16 septembre 2017 - CONNECTEZ-VOUS sur notre nouveau site : CHRONIQUE DE PALESTINE

Le Liban revigoré

samedi 4 août 2007 - 06h:47

Sami Moubayed - Asia Times Online

Imprimer Imprimer la page

Bookmark and Share


DAMAS - Il n’y a pas de Proche-Orient. Il est "parti avec le vent". Ce sont les mots que Hassan Nasrallah, le secrétaire général du Hezbollah, a prononcés devant une foule de supporters, le jour du premier anniversaire de la guerre israélienne de l’été dernier contre le Liban. Nasrallah pense que le nouveau Proche-Orient, vanté par le président des Etats-Unis, George W. Bush, n’est pas une réalité.

Vraiment, Washington a pratiquement abandonné sa rhétorique de promotion de la démocratie, comme le prouve le revirement en cours dans toute la région, effectué par la Secrétaire d’Etat Condoleeza Rice et le Secrétaire à la Défense Robert Gates, consistant à distribuer 43 milliards de dollars en nouvel armement pour l’Egypte, la Jordanie, Israël, l’Arabie Saoudite et les Etats arabes du Golfe Persique.

Après une rencontre en Egypte avec les six membres du Conseil de Coopération du Golfe (l’Arabie Saoudite, le Koweït, la Bahreïn, le Qatar, les Emirats Arabes Unis et Oman), plus l’Egypte et la Jordanie, Rice a parlé de "l’engagement des Etats-Unis à la sécurité, à la stabilité et au progrès au Proche-Orient". Rice a déclaré que les Etats-Unis avaient eu "des discussions très intenses sur les diverses questions politiques auxquelles la région est confrontée ... sur la question israélo-palestinienne, sur l’Irak, sur la situation au Liban et autres questions politiques".

Rice et Gates feront les escales habituelles en Egypte, en Arabie Saoudite et en Israël, pour parler de ces problèmes. Mais ils ne se rendront pas en Syrie et certainement pas en Iran, même si la situation au Liban est à un point de crise et que ces deux pays ont besoin que l’on dialogue avec eux pour aider à désamorcer la situation.

La France a pris la main pour s’attaquer à la question du Liban, puisque, contrairement aux Etats-Unis, elle est au moins prête à reconnaître l’existence du Hezbollah et son rôle dans la politique libanaise.

La France est de retour
Au Liban, sur un front, les combats se poursuivent au nord entre l’armée et le groupe islamique radical, Fatah al-Islam. Sur un autre front, les assassinats politiques ciblés se poursuivent, visant la Coalition du 14 Mars, menée par le dirigeant de la majorité parlementaire, Saad al-Hariri, fils de l’ancien Premier ministre assassiné, Rafik al-Hariri.

Certaines figures de l’opposition, comme le dirigeant chrétien le Général Michel Aoun, accusent le gouvernement de corruption, d’autoritarisme et de travailler avec les Etats-Unis pour balayer les Chiites du Liban, parce qu’ils constituent une menace contre Israël et qu’ils sont des alliés de l’Iran.

Le Hezbollah, qui est allié avec Aoun, a manifesté contre le gouvernement pro-occidental de Fouad Siniora et occupe toujours la rue de Beyrouth, refusant de céder tant que Siniora ne se sera pas retiré. Sa position est soutenue sans réserve par la Syrie et l’Iran.

Au milieu de toute cette tension, est arrivée l’initiative de médiation de la France, qui a envoyé à Beyrouth, la semaine dernière, son ministre des affaires étrangères, Bernard Kouchner, pour rencontrer les acteurs-clés du Liban. Les Français ont toujours montré un intérêt pour le Liban, une ancienne colonie à laquelle ils attachent une très grande importance politique et culturelle.

Sous l’ancien président Jacques Chirac, qui avait rallié les Français derrière la famille Hariri, à cause de son amitié personnelle avec Rafik Hariri, les relations avaient été ramenées à un plan personnel. Chirac était incapable de s’occuper du Liban (au moins jusqu’en 2005), comme un médiateur sincère ou impartial. Cela a eu pour conséquence sa relation tendue avec la Syrie, puisqu’il pensait, comme la Coalition du 14 Mars, que la Syrie était responsable du meurtre de Hariri.

Cela a changé lorsque Nicolas Sarkozy est arrivé au pouvoir en mai dernier. Dans son initiative de médiation, le nouveau dirigeant français a établi un contact avec l’Iran, la Syrie et le Hezbollah, réalisant que tout accord au Liban ne pouvait être mis en application - ne serait-ce que passé - sans concilier ces principaux acteurs avec lesquels Chirac avait tout simplement refusé de traiter, comme les Etats-Unis le refusent toujours.

Que Sarkozy fût d’accord avec la Syrie ou même qu’il aimât Damas n’avait pas beaucoup d’importance : ce qui importait était qu’il avait besoin de la Syrie pour aider à résoudre les problèmes au Liban. Cette nouvelle approche française, en même temps que la possibilité pour Sarkozy de se rendre à Damas, a été très bien accueillie par la Syrie. C’est pourquoi celle-ci a encouragé ses alliés au Liban à prendre part aux pourparlers soutenus par la France.

Cependant, malgré les efforts syriens et iraniens d’en faire un succès, la visite de Kouchner au Liban n’a pas été entièrement satisfaisante. Sarkozy a fait revenir ces deux pays sous le feu des projecteurs, reconnaissant qu’ils avaient leur mot à dire au Liban, à un moment où les Etats-Unis ont essayé par tous les moyens de saper leur influence régionale. Le fait qu’ils soient consultés et impliqués est très important.

Lors du dialogue à Beyrouth, soutenu par les Français, Kouchner a mis en avant les points suivants :

* Toutes les parties doivent garantir la tenue des élections présidentielles, telles qu’elles sont programmées en septembre, et éviter de créer un vide constitutionnel.

* Il devrait y avoir un accord entre toutes les parties rivales sur le nom du nouveau président - quelqu’un accepté à la fois par le 14 Mars et par l’opposition conduite par le Hezbollah. Ce président sera élu à la majorité des deux-tiers au parlement, comme c’est l’habitude depuis les années 40.

* Lorsque et si un gouvernement d’unité nationale est créé, représentant tous les partis, alors tous devraient promettre de démissionner de leur poste, quelles que soient les circonstances, afin de ne pas ramener le pays à la case-départ.

* Une commission conjointe entre toutes les parties sera créée, sous les auspices des Français, pour faciliter la création d’un nouveau gouvernement. Puisqu’il n’y aura pas d’élections législatives, le 14 Mars aura toujours la majorité. Cela signifie que le nouveau Premier ministre sera un membre de la coalition Hariri.

Le Hezbollah a accepté tous les points de Kouchner sauf le premier, disant qu’il ne peut pas garantir que les élections présidentielles se tiennent en temps, étant donné que le parlement ne sera pas réouvert et qu’aucun quorum ne sera atteint, tant que le gouvernement de Siniora restera au pouvoir. Il appelle d’abord à la démission de Siniora et, ensuite, aux élections présidentielles. Le 14 Mars dit exactement le contraire.

Les deux camps diffèrent sur ce à quoi doit ressembler le nouveau gouvernement. Le 14 Mars a proposé une formule "19+10+1", qui maintient 19 sièges pour le bloc Hariri, 10 pour l’opposition et un indépendant. Toutefois, l’opposition dit que c’est trop peu, demandant 13 sièges pour le Hezbollah et ses alliés et seulement 17 pour le bloc Hariri et le 14 Mars.

S’exprimant lors d’une conférence de presse à Beyrouth, après que ces différences ont refait surface, Kouchner a déclaré : "Ce qui s’est passé ces trois derniers jours n’a pas été un échec. Cela a été un progrès". Les Français voient que la situation est si tendue, que le simple fait que ces dirigeants se soient assis autour de la table, discutant plutôt que se lançant des accusations, est un pas en avant.

Kouchner a ajouté : "La guerre au Liban est une possibilité. Parce que je connais l’histoire du Liban. Malheureusement, sur 64 ans d’existence, le Liban a connu 34 années de guerre. Ce n’est pas une surprise". Terminant sur une note positive, il a déclaré, "Les gens qui peuvent faire la guerre demain peuvent dialoguer aujourd’hui".

Immédiatement après la visite du ministre français, est arrivée celle du ministre des affaires étrangères espagnol, Miguel Angel Moratinos, qui a aussi rencontré des membres du Hezbollah, notamment le Check Najim Qassim, son secrétaire-général adjoint. Ceci est nouveau, puisque l’Europe a suivi depuis pas mal de temps la ligne américaine vis-à-vis du Hezbollah. Et, cela montre le sérieux de l’Europe pour prendre la direction des opérations au Liban et trouver une solution, sans tenir compte des intérêts étasuniens au Proche-Orient.

En mars, Javier Solana, le chef de la politique étrangère européenne, a rendu visite à la Syrie pour qu’ils participent à la recherche de solutions pour le Liban. Entre autres choses, il a promis une série d’incitations, comme un accord de partenariat entre Damas et l’UE. Cette fois-ci, après la visite de Moratinos à Beyrouth, Solana a déclaré que la balle "est dans le camp de la Syrie", appelant à nouveau Damas à utiliser son influence considérable sur le Hezbollah, pour les amener à passer un accord politique avec le 14 Mars et qui évitera au pays plus de chaos et de confusion.

Entre temps, tandis que l’Europe essaye de compartimenter et de trouver un terrain commun avec les Libanais, les Etats-Unis travaillent toujours à saper le Hezbollah. Une méthode a été de geler les actifs des organisations accusées de financer ce groupe libanais. Cette semaine, les Etats-Unis ont visé l’Organisation Shahid, basée à Téhéran, parce que le chef de sa branche à Beyrouth, Qasim Alik, était un membre de haut rang du Hezbollah qui travaille à présent avec le Djihad pour la Compagnie de Construction appartenant au Hezbollah, qui reconstruit le sud-Liban.

Une autre façon est d’accroître son aide militaire à Israël de 25% (environ 30 milliards de dollars sur une période de 10 ans). Ces deux gestes ont été minimisés par Nasrallah, qui a insisté dans un message destiné aux Etats-Unis et à Israël : "Nous possédons, et continuerons de posséder des missiles qui peuvent atteindre tout endroit de la Palestine occupée".

Nasrallah, qui se trouvait à Damas la semaine dernière pour rencontrer le Président iranien Mahmoud Ahmadinejad, semble toujours aussi provocateur, insistant chaque fois qu’il le peut sur le fait que la guerre civile pour le Liban n’est pas sur son agenda.

S’exprimant lors de l’anniversaire de la guerre, Nasrallah a déclaré : "Notre message est clair. Nous voulons que le Liban soit un pays pour tous ses fils et ses sectes. Nous ne voulons pas changer la structure politique et nous n’avons pas pour objectif de régner sur le Liban ou de le contrôler. Le maximum de ce que nous voulons est un partenariat politique. Le maximum de ce que nous voulons est que l’électricité arrive dans nos districts [les districts chiites sont très sous-développés] comme elle arrive dans ceux des autres. Le maximum de ce que nous voulons est d’être traités comme des citoyens libanais," une référence à ceux au 14 Mars qui accusent le Hezbollah de prendre ses ordres à Téhéran et à Damas.

Ensuite, se référant à la guerre médiatique contre le Hezbollah, Nasrallah a ajouté, "Personne n’a besoin de parler d’un Etat islamique, de l’islamisation du Liban ou du contrôle des Chiites. Ce ne sont que des illusions dont l’objectif est le conflit".

Les Etats-Unis seront-ils capables de résoudre les questions au Liban sans se tourner vers l’Iran, la Syrie et le Hezbollah ? Les Américains refusent de reconnaître la réalité. Les Français - qui ont plus d’expérience au Proche-Orient - savent mieux. Ils réalisent que les résultats ne peuvent être obtenus du jour au lendemain dans le monde arabe et qu’il faut de la patience, de la sagesse et des concessions pour que les choses se fassent avec les Arabes.

Peut-être que le premier round des pourparlers de Kouchner à Beyrouth ne s’est pas passé comme prévu. D’autres rounds sont nécessaires. Tant qu’il peut amener toutes les parties ensemble et se servir du poids considérable de la France pour amener le 14 Mars à travailler avec le Hezbollah, alors le progrès est possible au Liban.

Le Hezbollah veut quelqu’un dans la communauté internationale qui réalise - et dise - qu’il a le droit de vivre au Liban. En invitant le Hezbollah à Paris, les Français disent vraiment cela. Si c’est le prix que Paris doit payer pour remettre le Liban sur pieds, alors, que cela soit ainsi.


JPEG - 10.3 ko
Sami Moubayed

Sami Moubayed est un analyste politique syrien. Cité par
Géraud De Geouffre de La Pradelle, Antoine Korkmaz et Rafaëlle Maison (Le Monde diplomatique) comme excellent critique d’un rapport, dans leur article intitulé : "Douteuse instrumentalisation de la justice internationale au Liban"



Du même auteur :

- Comment la Syrie a aidé à obtenir la libération de Johnston

Sami Moubayed - Asia Times Online, le 1er août 2007 : A shot in the arm for Lebanon
Traduit par Jean-François Goulon, Questions Critiques


Les articles publiés ne reflètent pas obligatoirement les opinions du groupe de publication, qui dénie toute responsabilité dans leurs contenus, lesquels n'engagent que leurs auteurs ou leurs traducteurs. Nous sommes attentifs à toute proposition d'ajouts ou de corrections.
Le contenu de ce site peut être librement diffusé aux seules conditions suivantes, impératives : mentionner clairement l'origine des articles, le nom du site www.info-palestine.net, ainsi que celui des traducteurs.