Arabes et des Israéliens, dans les forêts du Maine. Ailleurs et pas très éloignée de notre ville natale, il existe une école internationale ; elle dépend de United World College et fut créée il y a des dizaines d’années par Lord Mountbatten dans l’espoir de faire connaître d’autres cultures à de futurs dirigeants dans le monde, et à promouvoir chez eux la courtoisie dès leur jeune âge. Il y a aussi des écoles en Israël et en Palestine pour les enfants des deux bords, censées enseigner à chacun l’histoire de l’autre. A Jérusalem, il y a quelques soirs, nous avons rencontré l’un des principaux instigateurs de la dernière création d’école pour des jeunes de Palestine-Israël. Cet homme, un Américain, motivé par un soudain intérêt pour le conflit, a réuni des enseignants israéliens et palestiniens pour élaborer un programme d’enseignement pour les enfants des deux bords pour qu’ils agissent plus avec un esprit d’ouverture et d’amitié que par la colère.

Il n’est jamais mauvais évidemment, pour des ennemis, de se connaître mutuellement, et c’est bien de former la jeunesse de sociétés en conflit en allant au-delà de ce qui les divise et en considérant les humains comme des gens bien plutôt que comme des monstres. Mais, à moins d’avoir l’espoir d’un changement radical dans le contexte que ces enfants vont retrouver ensuite, l’expérience se révèle plus une diversion et un dommage qu’une avancée. Soit, les filles du camp d’été ont pu acquérir une perspective nouvelle, mais quand elles retournent à leurs existences séparées où les enfants d’une population occupée vivent sous la domination des enfants de la puissance occupante, rien n’a changé. L’idée que le vécu, par ces jeunes gens appelés à être des dirigeants dans leur pays, de cette expérience réconfortante de connaître « l’autre » promouvra des changements profonds une fois qu’ils seront adultes, n’est pas convaincante. D’une part, dans un conflit comme celui de la Palestine et Israël, trop de gens vont mourir dans les 20 ou 30 années, ou plus, avant que ces jeunes gens ne soient en position d’assumer une responsabilité dans leur société. D’autre part, quels que soient les changements de perspectives et d’opinions opérés, ce qu’ils ont acquis en apprenant à se connaître à 15 ou 16 ans n’a que peu de chances de perdurer, sauf si leurs circonstances de vie n’ont changé radicalement.

On ne peut attendre d’un camp d’été qui a rassemblé des filles d’esclaves et des filles de maîtres qu’il ait un impact durable si, au bout de deux semaines idylliques, elles s’en retournent à une situation où l’esclavage se perpétue, où les filles d’esclaves restent assujetties aux filles des maîtres de ces esclaves. Exactement comme on ne peut s’attendre à de vrais changements quand les filles des Palestiniens opprimés continuent de vivre sous la domination des filles de leurs oppresseurs israéliens. Au terme de ces camps d’été, de ces sessions scolaires où on enseigne à des jeunes palestiniens et israéliens réunis, les jeunes Israéliens, eux, vont retourner inévitablement à leur vie normale d’Israéliens pour effectuer leur service militaire obligatoire, dominant et humiliant les Palestiniens aux check-points à travers toute la Cisjordanie, résidant souvent dans les colonies sur la terre confisquée aux Palestiniens, emprisonnant les Palestiniens à Gaza, vivant en général comme une population privilégiée dans un Etat à majorité juive qui n’accorde que peu de droits aux non Juifs, spécialement aux Palestiniens. Les leçons de réconciliation et du respect de l’humanité de l’autre, apprises dans ces camps et écoles, ne sont d’aucune aide ni d’aucune valeur durable.

Ce sont presque toujours des Israéliens ou des sympathisants d’Israël qui prennent l’initiative de ces écoles et camps en commun : des sionistes modérés qui désirent agir pour la fin du conflit par celle de l’occupation, complètement sincères, mais leur préoccupation reste avant tout de préserver Israël en tant qu’Etat juif et par conséquent - et très probablement inconsciemment mais néanmoins nettement -, ils agissent pleinement aux conditions d’Israël. Ils cherchent beaucoup moins à enseigner aux enfants israéliens l’histoire de la Palestine qu’à essayer d’amener les enfants palestiniens à assimiler et à accepter les points de vue israéliens. Un bulletin publié par les organisateurs du camp d’été pour filles au Nouveau-Mexique notait récemment triomphalement qu’à la fin des sessions, les jeunes Palestiniennes parvenaient à comprendre pourquoi les jeunes Israéliennes devaient effectuer leur service militaire pour leur nation. Ces organisateurs n’ont pas en tête de changer sérieusement la situation sur le terrain, en Palestine et en Israël, ni de revoir la hiérarchie mettant les Juifs au-dessus des Arabes, ce qui caractérise Israël et les territoires occupés.

Contrairement à la plupart des organisateurs d’école, celui que nous avons rencontré à Jérusalem est américain-palestinien, cependant il opère lui aussi dans le cadre de références essentiellement israéliennes. Dans ses propos, il cherche tout à fait à convaincre les enfants palestiniens, y compris ceux de sa propre famille en Cisjordanie, de surmonter leur colère envers Israël et de la nécessité d’arrêter les tirs de roquettes depuis Gaza. Il a tant abondé dans le sens israélien, et il est si pénétré de sa conviction que de discuter et d’apprendre ensemble peuvent résoudre tous les problèmes, que lors d’une visite à Gaza, il n’a rien vu que la lumière du soleil. Tout le monde est heureux à Gaza, dit-il de façon absurde, car c’est un peuple libre, ravi dans son « Etat indépendant ». Il n’a rien vu des horreurs de la vie sous domination israélienne à Gaza, rien des assassinats israéliens continuels, rien de la pauvreté atroce ni de l’économie dévastée, rien de l’emprisonnement de ces un million quatre cent mille personnes, rien de cette évidence que la détresse de Gaza est politiquement provoquée par la domination oppressive d’Israël. Il a pris grand soin de trouver une excuse à chacun des comportements israéliens. Il est un Américain et, de son propre aveu, séparé de la Palestine depuis longtemps et son point de vue est celui de l’Amérique, lequel est celui d’Israël.

Il n’a parlé que de l’avenir ; le passé, dit-il, est hors propos. Il n’a pas abordé non plus le déséquilibre des forces entre Israéliens et Palestiniens ; cela aussi est hors propos, estime-t-il. Ces réalités sont évidemment trop gênantes pour quelqu’un qui ne croit que dans la justesse de sa propre démarche, une démarche qui ne peut ni changer les réalités d’aujourd’hui, ni celles de demain, et par conséquent, qui sert à détourner l’attention, la sienne comme celle des autres, sur ce qui devrait être fait absolument.

La véritable coexistence, c’est autre chose que de bien s’entendre simplement. Apprendre aux enfants à vivre ensemble, que les ennemis de leurs parents sont des êtres humains qui ne doivent pas être déshumanisés ni diabolisés, c’est gentil, mais c’est tristement insuffisant, voire conduit à un excès de confiance fatal. A moins que leurs parents n’apprennent eux-mêmes à coexister et à coexister dans une totale égalité, dans la justice et une dignité mutuelle, à moins que leurs parents n’engagent un sérieux effort pour changer la réalité lamentable de la domination juive absolue et permanente sur les Palestiniens, les quelques leçons de civilité dans leur jeune âge ne serviront à rien.


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La réalité : des adolescentes palestiniennes se rendant quotidiennement à l’école sous la menace de l’occupant israélien...




Bill Christison a été haut responsable à la CIA. Il a servi comme officier dans les services de renseignements des Etats-Unis et comme directeur du bureau des analyses régionales et politiques de l’Agence américaine.

Kathleen Christison est une ancienne analyste politique de la CIA et a travaillé sur les questions du Moyen-Orient pendant 30 ans. Elle est l’auteur de Perceptions of Palestine et de The Wound of Dispossession

Ils peuvent être contactés à l’adresse : kathy.bill.christison@comcast.net.

Des mêmes auteurs :

- L’hypocrisie du nucléaire au Moyen-Orient de Kathleen et Bill Christison- CounterPunch - 8 septembre 2007
- Un mouvement mondial pour la justice de Bill Christison - CounterPunch - 30 août 2007.
- Atrocités en Terre promise de Kathleen Christison - CounterPunch - 23 juillet 2006.

8 novembre 2007 - CounterPunch - illustration par la publication - traduction : JPP


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