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Les murs invisibles

dimanche 1er juillet 2007 - 09h:35

Samar Al-Gamal - Al Ahram Hebdo

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Visas. C’est désormais un véritable calvaire pour les Egyptiens que de pouvoir voyager, même pour du tourisme. Les obstacles se dressent de plus en plus, réduisant l’espace d’échange, à l’heure où l’Occident prône la mondialisation.

Files d’attente devant les consulats ... la scène n’est plus étrangère aux passants dans les rues de la capitale. Aussi familière soit-elle, elle n’est pourtant que le premier épisode d’un feuilleton qui prend parfois des tournures dramatiques et dont les Egyptiens ne sont que des spectateurs impuissants. Il faut être muni de toute la patience possible avant d’aller s’aventurer pour demander un visa, même de tourisme. Et même si vous êtes parfaitement en règle, le risque d’être traités comme des moins que rien, sous un dispositif perpétuellement complexe, n’est pas à écarter. « J’étais arrivé devant cet Ungreto qui me parla sans que je puisse comprendre un traître mot. Je parvins tout juste à lui faire comprendre que je voulais un visa pour une semaine : Touristique ?, Oui, touristique. J’étais très poli et je ne m’attendais guère à être traité comme je le fus », raconte l’écrivain Mohamad Al-Chazli dans sa nouvelle Visa pour l’Italie. Fini ce jour où les Egyptiens pouvaient se déplacer quasi librement, aller échanger des idées ici ou là avec des voisins ou voisins lointains. Un Egyptien est depuis un bon moment synonyme d’étranger et présente un potentiel « danger pour l’ordre public, la sécurité nationale ou les relations internationales », si l’on en croit les termes précisés dans les accords Schengen mais qui peuvent s’appliquer à l’ensemble du monde, notamment après les événements du 11 septembre.

Les libertés individuelles des citoyens sont, d’une manière plus générale, mises en cause avec des mécanismes essentiellement sécuritaires, et les Arabes sont les premiers désignés. Crainte du terrorisme qui tient désormais lieu de politique occidentale, du moins pour les Etats-Unis et les pays européens. Pour ces derniers, l’essentiel de leur action émane aussi de leurs politiques d’immigration. On dirait que le monde ressemble à une forteresse difficile à surmonter par ces citoyens venus du monde arabe.

Frontières davantage fermées

Les Européens ont élaboré une liste des pays dont les ressortissants sont dispensés de visas pour rentrer dans l’espace Schengen. Aucun pays arabe n’y figure. Alors qu’on peut lire des noms comme Guatemala, Brunei, Costa Rica Israël, Malaisie. Une sorte de mur illusoire qui ne fait qu’exacerber un sentiment d’injustice, du moins chez ceux qui sont seulement désireux d’aller flâner quelques jours en Occident. Si les chiffres de l’immigration illégale sont assez élevés, ils restent peu effrayants par rapport à d’autres pays du tiers-monde. En 2006, 17 000 Egyptiens ont été expulsés de l’ensemble de l’Europe pour situation irrégulière. Un chiffre qui n’est en rien phénoménal. Rien n’empêche pourtant de mettre les Egyptiens dans le même panier que celui du tiers-monde. Curieux dans la mesure où il semble qu’ils devraient être relativement peu nombreux ces Egyptiens voulant se rendre dans des pays d’Europe ou pratiquant d’autres formes de tourisme. Certaines ambassades occidentales le reconnaissent : les Egyptiens ne représentent pas à leurs yeux des ressortissants à grand risque d’immigration. A juste titre, en 2006, seuls 42 000 Egyptiens ont présenté des demandes de visa pour l’Amérique que ce soit pour tourisme, affaires ou études. 30 000 d’entre eux ont réussi à l’obtenir. Côté européen, sur 33 000 demandes pour la France, par exemple, 30 000 aussi ont été acceptées. En dépit de ces chiffres positifs selon les différentes ambassades, la procédure reste encore plus compliquée. De nombreux documents requis qui font penser aux tatillons bureaucrates égyptiens et pourquoi pas des empreintes digitales et un système biométrique. Cette pratique, si elle n’est pas imposée un peu partout, le sera bientôt.

La complication se répercute sur les Egyptiens même dans les consulats de leurs confrères arabes. Les seuls pays où ces pharaons appauvris peuvent bénéficier de la libre circulation ne sont que la Libye, le Soudan, la Syrie et la Jordanie. Ailleurs ou plutôt partout, cette liberté est conçue comme un luxe difficile d’accès même lorsqu’il est question de la omra ou du hag.

A part le tourisme religieux, c’est surtout le Liban et la Syrie qui représentaient les destinations arabes favorites pour les vacances des Egyptiens. Damas ne pose pas de problème, mais Beyrouth oui. L’obtention d’un visa pour le pays du Cèdre ressemble désormais à un parcours du combattant pour les descendants des pharaons. Tout comme l’Europe, c’est la crainte de l’immigration clandestine qui pèse de son ombre, surtout qu’après la seconde guerre du Golfe et la fermeture des frontières iraqiennes aux Egyptiens chercheurs de travail, ces derniers ont opté pour la Syrie ou la Jordanie comme pays de transit avant d’arriver à la destination finale, le Liban.

Options de voyage

Ces chiffres en crescendo des Egyptiens travaillant dans les différents pays arabes, quelque 4 millions, encouragent un renforcement des procédures. Les soupçons qui pèsent sur un certain nombre de clandestins se transformant parfois en boat people, font que les autres, les voyageurs normaux, aussi sont sous contrôle. Partir dans le Golfe pour du tourisme ? Pas question, les distances réduites se multiplient par des barrières documentales. A défaut d’une invitation de la part d’un résident dans ces monarchies, il est rare de voir un visa délivré. Par exemple pour le Qatar, il faut s’adresser à la compagnie Qatar Airways et non à l’ambassade pour obtenir son visa-invitation et dans des cas rarissimes une offre hôtel, avion et visa. La directrice régionale de la compagnie, Rola Ebeid, n’était pas en mesure de fournir des détails sur le nombre de visas délivrés aux Egyptiens. L’ambassade des Emirats arabes unis ne délivre pas de visa non plus. Et pour aller à Doubaï, par exemple, trois options de voyage tourisme sont offertes. Soit une réservation d’hôtel sur Internet, celui-ci une fois les frais payés envoie le visa par e-mail, le voyageur l’imprime avant d’aller à l’aéroport. La compagnie aérienne émiratie présente aussi une offre avion+visa+hôtel et Itihad propose avion/visa, mais avec une somme dite d’assurance retour, que le voyageur récupère à son retour en Egypte.

Les agences de voyage sont les premières à en profiter. Pour ce début de saison, presque aucune publicité n’annonce des voyages en Europe. Cet été, elles sont remplacées par la Thaïlande, la Malaisie et Singapour. Ceci, même si certains agents affirment toujours leur capacité à obtenir un visa Schengen pour leurs clients en 12 jours. « Comme nous disposons de très bonnes relations avec les différentes ambassades, nous arrivons facilement à achever les procédures », explique le directeur d’une agence de voyage sous couvert de l’anonymat.

Des facilités dont n’a pas bénéficié l’équipe de football de Zamalek. Ses 33 joueurs doivent partir le mois prochain en France pour un stage de préparation, et pour ce faire, le club a été contraint d’annuler les entraînements pour permettre aux joueurs de se rendre pendant plusieurs jours et par groupe au consulat.

L’horizon s’élargit mais l’espace se rétrécit. Un syllogisme ? Sans doute pas. Les frontières s’érigent et se nomment argent, politique, idéologie et même religion. Assez curieux dans un univers que l’on dit mondialisé et à l’heure où les distances ne semblent guère exister l

« Nous respectons la souveraineté de tous les pays »

Hicham Khalil, vice-ministre adjoint des Affaires étrangères pour les affaires consulaires, indique que l’on ne peut pas blâmer les consulats pour les mesures strictes qu’ils adoptent afin de protéger la sécurité de leurs pays.

Al-Ahram Hebdo : Pourquoi, selon vous, les ambassades imposent-elles plus de restrictions au voyage des ressortissants égyptiens ?

Hicham Khalil : Il est vrai que récemment, et plus précisément après les événements du 11 septembre, les restrictions pour l’obtention de visas ont de plus en plus augmenté. C’est le cas surtout avec les pays de l’Union Européenne (UE) et bien sûr l’Amérique. Ces Etats exigent désormais d’obtenir le plus de détails possibles sur les demandeurs de visas, qu’il s’agisse d’un visa de tourisme, de travail, d’études ou même de soins médicaux. Sans aucun doute, après le 11 septembre, la situation sécuritaire a changé et ces pays ont imposé de nouvelles procédures. Pour eux, ceci s’inscrit dans le cadre de la crainte du terrorisme mais aussi de l’immigration avec l’augmentation du nombre des citoyens qui fuient les conditions de vie difficiles dans leurs propres pays. Ces derniers sont parfois impliqués dans des problèmes de toutes sortes dus à leur présence illégale. Même si le nombre d’Egyptiens qui sont impliqués dans des problèmes n’est pas plus élevé que celui des autres nationalités, la mauvaise réputation touche le reste des Egyptiens. Ces Etats essayent donc de prendre toutes les précautions possibles pour éviter ces problèmes.

- Vous pensez donc que ces pays ont raison d’imposer toutes ces restrictions au déplacement des Egyptiens ?

- Oui et non. Car d’un côté, on ne peut pas les blâmer de vouloir se protéger et éviter que le moindre problème ne se produise sur leurs territoires. Mais d’un autre côté aussi, les Egyptiens ainsi que tous les citoyens des pays du tiers-monde ont le droit de voyager librement et de visiter les pays qu’ils désirent. Il faudrait cependant savoir que ces procédures aussi nombreuses et ces dizaines de documents requis ne sont pas difficiles à obtenir.

- Avez-vous négocié avec les pays occidentaux et arabes pour alléger un peu ces restrictions ?

- Nous ne pouvons pas faire de négociations car nous respectons la souveraineté de tous les pays. Si les pays européens imposent ces conditions, c’est qu’ils en ont besoin pour leur sécurité. S’ils permettent le voyage sans visa ou même plus facilement, toute personne ne trouvant pas de travail va se précipiter pour partir. Ce qui sera, par conséquent, une surcharge pour ces pays. Et si certains pays acceptent de le faire, cela revient aux relations entre les deux pays. Comme c’est le cas avec la Syrie, la Jordanie, la Libye et le Soudan, où les Egyptiens sont dispensés de visa.

- Le ministère des Affaires étrangères peut-il intervenir pour faciliter aux Egyptiens l’obtention de leur visa ?

- Le ministère des Affaires étrangères ne peut pas intervenir dans cette affaire, ceci fait partie de la souveraineté de chaque pays. Chaque Etat impose ses lois et systèmes sur ses territoires et adopte des mesures pour lutter contre l’immigration illégitime. Par exemple, certains pays de l’UE ont commencé à appliquer le système de visa biométrique, la Grande-Bretagne aussi, et on ne peut pas y intervenir. Le seul cas où le ministère des Affaires étrangères peut intervenir, c’est lorsqu’un citoyen égyptien présente tous les papiers complets, qu’il soit parfaitement en règle et que le consulat refuse de lui procurer un visa. Dans ce cas, on peut contacter le consulat concerné pour connaître les raisons du refus.

- Et comment les citoyens peuvent-ils faire appel à vous ? Avez-vous une hot line pour recevoir les plaintes ?

- Non, il n’y a pas de numéro particulier car nous n’intervenons que lorsqu’il s’agit d’un cas très frappant, mais pas pour tous ceux dont les visas ont été refusés. Ceci ne concerne pas une personne qui veut partir faire du tourisme mais une personne qui veut, par exemple, partir pour des soins médicaux et que tous ses papiers sont corrects et que son visa est refusé pour des raisons comme ressemblance de nom ou pour des questions sécuritaires. Là, je peux intervenir mais uniquement en tant qu’intermédiaire et non pour imposer aux ambassades de lui délivrer le visa.

- Le ministère des Affaires étrangères est accusé d’ignorer le principe de réciprocité. Il présente beaucoup de facilités aux étrangers alors que les Egyptiens passent par des épreuves infernales...

- Je ne peux pas nier que nous accordons beaucoup de facilités aux étrangers. Mais il faut savoir que nous cherchons à encourager le tourisme vers l’Egypte et par la suite le revenu national et les devises étrangères. Contrairement aux pays européens qui n’ont pas besoin de cela et donc ne cherchent pas à présenter des facilités. De plus, nous n’avons rien à craindre du côté sécuritaire, les services de sécurité égyptiens assument bien leur tâche en ce qui concerne le contrôle des frontières. Donc, il n’y a rien à craindre de ce côté l

Propos recueillis par Chaïmaa Abdel-Hamid

Al Ahram Hebdo - Semaine du 27 juin au 3 juillet 2007, numéro 668 (Dossier)


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