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Je veux garder mon épouse

dimanche 10 décembre 2006 - 16h:09

Ghassan Abdullah

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" Israël a décrété que mon épouse et moi ne pouvions vivre ensemble plus longtemps. Je suis Palestinien et elle est Suisse, nous nous sommes mariés depuis 28 ans. Ils lui ont donné deux semaines pour quitter les Territoires occupés palestiniens. "

Le ministère de l’Intérieur a indiqué sur son passeport « dernier visa ». Nous habitons ensemble à Ramallah depuis 12 ans. Nous y sommes venus en 1994, les Accords d’Oslo avec leurs perspectives de « paix » et de développement nous avaient encouragés à venir en Cisjordanie.

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Anita Abdullah, dans sa maison à Ramallah.

Mon épouse, Anita, parle arabe, elle aime ce pays, elle cuisine des repas arabes et elle s’occupe plus que moi de la maison de mon grand-père dans son village, une vieille construction de pierres, avec des plantes tout autour. Elle vote aux élections palestiniennes en tant qu’épouse de Palestinien. Elle participe à l’activité de la société de santé publique du coin. Elle a tant d’amis ici et elle se considère chez elle. Elle n’a pas tout rompu avec l’Europe, elle y a gardé des contacts précieux mais elle ne veut pas être séparée de moi et de son environnement ici et je ne veux certainement pas être séparé d’elle. Nos enfants ont grandi et travaillent à l’étranger. Mais ils ne sont absolument pas certains de pouvoir revenir nous voir ici. En venant à Ramallah il y a quelques mois, notre fille qui a un passeport suisse, a été retenue 6 heures à l’aéroport de Tel Aviv, elle fut interrogée longuement à son arrivée. Elle a eu de la chance. D’autres ont été renvoyés d’où ils venaient, souvent après avoir passé une nuit ou plus dans un « centre » de détention bien connu de l’aéroport.

Pendant les 12 années passées, Anita a réussi à rester ici en faisant renouveler avec zèle son visa, ou en partant et revenant tous les trois ou six mois comme l’impose la « loi » israélienne applicable aux Territoires occupés palestiniens. Elle se bat maintenant pour rester ici et a pris un avocat pour aller devant les tribunaux israéliens, avec l’espoir qu’une telle injonction lui permettra de rester jusqu’au verdict. Elle est également en contact avec son ambassade, elle s’est jointe à d’autres qui connaissent la même fâcheuse situation pour intervenir auprès de l’Union européenne et du consulat américain, et elle est en rapport avec des organisations des droits de l’homme, israéliennes et palestiniennes, ainsi qu’avec les médias.

Nous ne savons pas quoi faire. Mais nous devons le faire rapidement. Que faisons-nous de notre vie commune, de nos papiers et de nos comptes, des centaines de petites choses que nous avons voulues et que nous avons partagées ? Que faisons-nous de notre nouvel appartement que nous avons fait « l’erreur » d’acquérir au mauvais moment ? Anita était surexcitée au moment de choisir le carrelage et d’aménager la cuisine. Nous ne pouvons pas croire, ni accepter, que nous allons être séparés. Nous y sommes obligés pourtant quand nous pensons à d’autres couples, ou à d’autres familles « mixtes », autour de nous, qui ont été, et sont toujours, séparés.

Depuis le printemps dernier, les autorités d’occupation israéliennes ont fait monter la pression sur les détenteurs de passeports étrangers en leur refusant l’entrée dans les Territoires palestiniens. Cela a touché les Palestiniens ayant des passeports étrangers ou des épouses, des maris, des enfants, des parents et toute autre relation étrangère. Cela a concerné aussi des ressortissants étrangers venant enseigner dans les universités, travailler ou être bénévole dans des organisations non gouvernementales étrangères, des spécialistes avec différents projets souvent montés par des pays européens, des sympathisants ou des militants des droits de l’homme.

« Bitakhon » est le mot magique en Israël. Au nom de « Bitakhon », ou sécurité, les autorités israéliennes peuvent prendre n’importe quelles mesures illégales, inhumaines, immorales ou agressives contre la population palestinienne sous occupation militaire. Elles peuvent jeter le mot « Bitakhon » à n’importe quel diplomate européen ou étranger qui poserait des questions sur ces mesures, même quand elles vont à l’encontre des droits humains, du droit international et humanitaire, ou de la Quatrième Convention de Genève qui régissent la conduite des nations occupantes à l’égard de la population occupée. Il apparaît, aux yeux des Palestiniens, qu’un fonctionnaire de troisième ordre de n’importe quel ministère israélien peut faire peur à toute l’Union européenne et à ses officiels en invoquant seulement la « sécurité » des Israéliens, ou en faisant allusion à ce que l’Europe a fait aux Juifs.

Mon épouse n’est pas la seule à avoir reçu cet ultimatum la semaine dernière. Des dizaines d’autres femmes, de maris et d’enfants qui habitent en Cisjordanie depuis des années, renouvelant leurs visas « touristes » d’Israël de trois mois en trois mois, ont reçu une extension pour une courte durée, aucune n’excédant la fin de cette année. Des enfants devront quitter leur école et seront séparés de leurs parents, ou les uns des autres. Des mères, des pères, des s ?urs, des frères, des grands-parents, des êtres chéris seront séparés, des grandes familles d’ici seront déchirées. Des centaines d’autres personnes attendent aussi de connaître leur sort dans les jours et semaines à venir. Des milliers se sont vues refuser le droit l’été dernier de rendre visite à leurs familles, de retrouver leur maison, leurs racines. L’été est une saison privilégiée pour le mariage chez les Palestiniens qui ont des passeports ou des cartes d’identités différents, les réjouissances se déroulent habituellement les nuits d’été avec des danses et de la musique. Mais pas cet été de 2006.

L’occupation israélienne n’a pas cessé de confisquer la terre. Je me sens occupé jusqu’au fond de moi-même. Ma carte d’identité « palestinienne » m’a été remise par les autorités israéliennes. Ils gèrent les registres de la population civile palestinienne. Chaque naissance, chaque décès, chaque mariage, voyage entrée ou sortie, est géré par Israël, même pour Gaza, nonobstant le désengagement. Evidemment, ils gèrent l’eau, les routes et la circulation des personnes à l’intérieur de la Cisjordanie avec des centaines de barrages et de check-points. Ils arrachent tous les arbres quand ils décident qu’ils se trouvent sur leur route, sur celle de leur mur d’apartheid qui déchire la chair de notre terre, ou sur celle de leurs colons, ces colons décident de s’emparer encore et toujours d’autres bandes de terres ou de collines, de celles qui leurs plaisent.

Pourquoi les Israéliens s’en prennent-ils aux mariages mixtes des Palestiniens ? Avant de tomber amoureux en Palestine maintenant, les Palestiniens et les Palestiniennes doivent s’enquérir de la carte ou du passeport de l’autre et de qui l’a publié. Ils ne veulent pas construire une vie avec le risque, dès le début, d’être séparés.

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Le passeport d’Anita : en haut à gauche, il est marqué : "dernier visa".

Ghassan Abdullah est conseiller en informatique, il est basé à Ramallah en Cisjordanie. Abdullah@palnet.com
Amin - jeudi 7 décembre 2006 - http://alternativenews.org/index.ph...
Traduction : JPP


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