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Première saison du « Théâtre de l’Opprimé » en Palestine

dimanche 22 juillet 2007 - 06h:40

Federica Battistelli

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Le Théâtre de l’Opprimé n’est "ni une idéologie, ni un parti politique, il n’est ni dogmatique ni coercitif, et il est respectueux de toutes les cultures. Il est une méthode d’analyse et un moyen de rendre les sociétés plus heureuses".

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Théâtre de l’Opprimé, l’oppression de la bureaucratie.

40 ans de résistance à l’occupation

Juin 2007

Le début du mois de juin a été marqué par le 40ème anniversaire de l’occupation du peuple palestinien en Cisjordanie, à Jérusalem-Est, dans la Bande de Gaza ainsi que du Plateau du Golan. Depuis 1967, ce peuple connaît la pire et la plus extrême des formes d’oppression qui soient, l’occupation militaire par l’Etat d’Israël qui, avec l’implantation de ses colonies, a dépossédé les individus de leur propre terre et de leur liberté, privant le peuple palestinien de ses droits inaliénables.

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Au théâtre Ashtar de Ramallah
(aggrandir la photo).

La société palestinienne qui a connu des années de contraintes et d’oppression politiques, sociales et économiques est empêtrée dans des arrangements pré-établis qui lui furent imposés. Ce cadre entrave la bonne vision de la société sur ses possibilités pour une autre prise de conscience d’elle-même et sur d’autres moyens de liberté de pensée, de travail et d’actions qui pourraient l’aider à apprendre le respect des différences et à se féliciter de la diversité des opinions. L’absence de cette pratique entraîne le manque de tolérance, emprisonne la société dans des dogmes et restreint ses aspirations.

Avec cette occupation que les Palestiniens supportent, ce pays était tout à fait autorisé à s’affirmer comme le lieu propice à la saison du Théâtre de l’Opprimé qui s’est ouverte en avril dernier, et qui se termine le 28 juin.

A un moment si critique de l’histoire palestinienne, le Théâtre de l’Opprimé, avec tous ses outils et ses différentes techniques, incarne l’art du dialogue et de la confrontation, et la résistance à l’occupation.

Il amène le public à faire face et à se confronter à ses problèmes - personnels, sociaux, idéologiques, politiques -, il stimule la conscience culturelle et se sert de cette forme d’art comme d’un moyen pour l’engagement politique.

Le Théâtre de l’Opprimé pousse les spectateurs, appelés les « spect-acteurs », à s’occuper de leurs problèmes et des questions délicates, à les analyser et à les résoudre pour surmonter cet état de crise qui a entravé, toutes ces dernières années, la réalisation de nouvelles perspectives créatrices, culturelles, sociales et politiques.

Il leur donne l’occasion de regarder ces questions avec un ?il critique. Le Théâtre de l’Opprimé en Palestine est un puissant outil de changement et de développement qui permet à la société palestinienne d’affirmer son humanité face aux tentatives de déshumanisation, tant d’une occupation israélienne de 40 années que des traditions et coutumes répressives en cours dans la société palestinienne.

La cérémonie d’ouverture de cette première saison du Théâtre de l’Opprimé en Palestine s’est tenue à Ramallah le 12 avril, au Palais de la culture, théâtre moderne accueilli dans l’immeuble même de la municipalité, la seule municipalité de toute la Cisjordanie à avoir pour maire une femme. Plus de quatre cents personnes y ont participé.

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"L’Histoire de Mona"

« Construire des ponts... briser les barrières » : tel est le nom du festival qui, pendant presque trois mois, a été assuré par la compagnie de théâtre professionnelle locale Ashtar et par plusieurs groupes étrangers venant d’Espagne, de Belgique, du Brésil et d’Allemagne, qui ont présenté plus de 45 spectacles dans toute la Cisjordanie, à Bethléhem, Jénine, Hébron, Arta, Jéricho, Naplouse et Tulkarem...

En employant les méthodes du Théâtre de l’Opprimé, spécialement celles du théâtre-forum et du théâtre législatif, la riche affiche de la saison a cherché à focaliser sur des questions et des problèmes sociaux particuliers au sein de la société palestinienne, tels que la violence contre les femmes, les « crimes d’honneur » et les mariages précoces (avec la pièce « L’Histoire de Mona »), les punitions violentes et corporelles contre les enfants et les jeunes dans les écoles (avec « Abu Shaker, le Professeur »), les différends religieux et culturels (avec « Le Quartier noir d’une Heure »), le chômage et le manque de possibilités économiques en raison des check-points et de l’occupation (avec « L’Histoire du Village de Seeh Shishaba »), et beaucoup d’autres.

« La saison du Théâtre de l’Opprimé sera, à partir de cette année, un rendez-vous régulier bisannuel en Palestine », dit Iman Aoun, acteur et directeur artistique du Théâtre Ashtar - une ONG locale basée à Ramallah et Jérusalem - qui a beaucoup ?uvré pour que soit rendue possible la saison du Théâtre de l’Opprimé, ici et pour la première fois, en Palestine.

C’est encore plus important si vous songez qu’« elle représente l’apogée d’une longue et progressive préparation et arrive à un moment où le Théâtre Ashtar est nommé premier Centre du Théâtre de l’Opprimé au Moyen-Orient », et qu’elle va être le début du lancement des techniques du Théâtre de l’Opprimé dans tout le monde arabe. En plus de cela, le groupe Productions et Formation du Théâtre Ashtar est le seul groupe professionnel qui travaille à la formation de telles techniques dans la région. Il a participé à des conférences et publié des livres théoriques et fonctionnels qui, probablement, ont été les premières et les seules publications de ce genre dans tout le monde arabe jusqu’à maintenant.

Ce type de théâtre, ici en Palestine comme dans le monde entier, est conçu comme un acte de résistance. Son fondateur, le militant brésilien Augusto Boal*, a conçu cette forme théâtrale politisée en 1971 pour résister à l’oppression contre son pays, spécialement durant la dictature militaire. Il a consacré sa carrière à la réalisation d’un changement social par le biais du théâtre. A travers son désir de contribuer au changement sous un régime oppressif, Boal a créé des techniques théâtrales sans doute parmi les plus radicales, et pourtant accessibles, de ces cent dernières années.

L’enseignement de Boal a suscité beaucoup de controverses, il a fait entrer et connaître le langage théâtral dans les usines et dans les rues afin d’en faire le support de toutes les inquiétudes humaines, il a été catalogué comme militant culturel - ce qui, pour les militaires brésiliens dans les années 60, était considéré comme une menace.

En 1971, il est arrêté, torturé et par la suite exilé en Argentine où il développe son idée de Théâtre de l’Opprimé et publie son premier livre « Le Théâtre de l’Opprimé » en 1973. Le climat politique l’oblige à partir en Europe, à Paris, où il vit en enseignant son approche révolutionnaire du théâtre pendant douze ans, créant plusieurs centres pour le Théâtre de l’Opprimé partout dans le monde. Après le départ de la junte militaire au Brésil, en 1986, Boal revient à Rio de Janeiro où il vit toujours aujourd’hui. Il a, depuis, créé un centre important pour le Théâtre de l’Opprimé à Rio, et il a lancé plus d’une dizaine de compagnies théâtrales qui oeuvrent à développer des projets basés sur la communauté.

La plupart des techniques d’Augusto Boal ont été créées après qu’il ait pris conscience des limites du théâtre didactique à motivation politique qu’il pratiquait dans les quartiers pauvres. Il a constaté que ses tentatives de motiver les gens vivant dans les secteurs pauvres ou les « bidonvilles » pour qu’ils se lèvent contre les inégalités raciales et de classe étaient entravées par son propre contexte racial et de classe (lui-même étant blanc et dans une situation financière comparativement confortable). Du point de vue de Boal, les Etats oppresseurs, tel le gouvernement brésilien de l’époque, se servent du théâtre pour étendre leur système oppressif. Il a donc créé des techniques qui conduisaient à l’idée de révolte et impulsaient le changement au sein du groupe ciblé. Beaucoup de ses premiers travaux et enseignements s’inspiraient de la philosophie marxiste, bien que pour sa carrière cela ne l’ait pas limité, une grande part de son travail actuellement se situe dans une idéologie de centre gauche.

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A Hébron, pour la représentation de "L"Histoire de Mona"

Le Théâtre de l’Opprimé a été utilisé dans des mouvements radicaux d’éducation populaire par des paysans et des ouvriers, plus tard par des enseignants et des étudiants, maintenant également par des artistes, des travailleurs sociaux, des psychothérapeutes, des ONG... au départ en des endroits restreints, presque clandestins. Maintenant, il l’est dans les rues, les écoles, les églises, les syndicats, les théâtres ordinaires, les prisons. Le Théâtre de l’Opprimé - comme sa Déclaration des Principes le stipule - « n’est ni une idéologie, ni un parti politique, il n’est ni dogmatique ni coercitif, et il est respectueux de toutes les cultures. Il est une méthode d’analyse et un moyen de rendre les sociétés plus heureuses. »

Aujourd’hui, le Théâtre de l’Opprimé est aussi un mouvement non violent international, mondial, avec des centres dans des dizaines de pays qui permettent, à tous ceux qui n’ont pas la parole autrement, d’avoir une expression artistique et sociale. C’est un réseau de centaines de groupes théâtraux, convaincus que le Théâtre de l’Opprimé est « un outil pour la réalisation de la justice économique et sociale qui est le fondement de toute véritable démocratie ».

Le Théâtre Ashtar, qui fait partie du réseau T. O., a fait sien cet idéal et depuis 1991 travaille à éduquer la communauté sur les techniques théâtrales tout en distrayant des centaines de personnes avec des interprétations incitant à la réflexion. Elles visent à encourager le dialogue au sein de la communauté en tant que moyen pour exprimer et comprendre les frustrations et les colères personnelles qui pénètrent les gens du fait de l’oppression.

Lors du quarantième anniversaire de l’occupation, et grâce au Théâtre Ashtar d’ici, le public palestinien en général a trouvé dans la saison théâtrale et dans cette forme de théâtre un moyen raisonnable de résister à l’oppression qu’ils subissent tous les jours de leur vie, avec des aspirations à un autre avenir, sans occupation ni aucune sorte d’oppression, un avenir fondé sur l’égalité et la justice sociale et tout ce qui profite aux êtres humains.

* Voir : Augusto Boal en quelques dates, (ndt).

Reçu de l’auteur le 18 juillet 2007, les photos sont de l’auteur (federica.battistelli@gmail.com). Traduction de l’anglais : JPP


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L’oppression de l’occupation.
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Oppression de la société.
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Oppression de la société.
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Le théâtre Ashtar joue à Jénine.
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Théâtre à Jénine.
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Théâtre Ashkar à Jénine.
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Théâtre Ashkar à Jénine.
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Théâtre Ashkar à Jénine.
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Danse.
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Orchestre.
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Théâtre-forum.
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"Abu Shaker, le Professeur",
jouée à Bethléhem.
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"L’Histoire de Mona",
la violence sur les femmes.
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"Démolition".
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Au théâtre d’Hébron
pour "L’Histoire de Mona".
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"L’Histoire de Mona" à Hébron.
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"L’Histoire de Mona" à Artas.
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"L’Histoire de Mona".
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"L’Histoire du village de Seeh Shishaba".
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"L’Histoire du village de Seeh Shishaba".


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