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Saïd Al-Atabeh : un Palestinien reclus à vie

vendredi 6 juillet 2007 - 06h:31

Michel Bôle-Richard - Le Monde

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Dans le salon de cette maison de Naplouse, autour de son portrait, il y a une sorte de petit autel avec des fleurs, des bougies et quelques plaques commémoratives en son honneur. Un peu plus loin, dans un angle, une immense reproduction en perles du dôme du Rocher, sur l’esplanade des Mosquées à Jérusalem, qu’il a lui-même réalisée. Tout ici est fait pour ne pas l’oublier. Saïd Al-Atabeh n’est pas mort. Il est enterré vivant. Détenu dans une prison israélienne, le 29 juillet, il y aura trois décennies exactement que ce recordman de la détention a été embastillé.

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La mère de Saïd Al-Atabeh présente, en 2005, le portrait de son fils, qui pointe le chiffre 28, celui de ses années de détention (Ph. Maan News)

Saïd Al-Atabeh avait 26 ans lorsqu’il a été arrêté. Sa soeur, Sanna, s’en souvient comme si c’était hier. "Il était 4 heures du matin. C’était le jour du mariage de ma soeur. Ils ont fouillé partout, cherché des armes, des papiers. Un autre frère, âgé de 16 ans, a également été emmené parce qu’ils ont trouvé une chanson à caractère soi-disant politique. Il est resté un an en prison. Pour nous, cette arrestation a été une vraie surprise. On ignorait que Saïd était un leader politique. Moi, j’avais 15 ans. J’ai perdu mon grand frère et il me manque toujours."

Considéré comme le responsable d’une cellule armée du Front démocratique de libération de la Palestine (FDLP), il lui est reproché d’être l’organisateur de plusieurs attentats à la bombe commis en 1977. La première explose le 5 juillet dans un marché de Petakh Tikva, près de Tel-Aviv. Il y a un mort et 22 blessés. Le second a lieu le 17 juillet dans un autobus à proximité de Ramat Gan, dans le même secteur. Cette fois encore, il y a des blessés. Le 26 juillet, un autre engin explosif est déposé sur le marché Carmel à Tel-Aviv et blesse 11 personnes. Le poseur de bombe, Jamal, est repéré puis appréhendé. Il parle. Saïd est à son tour interpellé le 29 juillet. Presque un an après, le 27 juin 1978, il est condamné à la prison à vie, comme Jamal. Mais ce dernier sortira de prison en 1985, à la faveur d’un échange de prisonniers.

Le procès devant un tribunal militaire a duré une journée. Sanna raconte : "Il a expliqué que c’était son droit de lutter pour défendre son pays occupé, que la résistance est légitime. Si on tue des membres de votre famille, des amis, si l’on vous chasse de chez vous, qu’on vous empêche de circuler, qu’est-ce que vous faites ?" "Je ne pardonnerai jamais au gouvernement israélien d’avoir emprisonné mon frère pendant trente ans, ajoute-t-elle. Il doit être libéré, comme doit l’être Gilad Shalit (le caporal israélien enlevé le 25 juin 2006 dans le sud de la bande de Gaza)."

La fiancée de Saïd Al-Atabeh l’a attendu pendant sept ans, puis elle s’est mariée. Lui, a d’abord été incarcéré à Naplouse, dans sa ville natale, pas trop loin de sa famille. Mais, après les accords d’Oslo en 1993, tous les prisonniers politiques ont été transférés en Israël. L’ancien agent commercial a connu plusieurs lieux de détention avant de devenir l’une des plus vieilles figures de la prison d’Ashkelon. Ahmad Maslamani, qui a fait sept séjours en prison pour avoir, dit-il, "tenté de défendre la dignité de son peuple", le connaît bien. Ce médecin l’a côtoyé lors de trois séjours en 1984, 2002 et 2005. "La première fois, il était très actif pour améliorer les conditions de vie, il parlait politique, il écrivait beaucoup. C’est un intellectuel, cultivé, parlant calmement. La dernière fois, je l’ai trouvé changé. Maintenant, il y a un décalage entre ce qu’il pense et la réalité. Il ne lui est pas toujours facile de comprendre les évolutions du monde. Lorsqu’il va sortir, parce qu’il faudra bien qu’il sorte un jour, cela va être une catastrophe. Comment se réadapter à un monde qui vous a échappé pendant si longtemps, qui vous a oublié et que vous ne reconnaissez plus ?"

Sa mère, âgée de 76 ans, l’attend toujours dans la maison familiale. Elle l’a vu il y a un an, après avoir été privée de visite pendant six ans pour d’obscurs motifs de sécurité. Sa soeur Sanna a finalement été autorisée après sept ans à le rencontrer le 26 septembre 2006 avec son frère et une autre soeur. Son père est mort en décembre 1989, trois jours après lui avoir rendu visite dans la prison de Naftah, en plein désert du Néguev. "Papa a eu une crise cardiaque. Il est parti heureux car il avait pu voir son fils."

Sanna ne comprend pas pourquoi on peut garder quelqu’un aussi longtemps en prison. Elle s’emporte contre l’Autorité palestinienne, contre les anciens camarades de combat de son frère qui l’ont oublié, contre les politiques qui ne s’intéressent qu’au pouvoir et pas à "ceux qui se sont battus pour qu’ils y parviennent". "Lorsqu’on leur demande s’ils sont intervenus pour essayer de le faire libérer, ils disent seulement que les Israéliens ne sont pas d’accord. En fait, je crois qu’ils n’ont jamais rien demandé", s’indigne-t-elle.

La journaliste Amira Hass, dans un article publié au mois de décembre dans le quotidien Haaretz, s’étonne "qu’il soit si peu fait mention de la question des quelque 400 vétérans qui ont été mis en prison avant la signature des accords d’Oslo en 1993 et dont 78 sont condamnés à la perpétuité. Contrairement aux prisonniers de droit commun qui ont été condamnés à perpétuité pour meurtre, et qui se voient généralement libérés après une fixation de leur peine à trente ans et une réduction de leur peine d’un tiers pour bonne conduite, la détention à perpétuité pour les Palestiniens est souvent une détention jusqu’à la mort".

Après avoir été membre du FDLP, Saïd Al-Atabeh a adhéré au Fida, l’Union démocratique palestinienne, parce que cette organisation était favorable aux accords d’Oslo. Mais cela n’a en rien facilité les choses. Les Israéliens n’en ont pas tenu compte et le Fida, organisation sans beaucoup de poids, ne s’est guère préoccupé d’un détenu que tout le monde semble avoir oublié. Dans les bureaux de cette organisation à Ramallah, c’est à peine si on connaît son parcours.

Seule sa famille cherche à le sortir de sa vie d’éternel reclus. En avril 2006, elle a chargé la célèbre Léa Tsemel de s’intéresser à ce "client". L’avocate a demandé à l’administration de lui dire ce que recouvrait la prison à vie. Etait-ce toute la vie, trente ans, cinquante ans ou plus ? Le comité de libération a rejeté la requête sans fournir de motif. Me Tsemel s’est donc adressée au tribunal pour savoir ce que recouvre la perpétuité pour les prisonniers politiques en particulier. L’audience devrait avoir lieu prochainement. Pour l’heure, l’avocate n’a pas pu rencontrer son client. Il n’est pour elle qu’un dossier. Mais elle a décidé de se battre, de lutter pour que Saïd Al-Atabeh ne soit plus un numéro oublié.


Parcours :

1951 : Naissance à Naplouse (Cisjordanie, à l’époque province jordanienne).
1977 : Considéré comme le responsable de plusieurs attentats, il est arrêté.
1978 : Le 27 juin, il est condamné à la prison à perpétuité.
1993 : Incarcéré à Naplouse, il est transféré en Israël, à la suite des accords d’Oslo.
2007 : Le 29 juillet, il aura passé trente années en détention.

Michel Bôle-Richard - Le Monde, le 5 juillet 2007

Sur le même sujet, par le même auteur :
- Le cauchemar des prisonniers palestiniens en Israël
- « Les Palestiniens de plus de 50 ans ont presque tous connu la prison »

Par Amira Hass :
- Détention jusqu’à la mort
- Prisonniers vs criminels


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