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La politique du carnet de chèques

jeudi 5 juillet 2007 - 00h:09

Pascal Boniface - Réalités Online

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C’est un texte explosif que Alvaro De Soto, coordinateur spécial des Nations-Unies pour le processus de paix au Proche-Orient, a laissé en quittant son poste après 25 années de service diplomatique aux Nations-Unies. Ce document interne, destiné à rester confidentiel, a été publié par le quotidien britannique The Guardian.

Selon lui, le Quartet des négociateurs (Etats-Unis, Union européenne, Russie et ONU) a été transformé d’un groupe qui devait promouvoir la négociation sur la base d’un document partagé (la fameuse Feuille de route pour la paix) en un organisme « qui n’a fait qu’imposer les sanctions contre le gouvernement librement élu d’un peuple sous occupation et imposé au dialogue des conditions préalables inatteignables ». Toujours selon lui, Israël s’est enfermé dans une position de rejet massif dans les tractations avec les Palestiniens en insistant sur des conditions préalables qui n’étaient pas soutenables. Le Quartet est devenu du coup un élément secondaire.

Alvaro De Soto n’épargne également pas les Palestiniens en leur reprochant de n’avoir pas su arrêter les violences contre Israël. Il dénonce l’influence dominante exercée par les Etats-Unis et la tendance à l’autocensure qui en découle, y compris à l’intérieur des Nations-Unies, quand il s’agit de critiquer Israël. Il révèle ainsi qu’après avoir gagné les élections, le Hamas aurait voulu former un gouvernement de coalition avec ses rivaux modérés, Fatah compris, mais que les Etats-Unis dissuadèrent les politiciens palestiniens de se joindre à cette initiative. Du coup le gouvernement de coalition n’a pu être formé qu’un an plus tard et des mois précieux ont été perdus.

Le Quartet est présenté plus comme un groupe d’amis des Etats-Unis qu’autre chose. Ainsi, les Etats-Unis appuyèrent la décision d’Israël de confisquer les taxes douanières des Palestiniens (mesure parfaitement illégale et qui a contribué à la dégradation de la situation économique et sociale en Palestine), sujet sur lequel on a interdit au quartet de prendre position. Alvaro De Soto va jusqu’à dire qu’il existe à l’ONU une sorte de réflexe conditionné pour toutes situations où l’Organisation mondiale doit se prononcer, de se demander d’abord comment Israël et les Etats-Unis réagiront, plutôt que de réfléchir sur telle ou telle proposition qui serait juste de prendre. Ainsi, le rapport critique les Palestiniens pour leur violence, il estime que les politiques israéliennes ont encouragé l’activisme et affirme : « Je me demande si les autorités israéliennes se rendent compte que saison après saison, elles récoltent ce qu’elles ont semé ».

Alors qu’Israël ne cesse de critiquer l’ONU pour sa partialité supposée à son encontre, ce rapport décrit plutôt une ONU tétanisée par le poids des Etats-Unis. On voit très bien l’enchaînement des blocages. Avec George W. Bush, les Etats-Unis ont décidé de ne pas critiquer, voire de soutenir toutes actions et tous choix stratégiques que ferait Israël sans s’interroger ni sur leur pertinence, ni sur leur impact positif ou négatif sur la situation stratégique du Proche-Orient ni même sur sa compatibilité ou non avec les intérêts américains. Ce soutien américain sans failles n’a pas toujours existé. Il y a au contraire d’autres périodes de l’histoire où, pour être favorable à Israël, la politique américaine n’était pas exempte de pressions sur l’Etat hébreu, lorsque cela était jugé nécessaire.

George Bush père, par exemple, avait contraint Israël à accepter la Conférence internationale de Madrid sur le Proche-Orient, immédiatement après la guerre du Golfe de 1991. Les Palestiniens y étaient présents, inclus dans la délégation de Jordanie, alors qu’Israël refusait tout contact avec eux. Et surtout Bush père avait menacé de ne plus garantir les crédits accordés à Israël si l’Etat hébreu poursuivait d’installer des colonies dans les territoires occupés. Le Premier ministre israélien, Itzhac Shamir, avait dû céder. Le paradoxe aujourd’hui, c’est qu’alors que les Etats-Unis fournissent aide militaire, assistance économique et garantie stratégique à Israël, ils semblent impuissants à orienter en quoi que ce soit sa politique.

Mais l’attitude européenne n’est ni guère plus responsable, ni guère plus cohérente. L’Europe se contente de mener une politique du carnet de chèques en étant le premier partenaire commercial d’Israël et le premier donneur d’aide aux Palestiniens, sans pour autant revendiquer le moindre rôle politique. Elle est restée silencieuse lors de la destruction des infrastructures payées par ses contribuables en Palestine par l’armée israélienne. Pis même, la Commission européenne n’a même pas eu le courage de publier un document dénonçant ces destructions. L’aide accordée aux Palestiniens ne leur donne guère d’influence, car les Palestiniens, finalement, soit ne font pas confiance au monde extérieur comme le Hamas, soit lorsqu’ils comptent sur l’appui étranger, comme Mahmoud Abbas, regardent vers Washington.

Cette succession de lâche abandon, de pusillanimité diplomatique, explique pourquoi, alors que la solution au conflit israélo-palestinien est connue de tous, la situation se dégrade continuellement et qu’on en est parvenu au stade catastrophique actuel. La population palestinienne en est la première victime. Mais au-delà, la perpétuation (et l’aggravation) de ce conflit compromet toute la stabilité stratégique mondiale.


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Pascal Boniface

Pascal Boniface est géopolitologue et directeur de l’IRIS (Institut de relations internationales et stratégiques). Ses travaux portent sur les thèmes des relations internationales, des questions nucléaires et de désarmement, les rapports de force entre les puissances, la politique étrangère française ou encore l’impact du sport dans les relations internationales.

Pascal Boniface - Réalités Online, le 28 juin 2007

Du même auteur :
- “Traiter le mal dans ses racines”
- Chaos en Palestine : La responsabilité israélo-américaine


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