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La peine dépend de la nationalité du meurtrier

samedi 19 août 2006 - 06h:44

Amira Hass - Ha’aretz

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Peu après la tuerie de Shfaram, il a été rapporté que les blessés et les familles des morts seraient reconnus comme victimes d’un acte d’hostilité, soignés et indemnisés en conséquence. Et tout de suite est venue la question
 : depuis quand met-on en valeur comme une nouvelle quelque chose qui va de soi, quelque chose de logique ?

Mais c’est qu’en Israël, l’égalité entre Juifs et Arabes n’est pas quelque chose qui va de soi. Et c’est comme ça que cette nouvelle qui n’aurait vraiment pas dû en être une, trouve néanmoins sa place comme telle. Cette nouvelle - et l’ambiance de dégoût qui lui a donné naissance - peut constituer un défi pour les fonctionnaires des ministères des Finances, de la Santé et de l’Assurance Nationale, qui ont l’habitude d’agir en suivant des usages et des lois discriminatoires à l’égard des citoyens arabes.

Une telle nouvelle est l’occasion de repérer d’autres strates de l’inégalité existant entre Juifs et Arabes, et qui sapent la définition de l’Etat d’Israël comme démocratie. Une des strates de cette inégalité « allant de soi », c’est le rapport des appareils judiciaires et pénitentiaires à l’égard des accusés et des détenus de sécurité arabes israéliens, et la discrimination qui est
faite entre eux et les accusés et détenus juifs.

Des détenus de sécurité qui sont arabes israéliens ou habitants de Jérusalem-Est subissent une discrimination par rapport à des détenus juifs israéliens qui ont porté atteinte à des Arabes, et ceci à trois niveaux : au
niveau de la sévérité de la peine qui leur sera infligée par les juges israéliens, au niveau des chances de libération anticipée (par effet d’une grâce ou par réduction de peine et libération une fois accomplis les deux tiers de la peine) et au niveau des conditions de détention.

En 1993, Yoram Skolnik a assassiné un Arabe qui était entravé et il a été condamné à la détention à perpétuité. Le Président Ezer Weizman a, par deux fois, réduit
sa peine : d’abord à 15 ans, puis à 11 ans et trois mois. Il a finalement été libéré sept ans après son arrestation.

Skolnik fait partie de la liste de Juifs qui ont assassiné des Arabes et ont été libérés par l’appareil judiciaire. En comparaison, des détenus arabes sont condamnés à la perpétuité ou à de longues peines, même s’ils ne sont
pas déclarés coupables de meurtre.

Ainsi, Moukhles Bourjal et Mohammed Ziadeh ont été condamnés, il y a 18 ans, à la perpétuité : ils avaient été
jugés coupables d’avoir lancé une grenade en direction d’un autobus qui transportait des soldats. La grenade n’avait pas explosé. Bourjal, qui avait lancé la grenade, a vu sa condamnation commuée en une peine de 40 ans. Celle de Ziadeh, qui lui avait signalé l’approche de l’autobus, est restée ce qu’elle était : une condamnation à perpétuité.

David Charbit, de la colonie de Brakha, a, en 1994, été condamné à cinq ans de prison après avoir été jugé coupable d’avoir grièvement blessé un jeune Arabe de 13 ans.

Arieh Chelouche a été condamné à sept ans de prison pour avoir tenté d’assassiner des Arabes, en 1990. Menahem Livni est un de ceux qui ont été jugés coupables du meurtre d’étudiants dans un collège d’Hébron en 1984 et il s’est vu condamné à la perpétuité.

Tous courent aujourd’hui en liberté.

Mais Otman Mera’a et Mahmoud Zahra, de Jérusalem, ont été condamnés en 1989 à 27 ans de prison pour avoir lancé des cocktails Molotov et occasionné des dommages matériels. Ils sont toujours en prison.

Les conditions de détention de Bourjal, Ziadeh, Zahra et leurs amis, qui n’ont tué personne, sont de loin plus dures que celles du meurtrier Ami Popper qui a sur les mains le sang de sept ouvriers arabes : sa condamnation à perpétuité a été réduite à 40 ans, il a été autorisé à se marier, à
retrouver son épouse, à avoir cinq enfants, à leur rendre visite, à obtenir des congés, à téléphoner tous les jours chez lui.

Les prisonniers de sécurité citoyens israéliens ou habitants de Jérusalem-Est n’ont pas le droit d’employer le téléphone public, ne sont pas autorisés à sortir en congé avec leur famille, pas même lorsqu’un parent ou un proche est à l’agonie ou est décédé, leurs temps de promenade dans la cour sont plus limités que ceux des prisonniers criminels, les visites familiales se font derrière des
grillages métalliques et des cloisons en plastique et en verre, et on leur interdit même d’embrasser leurs enfants et de toucher leur femme.

Toute une chaîne d’Israéliens collaborent en réalité à l’inégalité impliquée dans chaque journée d’une telle détention :
- les juges, qui condamnent les Arabes à des peines plus lourdes que celles appliquées à des Juifs ayant
commis des infractions comparables ou plus graves ;
- les membres des commissions, qui réduisent les peines de meurtriers juifs et savent que les « commissions du tiers » refusent généralement de libérer des Arabes, même
quand il ne s’agit pas de meurtriers ;
- les Présidents d’Israël, qui ont accordé des réductions de peine et gracié des Juifs ;
- leurs conseillers, fonctionnaires du Ministère de la Justice et juges à la Cour Suprême, qui sont au courant de cette discrimination dans les conditions de détention ;
- les juristes israéliens, présidents de facultés de droit, qui ne s’élèvent pas ni n’exigent l’examen répété d’un système dont les standards de jugement et d’emprisonnement varient selon la nationalité de la personne.

Que le lynchage de Shfaram ne serve pas de prétexte pour s’éviter de voir cette discrimination structurelle présente dans le système judiciaire et pénitentiaire israélien.

Note :

[1] Se rappeler qu’il n’y a pas de nationalité israélienne mais une citoyenneté israélienne. Et qu’à la rubrique « nation / nationalité » de ceux qui ont la citoyenneté israélienne, on pourra trouver : juif, hébreu, arabe, druze, russe, géorgien, etc.


Illustration dans cet article de Moshe Gorali, daté de décembre 2003, et dont la traduction avait alors été diffusée par Solidarité-Palestine.

Alors, ce Juif, cet Arabe, ce Géorgien et ce Samaritain vont en justice...

Ha’aretz, 29 décembre 2003
Version anglaise : So this Jew, Arab, Georgian and Samaritan go to court... http://www.haaretz.com/hasen/spages...


L’État nie qu’il existe quoi que ce soit de l’ordre d’une nationalité « israélienne ».

Un groupe de personnalités publiques israéliennes a adressé, la semaine passée, une requête à la Haute Cour de Justice pour qu’elle ordonne au ministère de l’Intérieur de les enregistrer comme Israéliens. « Nous sommes israéliens et voulons être enregistrés comme tels », disait la requête présentée par l’avocate Yoela Har-Shefi.

Le ministère de l’Intérieur possède une liste de 137 nationalités incluant Abkhazi, Assyrien ou Samaritain, mais vous n’y trouverez pas « Israélien ». L’État d’Israël ne reconnaît pas « Israélien » comme une nationalité.

Le groupe des requérants est mené par le professeur Uzi Ornan de l’Université Hébraïque et du Technion. Parmi les 38 intellectuels, personnalités du monde académique et scientifique, on trouve Shoulamit Aloni, Uri et Rachel Avnery, Yehoshua Sobol, Gavriel Solomon, Yigal Eilam,
Meron Benvenisti, Yehoshua Porat et Oren Yifta’el.

Également dans le groupe, le chanteur Alon Olearchik, ancien membre du groupe de spectacle Nahal de l’armée et du groupe rock israélien Caveret : de mère chrétienne et de père juif, il n’est donc pas juif. Adal Ka’adan,
l’Arabe israélien qui a vainement tenté d’acheter une maison dans la communauté Katzir, souhaite lui aussi être enregistré comme Israélien.

Certains des requérants sont catégorisés, sur leur carte d’identité, comme « Juif », « Druze », « Géorgien », « Russe », et même un « Hébreu ». Aucun d’entre eux n’est « Israélien » et la raison en est simple : l’État d’Israël ne reconnaît aucune nationalité israélienne qui ne soit pas juive. Même la Cour Suprême a statué, en 1970, qu’il n’y avait pas de nationalité israélienne.

Georg Rafael Tamrin est revenu d’une visite outre-mer pour découvrir une nouvelle loi - un amendement à la loi faisant suite à l’affaire du « qui est Juif ? » - décrétant que pour être un Israélien, il fallait être membre de « la nation juive ». Tamrin a demandé au Registre de Population de changer la rubrique nationalité de sa carte d’identité de « Juif » en « Israélien ». Il soutenait que « il y a déjà aujourd’hui une nationalité israélienne définie,
à laquelle j’appartiens en accord avec tous les critères subjectifs : identification, sentiment d’appartenance, loyauté et aussi le fait de le déclarer ».

Le juge du district de Tel Aviv, Yitzhak Shilo, a rejeté la requête de Tamrin en déclarant que « une personne ne peut créer une nouvelle nationalité en disant seulement qu’elle existe, et ensuite dire qu’il appartient à celle-ci ». Shilo a alors ajouté la vraie raison : « Je peux pleinement
déclarer qu’il n’y a pas de nation israélienne existant séparément d’une nation juive. »

Tamrin a fait appel auprès de la Haute Cour de Justice, qui a adopté la position du Tribunal de District. Shimon Agranat, juge à la Cour Suprême, a dénoncé le requérant : « Si une poignée de gens ou plus, veulent se séparer du
peuple juif - 23 ans seulement après la fondation de l’État - et acquérir le statut d’une nation israélienne séparée, cette orientation séparatiste ne devrait pas être tenue pour légitime et ne devrait pas être reconnue. »

Qui est Druze ?

La nouvelle requête remet en cause ces conclusions. Le professeur Ornan, ancien président de la Ligue contre la Coercition Religieuse et du Mouvement Laïque Israélien, est le président de l’organisation « Je suis israélien », qui a récolté plus de 2.000 signatures d’Israéliens. Un requérant, ancien général de l’armée de l’air, Benny Peled, est décédé aujourd’hui mais avait signé une procuration pour le groupe.

Un autre requérant est l’homme d’affaires druze Carmel Wahaba. En 1990, lui-même et ses partenaires français voulaient établir une société d’import-export en France. Pour l’enregistrement de cette société, une traduction jurée de l’extrait d’acte de naissance de Carmel Wahaba était requise. Lorsque l’employé français a vu les documents traduits, il s’en est pris à Wahaba : « Qu’est-ce qu’une nationalité druze ? Je n’ai pas entendu parler d’un État druze. Cherchez-vous à me dire qu’il y a un État druze à l’intérieur de l’État d’Israël ? »

Wahaba, qui se voyait suspecté d’essayer de duper les autorités françaises, a tenté d’expliquer, mais l’employé ne voulait rien entendre, exigeant que l’ambassade israélienne atteste que la traduction était correcte et que
Wahaba était effectivement un Israélien de nationalité druze.

Le requérant David Yanukshvili, un retraité, est enregistré comme « Géorgien ». La requête déclare : « Il a quitté la Géorgie et veut mener sa vie dans l’État d’Israël, pas simplement comme citoyen, mais comme membre de la nation israélienne. Pourquoi la nationalité géorgienne lui est-elle imposée ? »

Ornan s’est un jour catalogué lui-même Canaanite, membre d’un groupe idéologique dont les fondateurs comptent le poète défunt Yonatan Ratosh. Lorsqu’un jour Ratosh a perdu sa carte d’identité, le Ministère de l’Intérieur lui en avait procuré une nouvelle avec, sous la rubrique nationalité : « Juif ». Ratosh s’est empressé de faire appel auprès de la Haute Cour de Justice afin d’être à nouveau enregistré comme « Hébreu » - un terme qui apparaît dans la liste des nationalités du Ministère de l’Intérieur.

« Qu’est-ce que la nationalité hébraïque ? », demande la requête. « Simplement parce que deux ou trois personnes obstinées ont insisté sur leur droit à être enregistrées comme telles, et que la Cour Suprême y a consenti, une
nationalité hébraïque a été créée, alors que la réalité établie d’une nationalité israélienne n’est pas reconnue comme telle ? Il nous semble que le droit de dizaines de milliers de personnes qui déclarent que leur nationalité est israélienne ne vaut pas moins que le droit des Hébreux qui, lui, a été reconnu. »

Harmonie sociale

Les requérants croient que tout homme a le droit d’appartenir à la nationalité de son choix. Il n’est pas juste d’obliger une personne à être classée en fonction de sa religion dans un document officiel essentiel, dans
la mesure où ceci conduit à une discrimination contre des membres de diverses religions.

Il est encore moins approprié de contraindre un athée ou quelqu’un d’ouvertement hostile à la religion à se voir identifié à sa « religion », dans la mesure où il s’agit d’une forme de coercition religieuse.

La requête déclare encore que « Israël et toute organisation représentative juive se battent toujours bec et ongles contre le fait de mentionner que quelqu’un est "Juif" sur des documents officiels d’autres États. Comment une
chose qui est une abomination lorsqu’elle est faite par d’autres devient-elle estimable et casher quand c’est nous qui la faisons ? »

Dans les États démocratiques occidentaux, la citoyenneté a habituellement le même sens que la nationalité. En Israël, la clause de la « citoyenneté » au Bureau du Registre de la Population est accompagnée d’une autre clause appelée « nationalité ». Donc, en Israël, « nationalité » et citoyenneté » sont deux choses différentes.

Il y a environ trois ans, lorsque la Cour Suprême a chargé Eli Yishai, alors ministre de l’Intérieur, d’enregistrer les convertis du judaïsme réformé comme « Juifs » dans la clause de nationalité, le ministre a ordonné que la clause soit supprimée de la carte d’identité. À la place de « Juif », une rangée d’étoiles apparaît aujourd’hui. Une dame dont la carte d’identité était arrivée en fin de validité et qui avait introduit une demande pour une nouvelle carte d’identité, a été surprise de découvrir des étoiles à la
place de son identité juive. Elle a fait appel auprès de la Cour Suprême pour rétablir la classification « Juif ».

L’avocate Har-Shefi s’attend à ce que les deux requêtes soient débattues ensemble afin que la Cour puisse examiner la filiation entre le judaïsme et le fait d’être israélien. Il n’y a pas contradiction entre les deux, dit-elle. Exactement comme il y a un Juif américain, il peut y avoir un Juif israélien.

« Le Juif américain est à la fois américain de nationalité et juif, et il en est de même d’un Juif français ou d’un Juif norvégien. Nous croyons qu’un Juif israélien a droit à être appelé israélien en tant que membre de la nationalité israélienne, comme son frère qui appartient à la nationalité américaine », dit la requête.

Les discussions touchent à des valeurs, des intérêts, au droit comparé, au droit de l’Homme à l’auto-définition, à l’égalité, à la concrétisation des droits reconnus par la Déclaration d’Indépendance et même au renforcement de
l’harmonie au sein de la société israélienne.

La requête cite également la décision de la Commission Or selon laquelle « un but central de l’activité de l’État doit être d’atteindre à une réelle égalité pour les citoyens arabes de l’État. Reconnaître le droit de tous ceux qui perçoivent les choses de cette manière - aussi bien Juifs
qu’Arabes - et qui veulent se définir comme israéliens, ouvrirait la voie à une diminution de la discrimination, aiderait à la réconciliation et établirait une identification de tous les Israéliens avec leur État ».

Selon des études, Har-Shefi dit que 60% des Arabes israéliens sauteraient sur l’occasion d’être enregistrés comme Israéliens.

Quant aux Juifs, la reconnaissance de la nationalité israélienne ôterait une source de controverse et de division à la fois parmi les Juifs israéliens et
entre les Juifs d’Israël et les Juifs de la diaspora, dit la requête.

L’objet principal de la requête est la séparation de la religion et de l’État, ou au moins la séparation de la religion et de la nationalité. La requérante Nili Kook est la veuve du professeur Hillel Kook, décédé il y a deux ans. « Il m’avait dit que son grand-oncle, le rabbin Kook, aurait
soutenu la requête. Comme feu le professeur Yeshayahou Leibowitz, il voulait séparer la religion de la nationalité et de l’État. Ils croyaient que seule une telle séparation accroîtrait le respect à l’égard de la religion, en
Israël », dit Har-Shefi.

La nomination d’Avraham Poraz comme ministre de l’Intérieur a suscité de l’espoir parmi les requérants, mais leur requête à son adresse, comme leurs lettres à Haim Ramon lorsqu’il était ministre de l’Intérieur, est restée
ignorée. La question-piège a été enterrée. Une requête adressée à la Cour Suprême est un bon moyen pour soulever une question et la mettre à l’ordre du jour, mais on peut douter que la Cour Suprême soit la bonne adresse.

Comme le juge Shilo l’a dit, une nationalité n’est pas créée par le seul fait de déclarer qu’elle existe. Il est difficile d’imaginer que les juges créent la nationalité israélienne. D’un autre côté, le président de la Cour
Suprême, Aharon Barak, prend sa retraite dans environ trois ans et peut-être l’histoire, sous l’aspect de 38 « Israéliens », lui a-t-elle procuré la dernière grosse affaire pour créer une autre révolution.

Haaretz, 10 août 05 - http://www.haaretz.co.il/hasite/pag...
Version anglaise : http://www.haaretz.com/hasen/spages...
Traduit de l’hébreu par Michel Ghys


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