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Vers une réactivation du rôle de l’OLP

jeudi 28 juin 2007 - 11h:56

Azmi Bishara

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Deux entités assiégées et rivales : le malheur de l’une fait-il le bonheur de l’autre ?!

En Palestine, les deux mouvements en conflit rivalisent à qui utilisera et s’identifiera le mieux à une terminologie relevant des attributions de l’Etat : président, ministre, appareil de sécurité, VIP (sigle que je prends ici la liberté de traduire par Very Important Palestinian) (1), ou dernièrement - comme si nous étions déterminés à nous faire une caricature de nous-mêmes - sur l’utilisation d’expressions telles que “gouvernement d’urgence”, promulgation de “décrets-loi”, “dissolution du gouvernement en regard de la constitution”, “mesure constitutionnelle”, “mesure anticonstitutionnelle”. Il semble en outre, que les protagonistes se prennent au sérieux.

Nous ne sommes plus un “gouvernement” sous occupation, nous avons progressé jusqu’à devenir un “gouvernement d’urgence” sous occupation, il ne nous reste plus qu’à former un gouvernement d’occupation sous l’occupation. Pourquoi pas ? Nous ne sommes plus en situation de conflit avec Israël pour la libération mais en situation de concurrence sur des titres et appellations. Vive la symbolique et les emblèmes !! Le “gouvernement d’urgence” pourra-t-il répondre de ses généreux amis d’Occident pour bloquer la construction du Mur ou pour l’application des résolutions de La Haye ? ou bien son succès à l’examen dépendra-t-il de l’afflux de fonds en provenance des Etats-Unis et de ses acolytes ?

Ce “gouvernement” paraît au fait, être moins un “gouvernement d’urgence” qu’un gouvernement d’Organisations Non Gouvernementales. (A ce propos, une nouvelle question relative aux activistes appartenant à ces organisations s’impose : le caractère civil et non gouvernemental des ONGs signifie-t-il que celles-ci regroupent des politiciens désabusés ? Sinon comment expliquer que l’on passe sans transition d’une activité au sein d’associations civiles à un poste gouvernemental, qui plus est, un gouvernement d’urgence ?)

Les Etats-Unis et ceux qui marchent dans leur foulée en Occident ont dévoilé leur volonté de démocratiser les Etats de la région alors qu’ils ont non seulement rejeté les résultats d’un scrutin qui s’est déroulé sous occupation, en Palestine, mais qu’ils ont également ?uvré pour imposer un siège dans le but d’encourager les parties locales à rejeter ces résultats, c’est-à-dire à rejeter la démocratie tant qu’elle ne ne sert pas leurs intérêts. Le siège pousse aux combats fratricides ; il semble être une application de la méthode dont se réclame certaine école politique, émanation de la théorie de l’étude expérimentale du comportement [behaviourisme] et celle du réflexe conditionné. En fonction de quoi, le siège survient comme punition d’un comportement condamnable et la tentation financière se présente comme la récompense d’un autre comportement, louable cette fois.

Après l’accord de la Mecque entre le Fatah et le Hamas stipulant la formation d’un “gouvernement” d’union nationale, une nouvelle situation est survenue ouvrant la perspective d’une stratégie unifiée qui, devrait s’atteler parallèlement à la formation d’un “gouvernement” unitaire, à une question autrement plus importante que la répartition paritaire des charges gouvernementales entre le Fatah et le Hamas, à savoir la restructuration de l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP). Cette question a été ignorée et négligée alors que c’est l’OLP qui est le creuset de l’unité politique et nationale et non un “gouvernement” controversé où l’on procède au dosage paritaire.

L’accord de la Mecque n’a été possible qu’en raison de la neutralisation des polarisations arabes conflictuelles relatives au dialogue interpalestinien et si des rivalités se sont manifestées là-bas, c’était cette fois, sur qui se réclamerait de la paternité de cet accord. C’est pourquoi je ne partage pas l’opinion de ceux qui, inconsidérément, voient dans un nouveau règlement de comptes interarabes la cause de ce qui se passe à Gaza, bien qu’étant moi-même convaincu du rôle destructeur de ces conflits dans mille questions, mais pas par rapport à l’accord de la Mecque.

Les Etats-Unis et Israël se sont tous deux opposés à l’accord de la Mecque et l’ont considéré comme un revers pour certaines forces sur lesquelles ils avaient misé au sein de l’Autorité Palestinienne et dans lesquelles ils avaient longtemps investi pour contrer Yasser Arafat. Ces forces ont semble-t-il approuvé l’accord non parce qu’il leur agréait mais parce que d’autres protagonistes dans cette même autorité avaient présumé, à la veille de cet accord, qu’un affrontement avec le Hamas à Gaza aboutirait à une victoire de ce dernier.

Elles n’ont donc vu dans l’accord de la Mecque qu’une étape où une trêve avec le Hamas s’imposait en attendant des conditions plus favorables pour un affrontement, à venir tôt ou tard. Lesdites forces sont convaincues qu’un compromis avec Israël est possible si le négotiateur palestinien cède sur les points pour lesquels Yasser Arafat s’était montré intransigeant à Camp David. D’où, de leur point de vue, l’irrévocabilité d’un affrontement avec le Hamas, sans oublier le fait qu’ils ne s’étaient pas résignés devant la perte d’une partie de leurs privilèges.

Malgré sa contestation de l’accord, l’Amérique voyait dans la mise en quarantaine par Israël de l’instance présidentielle après l’arrangement survenu à la Mecque, une mise en échec de cette dernière qui risquait de précipiter le Fatah dans le giron du gouvernement d’union nationale.

Elle ne vit donc pas d’inconvénient à ce que s’engagent des “consultations théoriques”, selon l’expression d’Olmert, autour de la solution définitive, consultations qui mèneraient les gens à admettre, par effet d’accoutumance, certaines idées telles que le renoncement “théorique” au droit au retour, à Jérusalem comme capitale palestinienne en plus des questions de droit qui seraient soumises à Israël en tant que requête, comme si tous étaient devenus des mandataires représentant les sujets de l’empire israélien dans les “districts”. Voici pourquoi, malgré l’accord de la Mecque, le jour même où l’on commémorait le 59ème anniversaire de la Nakba, un Palestinien tirait sur un autre Palestinien à Gaza.

Alors que le Hamas cherchait à déjouer les scénarios visant à le frapper, établis par les parties défavorables à l’accord de la Mecque et qui avaient essayé de le faire échouer, ses hommes de terrain ont franchi par leurs violences et actions revanchardes les limites de ce qui pouvait être justifiable par leur direction. Des actes impossibles à justifier et qui ne méritent que condamnation ont effectivement été commis. Les gens ont été sidérés de voir perpétrer à Gaza, devant les caméras, des actions criminelles.

Et certains ont légitimé leur position favorable à la dissolution du gouvernement d’union nationale et à l’établissement d’un gouvernement d’urgence par l’horreur de ce qui s’était passé et qui était incontestablement horrible. Puis aux crimes des formations al-Qassam ont répondu d’autres crimes non moins violents, perpétrés par les formations d’al-Aqsa, contre des activistes du Hamas et parfois contre des maisons de détenus de cette organisation dans des régions où le Hamas ne pouvait porter les armes [pour se défendre]et où ses membres étaient soit détenus soit recherchés par Israël.

Certains milieux laïques arabes se considèrent maintenant plus proches d’Israël lui-même que des fondamentalistes arabes parce qu’ils ne conçoivent plus le conflit que dans le contexte de la lutte pour le pouvoir dans leurs propres pays. C’est un comportement que l’on peut comprendre dans une perspective machiavélique, mais ce que je ne comprends pas c’est comment quelqu’un peut être laïque et nationaliste palestinien et prendre parti, engageant ses sentiments, contre le mouvement d’un peuple opprimé sachant bien que cela signifie qu’il se range aux côtés des maltraitances de l’occupation ou qu’il parie sur elles ?

Notre solidarité et notre soutien au droit du peuple palestinien contre l’occupation ne sont pas à mettre sur le compte d’un choix qui nous placerait du côté des justes contre les malfaisants, ni du fait que le peuple palestinien est bon, romantique et que l’on peut se vanter de sa bonne conduite devant les étrangers et devant nous-mêmes, mais du fait que ce peuple est opprimé et que sa terre est occupée. Sa lutte contre l’occupation est la lutte d’un peuple qui a perdu sa patrie, qui se bat contre l’occupation, contre les colons. Ce n’est pas le combat des bons contre les méchants. De toute manière, il est rare que l’on voie ceux-là s’indigner devant des pratiques encore plus scandaleuses perpétrées par des laïques, qu’ils appartiennent à des appareils d’Etat ou à de simples organisations.

Si les actions des hommes de terrain du Hamas ont été interprétées comme un coup d’Etat, les “décrets-loi” qui les ont suivies constituent le véritable et total renversement, l’interversion des résultats des élections. Et le pire, c’est que les forces qui ont complètement coupé les ponts avec le Hamas après la prise des “décrets” et ont incité à l’escalade - forces qui disparaissent et se terrent insatisfaites en temps d’unité et s’épanouissent en temps de division - misent sur l’intensification du siège israélien sur la Bande de Gaza et sur sa levée en Cisjordanie afin d’amener les Palestiniens à comparer entre un modèle réussi où l’on procure des services à la population en contrepartie d’une aide financière extérieure et un modèle assiégé et défectueux à Gaza, qui se distingue par son refus des conditions israéliennes et en paie le prix.

Pour une raison quelconque, Denis Ross, l’ex-envoyé spécial américain au Moyen-Orient, a rapporté les détails de ce scénario après les avoir entendus de la bouche de dirigeants du second rang du Fatah à Ramallah, comme il le prétend, et en avoir également eu des échos dans la partie orientale de Jérusalem (The Washington Post, 5 juin 2007). Et même Ross, qui s’était fait le parfait complice d’Israël pour faire échouer les négociations avec Arafat et la Syrie en un temps, s’est montré réservé devant pareille perspective.

Outre le fait de vider la cause palestinienne de tout contenu sauf de la rivalité entre deux entités assiégées, l’une malheureuse, l’autre heureuse, un tel scénario préfigure un avenir cauchemardesque dans lequel Gaza serait affamée et où l’Autorité en Cisjordanie baignerait dans une profusion loin d’être innocente, corruptrice, corrompue, jetant les bases d’une corruption future, visant le naufrage de l’instance commune représentant l’ensemble du peuple palestinien et poussant à une intensification des opérations contre Israël dans l’esprit : “Ô Dieu, fais que je meure avec mes ennemis”(2), sachant que seul L’Eternel déterminera qui sont “mes ennemis” et comme Il l’entend, bien sûr !

Comment repêcher au milieu de tout cela le droit au retour, Jérusalem, la Palestine et la cause palestinienne, Dieu seul le sait ! Que tous les palestiniens deviennent Shaker al-Absi (3). Que le droit au retour devienne le droit au retour au camp de réfugiés après la fin des combats, comme à Nahr el-Bared ! Quant aux habitants de Jérusalem, qu’ils se cherchent un représentant ! Lors des élections primaires pour la présidence du Parti du Travail, les arabes de l’intérieur, membres de ce parti, n’ont-ils pas voté Barak, de sorte qu’un des assistants de celui-ci a pu dire : “Dommage que nous n’ayons pas tué plus d’arabes, car peut-être nous aurions eu plus de voix arabes” ?

Nous sommes en face d’un effondrement moral, éthique, qu’aucun pragmatisme politique ne peut justifier. Il s’agit maintenant d’un face à face des volontés, ou bien les Palestiniens, y compris le Fatah et le Hamas, choisissent la voie de l’unité dans le cadre de l’OLP ou d’autres institutions, ou bien c’est la ruine totale en regard des scénarios évoqués plus haut.

Gaza, de par sa superficie, son histoire et sa constitution démographique ne peut être considérée simplement comme une région occupée tout comme les affrontements qui y sévissent actuellement ne peuvent être perçus uniquement par le biais de la lutte des factions pour le pouvoir. Ce genre de discours n’est pas conforme à la réalité et relève tout entier de la métaphysique. Gaza est un énorme camp de réfugiés. L’occultation du mouvement de libération comme composante identitaire a eu pour corollaire que les palestiniens n’eurent plus d’autre attribut que celui de partie dans un “conflit” israélo-palestinien.

De même, l’entorse faite à la chronologie en situant l’origine de la question palestinienne en 1967 et en occultant la Nakba [de 1948] qui incarne la cause des réfugiés, découle de l’abandon de l’éthique et de l’esprit du mouvement de libération nationale qui ne peut équivaloir, dans des régions comme Gaza et les camps du Liban, qu’au droit au retour. Le renoncement à cet esprit a fait qu’une grande partie des gens non bénéficiares ou même pâtissant du compromis et de ce qu’on appelle le processus de paix, ont perdu le sens du jugement, pris entre, d’une part, la déchéance manifeste de dirigeants désormais préoccupés de traiter directement de leur situation et de celle de leurs familles avec l’Amérique et Israël, et de l’autre, la propagation du fondamentalisme.

La dépravation et son contre-pied fondamentaliste sont symptomatiques de la perte du principe du mouvement de libération nationale sans que l’Etat ne voie le jour, ils sont l’expression des tensions régnant dans un camp de concentration assiégé.

Ce qui se passe à Gaza, le malheur qui frappe les palestiniens de Baghdad et de Nahr el-Bared, incite à repenser le cheminement dans son ensemble. Ce cheminement qui a conduit certains jusqu’à la lisière du mouvement al-Qaeda et les autres à la formule : “L’important c’est que nous coopérions tous (y compris Israël) contre le Hamas.”

Depuis les accords d’Oslo, on a emballé ce qui restait du peuple palestinien dans des ghettos, entreposé derrière des murs, sur sa propre terre et dans sa patrie, comme si les Palestiniens étaient un corps étranger, rejeté par Israël qui s’est mis à sécréter des substances, à former une membrane pour l’isoler. Le corps étranger rejette le corps souche, comme si les Palestiniens se réduisaient à un groupe, à une minorité requérant des droits tels la liberté de mouvement, le droit de vente et d’achat, celui de percevoir des subsides...

C’est en fonction de cette perception des Palestiniens que l’on procède actuellement à la séparation de Gaza d’avec la Cisjordanie. Le régime en place dans la dernière mérite qu’on lui concède l’accès à ces droits, celui de la première non. Et les deux [entités] sont des sujets d’Israël. Par ailleurs, on voit à quel point la situation des réfugiés palestiniens en Irak et au Liban se dégrade sans qu’aucune organisation ne les représente ou les prenne en charge.

Les partisans du compromis, Palestiniens et autres, ont exhorté à l’adoption de l’Autorité palestinienne comme représentant du peuple palestinien, à la reconnaître pratiquement comme le substitut de l’OLP et à ignorer les institutions de cette dernière, même quand le Fatah contrôlait les deux instances.

Une seule exception à cette ignorance, pitoyable et de courte durée, a été enregistrée lorsque la même faction centrale a effectué une percée en direction de l’OLP dans le but de frapper l’Autorité élue après la victoire du Hamas ; elle a procédé à la réanimation des titres et institutions de l’OLP contre le “gouvernement” palestinien élu. Cette tentative a marginalisé l’OLP plus qu’elle n’a contribué à en réactiver le rôle ; pendant quelques mois, l’Organisation de Libération de la Palestine a en effet été transformée en instrument au service de la lutte pour le pouvoir, avant d’être à nouveau abandonnée.

Il n’est plus possible actuellement d’empêcher la réalisation des scénarios évoqués plus haut et de réunifier toutes les organisations et forces dans le cadre de l’OLP et du gouvernement d’union nationale sans la médiation arabe.

Esquiver de telles décisions et s’obstiner dans la voie des deux entités mènera au bord de l’abîme puis à la chute. C’est cette situation qu’Olmert qualifie d’occasion historique pour Israël, occasion qu’il s’est promis de ne pas rater.

[NdT]


[1] VIP, Very Important Personnality

[2] La Bible, Livre des Juges, 16, 30. Samson invoque l’aide de Dieu pour détruire le Temple sur lui-même et sur ses ennemis. Traduction intégrale de la version arabe. La version française donne la traduction suivante, consacrée : “Que je meure avec les Philistins !”

[3] Shaker al-Absi : fondateur présumé de Fatah al-Islam.

al-Hayat, 21 juin 2007 - traduit de l’arabe par M.A., publié sur : Protection Palestine.

D’Azmi Bishara :
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