Vous y aurez échappé. Ce jeudi 18 octobre, vous n’étiez ni à Jéricho, ni à Tel Aviv pour assister à One Million Voices, une manifestation festive pour la paix entre Israéliens et Palestiniens. Et pour cause : celle-ci n’a pas eu lieu.
C’est par un concert de plaintes désabusées et de gémissements au sujet des « extrémistes » que l’organisateur, One Voice, a annoncé l’annulation des évènements prévus ce 18 octobre à Tel Aviv et Jéricho. Prétextant des menaces qu’auraient reçues les participants, One Voice a préféré éteindre les lumières, ranger les guitares et renvoyer les artistes dans leur loge. L’annulation de One Million Voices est en réalité le fruit d’une campagne menée par les organisations soutenant le boycott d’Israël. Mais pourquoi donc s’acharner contre un mouvement qui cherche à mobiliser Israéliens et Palestiniens autour de l’idée de paix et de coexistence ? Parce que la conception de la coexistence défendue par One Voice n’est pas si éloignée de celle qui existe déjà en Palestine et en Israël et qui porte un autre nom : apartheid.
One Voice n’aurait pas d’opinion, ne chercherait pas à dicter de réponse. Le mouvement viserait seulement à rassembler la société civile de manière à obtenir des avancées vers la paix. Un tel degré d’apolitisme trouve probablement son origine dans la personnalité de son fondateur. Daniel Lubetzky ne s’occupe en effet pas de politique : il est un businessman. Elu par le Forum Economique Mondial comme un des cent Global Leaders of Tomorrow, M. Lubetzky se partage entre ses activités de colombe de la paix et d’entrepreneur : il est également président de PeaceWorks Holding LCC, une société « visant à la fois la paix et le profit » (sic) et accessoirement oeuvrant à la coopération (exploitation ?) économique israélo-palestinienne. C’est probablement dans cette même philosophie cherchant à concilier l’inconciliable que One Voice a été conçu : obtenir la paix et maintenir l’apartheid.
La plateforme du mouvement (que tous les participants aux manifestations festives du 18 octobre étaient ?invités’ à signer pour pouvoir y accéder) ne prend effectivement pas position : elle ne fait que « traduire les aspirations de la grande majorité des Israéliens et des Palestiniens ». Mais qui donc a donné mandat à One Voice pour exprimer les attentes des deux peuples ? Et où a-t-on été chercher que ceux-ci aspirent à vivre dans deux Etats côte à côte ? Parce qu’il s’agit bien de l’objectif affiché par le mouvement : rassembler les ?modérés’ favorables à l’établissement des deux Etats. Mais peut-on vraiment se prononcer pour la paix et défendre la partition du territoire, réclamant des compromis de chaque côté ? La fin de l’occupation de la Palestine ne devrait pas faire l’objet d’un compromis, ni même de négociations. Israël, puissance occupante, maintient illégalement sa tutelle sur la Palestine depuis quarante ans. Israël, puissance colonisatrice, accapare illégalement les terres palestiniennes depuis quarante ans. Les faits accomplis ne créent pas un droit qu’Israël pourrait négocier : la fin de l’occupation et de la colonisation doivent résulter de la pure et simple application du droit international.
Et peut-on vraiment se prononcer pour la paix et défendre le maintien de l’Etat d’Israël tel qu’il existe ? Israël, Etat ségrégationniste, maintient depuis près de soixante ans sa population arabe dans un statut de citoyen de seconde zone. Une véritable paix ne peut être obtenue sans démanteler ce racisme institutionnel et sans prendre en compte les Palestiniens d’Israël autrement que comme « menace démographique ». Peut-on vraiment se prononcer pour la paix et défendre une solution qui exclut explicitement quatre millions et demi de personnes ? Depuis sa création, Israël n’a eu de cesse de vider les terres conquises de leur population. Certains réfugiés attendent depuis près de soixante ans une autre solution que celle consistant à les parquer dans des camps sans espace, sans confort et sans perspective. Une paix juste doit passer par l’application de leur droit au retour.
En ces temps fleurissent des mouvements financés par l’Europe ou les Etats-Unis - jamais avares lorsqu’il s’agit de distribuer les bons points à ceux qui acceptent leurs feuilles de route et autres plans de négociations - , célébrant la coexistence pacifique de l’occupant et de l’occupé. Leur rhétorique de la paix sert de cache-sexe au maintien de l’occupation, de la colonisation, de l’apartheid, bref du statu quo. Ils opposent leur voix, celle des « modérés », à celles des « extrémistes » palestiniens qui réclament pourtant de véritables solutions. Depuis Oslo, l’idée que les relations entre Israéliens et Palestiniens puisse se normaliser sans mettre fin à l’occupation et à l’apartheid tente petit à petit de faire son chemin. La récente campagne qui a abouti à l’annulation de One Million Voices nous montre heureusement la bonne santé mentale de la société civile palestinienne : on n’aura pas réussi à lui faire avaler cette couleuvre-là.
Jonathan Colot est professeur d’histoire dans un athénée bruxelloise. Il est parti en Palestine dans le cadre du voyage d’immersion d’intal en juillet 2006. Il est aussi actif dans la campagne un "Avenir pour la Palestine". Il s’y occupe de l’information et de la sensibilisation
One Voice :
Le contexte politique ne peut être négligé, par Michel Warschawski
Jonathan Colot - Intal (International action for liberation), le 24 octobre 2007