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La Bible exhumée

dimanche 14 mars 2004 - 07h:37

Larry Saltzman

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Cet article passe en revue les théories de l’un des plus éminents des archéologues biblistes révolutionnaires : Israël Finkelstein. Où les découvertes concrètes de l’archéologie sur le terrain retournent comme une crèpe les clichés de l’archéologie biblique.

Cela dérangera plus d’un sioniste laïc, voulant justifier l’existence de l’Israël moderne et l’annexion en projet de la « Judée » et de la « Samarie », en prenant pour prétexte des textes bibliques. Vous êtes libres de prendre en compte les résultats de ces recherches, ou non. Mais leurs implications, pour le conflit israélo-palestinien, sont extrêmement importantes.


Israël - 09-12-2004

Une révolution est en cours, dans le domaine de l’archéologie biblique. Cette branche spécialisée de l’archéologie est en train de procéder à l’étude critique de la Bible en comparant le texte biblique avec les fouilles archéologiques, et en retournant absolument toutes les pierres, même celles que nous pensions déjà connaître par coeur. Cela est susceptible de déranger beaucoup de gens, en particuliers les tenants de positions politiques ou de croyances religieuses hautement conservatrices bien ancrées. Cela vaut pour tous ceux qui font une interprétation littérale de la Bible, qu’ils soient chrétiens, musulmans ou juifs.

Cela dérangera plus d’un sioniste laïc, voulant justifier l’existence de l’Israël moderne et l’annexion en projet de la « Judée » et de la « Samarie », en prenant pour prétexte des textes bibliques. Vous êtes libres de prendre en compte les résultats de ces recherches, ou non. Mais leurs implications, pour le conflit israélo-palestinien, sont extrêmement importantes.

Cet article passera en revue les théories de l’un des plus éminents de ces archéologues biblistes révolutionnaires : Israël Finkelstein.

Le Professeur Finkelstein est israélien, il a été très critiqué, en Israël, à cause de son travail d’archéologue, par des éléments conservateurs de la société, qui savent fort bien ce que ses découvertes signifient pour les soubassements bibliques [allégués] du sionisme.

Pour en savoir plus au sujet des recherches que je ne vais présenter ici que succinctement, je vous invite à lire les ouvrages d’Israël Finkelstein.

Le plus accessible est son livre : « La Bible dévoilée : Les nouvelles révélations de l’archéologie », co-écrit avec Neil Asher Silberman, et publié en traduction française aux éditions Bayard, en 2002 [Paris, 430 p., 24 Euros, ISBN : 2-227-139-51-X].

Finkelstein appartient à une équipe d’archéologues qui sont en train de littéralement retourner comme une crêpe le domaine de l’archéologie biblique.

Un archéologue, cela vit dans un monde à part, fait de tells, de strates, de datation au carbone 14, de Jéricho IV, d’âge du bronze précoce, médian et tardif, d’âge du fer I et d’âge du fer II, ainsi, bien entendu, que de tessons de poterie et de styles architecturaux.

Lentement, mais sûrement, au fur et à mesure qu’ils excavent et datent les sites archéologiques importants situés dans l’Israël contemporain et dans certaines parties des territoires palestiniens occupés, l’histoire de la région, censée être relatée par la Bible, est en cours de réécriture.

Et elle diffère considérablement de ce que la Bible nous a raconté. Je donne ci-après un très bref résumé de ces recherches, et une analyse de leurs implications.

Le Professeur Finkelstein n’a pas cherché, lui-même, à interpréter ses recherches dans le contexte des complexités politiques et diplomatiques contemporaines, au Moyen-Orient. Il a simplement exposé les faits que les vestiges archéologiques ont révélé.

Certains archéologues persistent à ne pas être d’accord avec lui, mais sa vision est celle d’un scientifique pragmatique, classique, et en aucun cas celle d’un écrivain marginal qui aurait une hache conspiratrice ou politique à aiguiser.

De plus en plus de spécialistes éminents, travaillant sur le terrain, s’orientent vers des positions proches de la sienne, même s’ils peuvent parfois ne pas être d’accord avec lui, sur certains points de détail.

Israël, la Judée et la Samarie n’étaient que des Etats cananéens, qui avaient émergé de la culture indigène cananéenne, et non de l’invasion d’un peuple mythique, composé de gens appelés « les Hébreux ». Israël était un petit Etat cananéen, qui parvint à un bref âge d’or.

Il atteint au sommet de sa puissance et de sa gloire sous le règne du roi Ahab et de la reine Jézabel. La Maison (= dynastie) de David n’a jamais régné en Israël : elle a régné, en revanche, sur l’Etat cananéen de Juda.

Finkelstein est persuadé que la Maison de David a bien existé. David et Salomon furent probablement des chefs de tribus, dans la contrée vallonnée qui allait devenir le Royaume de Judée. Jérusalem était la capitale de la Judée, et non d’Israël.

A l’époque de David et de Salomon, Jérusalem était une toute petite ville, sans beaucoup d’importance, et le grand Temple n’existait pas encore.

Les principaux lieux de culte étaient situés plus au nord, dans les villes du Royaume d’Israël. En fait, les grandes villes de Canaan, attribuées jusqu’ici à Salomon, ont été fondées par des Rois d’Israël, tel Ahab.

C’est sous le règne du Roi Josias que la Bible fut finalement recensée, et que quelque chose ressemblant au judaïsme actuel commença à prendre forme, au cours des 8ème et 7ème siècles avant Jésus-Christ.

La Bible n’est autre chose qu’un document politique, destiné à glorifier la dynastie de Josias et de le relier, abusivement, à l’âge d’or au cours duquel l’Etat d’Israël, à son apogée, représenta un centre de puissance et de civilisation sophistiquée.

La Bible est, pour l’essentiel, un ouvrage destiné à la propagande, intriquant des fragments historiques et mythiques relatifs à divers peuples cananéens, afin de constituer une puissante justification du pouvoir de Josias et pour ses menées expansionnistes.

Personnellement, je tire une conclusion positive, de ces recherches. En tant que juif américain, je me suis très longtemps débattu avec les contradictions et les problématiques du sionisme, et avec la politique inique de l’Etat d’Israël vis-à-vis des Palestiniens. Ceux qui ont suffisamment de courage pour aborder cette recherche dans l’état d’esprit convenable y trouveront une solution aux problèmes du Moyen-Orient.

Pour dire les choses simplement : les juifs européens, les juifs orientaux et les Palestiniens sont frères et soeurs, et ont en partage des ancêtres communs, cananéens. Il y eut un très petit nombre de voix, chez les premiers sionistes, qui s’élevèrent contre la création d’un Etat juif séparé dans la région.

Ils ont perdu, face à la faction, beaucoup plus puissante, des sionistes emmenés par David Ben Gourion, qui était atteint de cette maladie qu’on appelle le colonialisme européen. Ben Gourion et ceux de son camp ont vu, dans les indigènes qui peuplaient la Palestine, un obstacle à éliminer.

Je pense sincèrement que les juifs, dans le monde entier, doivent tirer fierté non d’Israël, cet Etat colonialiste moderne, mais de l’ensemble de la région de Palestine, patrie des cultures cananéenne et israélite, dont nous sommes les héritiers.

Les juifs européens ne sont que des Cananéens européanisés ; les Palestiniens, qu’ils soient musulmans, chrétiens ou juifs, n’étaient que des Cananéens arabisés. Même les recherches les plus poussées dans le domaine de la génétique montrent que nous descendons des mêmes ancêtres.

Pensons aux Américains d’origine irlandaise, ou aux Américains d’origine italienne, retournant dans leur patrie ancestrale respective afin d’en découvrir la culture et les hommes. Ils ne pensent certainement pas avoir un quelconque droit à conquérir leur territoire et à en chasser leurs concitoyens restés sur place ! Non. Bien au contraire : ils vont en Italie, ou en Irlande, pour y renouer avec leurs racines culturelles, que leur font partager ceux qui appartiennent encore à la culture vivante d’origine.

A cause du sionisme, les juifs ont perdu l’opportunité de retourner en Palestine et d’y renouer avec les Palestiniens, c’est-à-dire avec le peuple qui a maintenu vivante la culture de l’antique pays de Canaan.

Sous cet éclairage, la lutte contre le sionisme est à mes yeux tout autant mon combat que celui des Palestiniens.

Ce sont les sionistes qui m’ont coupé de mes racines, bien loin de me les faire retrouver.

C’est ce mouvement, le sionisme, qui s’est même approprié le fondement spirituel du judaïsme, l’association pour la première fois en deux millénaires à l’agression et à l’oppression d’autrui. Quelques défauts qu’aient pu avoir mes ancêtres européens, ce ne sont pas eux qui ont déclenché des guerres, ou la construction d’empires coloniaux.
Non ; çà, ce sont les chrétiens, majoritaires en Europe, qui l’ont fait.

Ce sont les sionistes qui, par leurs actes d’épuration ethnique et de violence ininterrompue, ont fait d’un peuple qui partage avec moi des ancêtres communs, des ennemis. Le malaise de la pensée colonialiste européenne a aveuglé les sionistes, qui n’ont pas pu voir à quel point les Palestiniens partageaient avec nous une culture ancestrale et un héritage communs.

Ceux qui vinrent d’Europe ont certes bénéficié de l’avantage indéniable de la technologie occidentale, mais les Palestiniens avaient quelque chose de bien plus précieux à nous proposer, quelque chose que les sionistes traitèrent par le mépris et qu’ils rejetèrent du revers de la main.

Mais je garde l’espoir qu’une nouvelle vision des ancêtres communs aux juifs et aux Palestiniens pourra un jour être partagée et répandue, et aussi mobilisée afin de discréditer le legs du sionisme. Les anciens Cananéens avaient une grande culture.

C’est de leur culture que surgirent le judaïsme, le christianisme et l’Islam. Leur culture, qui trouve son expression dans les civilisations cananéennes de Judée et d’Israël, exerce sur une grande partie de l’humanité une influence bien plus importante que ne le firent jamais des puissances militaires et des empires bien plus formidables de l’Antiquité.

Si les mythes et les religions des autres civilisations antiques du Moyen-Orient ne sont plus célébrés ni pratiqués par quiconque, l’héritage religieux de la Judée est pratiquée sous les formes du christianisme, de l’Islam et du judaïsme, par près de deux milliards d’humains, répartis dans tous les continents.

Quand serons-nous capables de reconnaître et d’accepter notre profond héritage commun ?

Nous pouvons peut-être commencer par dépasser les souffrances et les destructions guerrières du vingtième siècle, et passer à une paix durable et juste, au Moyen-Orient ?


* Larry Saltzman est Américain, et juif.
Pour lui, la signification du « Jamais plus ! », au sujet de l’Holocauste, c’est que jamais plus personne, sur notre planète, ne doit être persécuté. Passionné d’horticulture, il soigne un verger d’une soixantaine d’arbres fruitiers. Il militait contre l’occupation israélienne depuis déjà longtemps lorsqu’il a appris la nouvelle des destructions arbitraires de vergers et de fermes par l’armée israélienne, dans les territoires palestiniens, l’an dernier : il a immédiatement décider de militer activement contre l’occupation.

Diplômé d’anthropologie de l’UCLA (University of California in Los Angeles), mais il travaille dans un tout autre domaine : la programmation informatique.

in Palestine Chronicle - 09/03/2002


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