16 septembre 2017 - CONNECTEZ-VOUS sur notre nouveau site : CHRONIQUE DE PALESTINE

Paysage enchanteur, sans Palestiniens

jeudi 12 juillet 2007 - 06h:27

Zafrit Rinat - Ha’aretz

Imprimer Imprimer la page

Bookmark and Share


Le refoulement de la réalité quotidienne créée par l’occupation dans les Territoires a été entretenu par l’establishment israélien et a engendré une dissonance cognitive qui permet à bien des gens de passer sous silence les injustices et l’oppression perpétrées en leur nom. Cette feinte ignorance est particulièrement commode pour ceux qui ne traversent pas la Ligne Verte. Mais il en est aussi qui alimentent la dissonance à destination des Israéliens qui choisiront de partir en excursion au pays des colonies et des clôtures. Et cela, en redessinant le paysage et la nature au profit des visiteurs.

JPEG - 14.4 ko
Le désert de Judée et la Mer Morte

Voici un exemple actuel, nullement exceptionnel, auquel collaborent des institutions comme le Fonds National Juif (KKL) et le Ministère du Tourisme. Ces institutions ont récemment publié en partenariat avec le Conseil régional du Mont Hébron, une brochure intitulée « C’est dans notre nature - 25 ans au Mont Hébron et dans la région de Yatir ». La brochure brouille la distinction entre les deux régions et les présente comme en continuité territoriale, alors que la région de Yatir se trouve pour l’essentiel à l’intérieur de la Ligne Verte.

Le lecteur qui ne connaîtrait pas de près la région du Mont Hébron pourrait facilement être persuadé qu’il s’agit d’une invitation à visiter une région combinant les impressions offertes par la Toscane, la Crête et la Turquie occidentale. Il y a ici une agriculture développant des vins et une huile d’olive excellents, des sources paisibles et enchanteresses, et bien évidemment des vestiges de culture juive à tous les coins. Il y a un paysage de désert stupéfiant et même des cerisaies. « La nature surgit de partout, à chaque tournant, dans toute sa splendeur et un paysage hors du temps vous entoure de toutes parts », écrit Tzviki Bar Haï, le chef du Conseil régional du Mont Hébron, dans la brochure.

Dans une autre publication, portant sur la région du Goush Etzion, et qui a récemment été jointe au périodique « Teva Hadvarim » (La nature des choses - NdT), on peut lire notamment : « Nous nous lancerons à bord de véhicules tout terrain dans les espaces enchanteurs du désert de Judée en direction de la Mer Morte, nous enfourcherons nos bicyclettes parmi les champs verdoyants et les vignobles, nous visiterons l’antique monastère de Crémisan, sur le mont Gilo, et en dessert, nous visiterons des caves à vin qui se sont récemment développées dans la région ». Pour finir, les lecteurs sont invités à participer au festival de la cerise.

Il n’y a pas de mur de séparation dans ces publications, pas de routes de contournement. Pas de checkpoints établis presqu’à côté de chaque village palestinien et qui limitent la liberté de mouvement des habitants jusqu’à la sensation d’étranglement. Pas de crêtes de collines mutilées afin de faire de la place pour des colonies aux allures de faubourgs fortifiés et aliénés. Pas de troglodytes qui ont été expulsés de leurs maisons du Mont Hébron. Et pas d’étudiants mis dans l’incapacité de se rendre à l’école parce que leurs voisins colons les harcèlent sans arrêt. Sur la carte publiée dans la brochure de la région d’Hébron, les localités palestiniennes ne figurent simplement pas.

Aucune mention, bien évidemment, au fait que le territoire est truffé d’avant-postes illégaux, ou que les terres ont été prises à des Palestiniens par des voies pleines d’invention (lors d’une visite dans la région, j’ai entendu des colons expliquer, très pragmatiquement, à un représentant d’un organe gouvernemental, comment ils avaient pris possession d’une terre agricole appartenant à un Palestinien résidant en dehors de Judée-Samarie [Cisjordanie]). Il faut dire au crédit de la publication portant sur le Gush Etzion, qu’elle évoque la détresse du village palestinien de Wadi Foukhin que l’on s’apprête à cerner par la clôture de séparation et la colonie urbaine ultra-orthodoxe de Beitar Illit dont les quartiers en expansion « ne sont, c’est le moins qu’on puisse dire, pas favorables aux villages », pour reprendre les mots de la brochure.

Le cauchemar quotidien des Palestiniens vide les lieux et disparaît au profit de publications qui réalisent les rêves du randonneur israélien. Maintenant, outre une infrastructure sécuritaire et de transport permettant de ne rencontrer quasiment pas de Palestiniens et de ne voir leurs localités qu’à distance, il y a également une infrastructure publicitaire et de marketing. Ce qui attend le randonneur, c’est essentiellement une abondance de bonne nourriture, des paysages étonnants et de fantastiques couchers de soleil sur la Mer Morte. Il ne reste plus au randonneur qu’à venir oublier tous ses ennuis, et tout particulièrement ceux des Palestiniens.


Sur le même thème :

- Nous n’avons pas disparu

Zafrit Rinat - Ha’aretz, le 8 juillet 2007
Version anglaise : Enchanting scenery, without Palestinians
Traduit de l’hébreu par Michel Ghys


Les articles publiés ne reflètent pas obligatoirement les opinions du groupe de publication, qui dénie toute responsabilité dans leurs contenus, lesquels n'engagent que leurs auteurs ou leurs traducteurs. Nous sommes attentifs à toute proposition d'ajouts ou de corrections.
Le contenu de ce site peut être librement diffusé aux seules conditions suivantes, impératives : mentionner clairement l'origine des articles, le nom du site www.info-palestine.net, ainsi que celui des traducteurs.