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"Sans accorder un rôle au Hamas, il ne peut y avoir ni sécurité ni processus de paix"

jeudi 28 juin 2007 - 06h:31

Robert Malley - Le Monde

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Robert Malley

Quelle est la situation actuellement à Gaza ?

Robert Malley : Nous avons à Gaza une situation inédite, c’est-à-dire que le territoire est sous l’autorité d’un mouvement palestinien, le Hamas, et qui est presque détaché de ce qui se passe en Cisjordanie. Le défi pour le Hamas aujourd’hui c’est de montrer qu’il peut faire autrement et mieux que ses prédécesseurs en ce qui concerne le retour de la sécurité, de l’ordre, et de la loi à Gaza, qui a vécu le chaos et le désordre extrême.

Pensez-vous que le blocus décrété sur Gaza soit une bonne solution ?

Robert Malley : Parler de blocus donne l’impression qu’il n’y a rien qui rentre à Gaza. Or Israël a permis l’entrée de certains camions, avec des vivres humanitaires. Mais c’est certainement insuffisant pour la population.

La politique décrétée par Israël et d’autres pays de la région consiste à montrer la différence entre ce qui se passe à Gaza et en Cisjordanie, l’idée étant de montrer au peuple palestinien qu’ils ont intérêt à se rallier derrière le Fatah et derrière le président Abbas, plutôt que derrière le Hamas, en soulignant la différence de niveau de vie entre Gaza et la Cisjordanie. Mais plus on discréditera le Hamas, plus on courra le risque de violence à Gaza ou en Cisjordanie et de durcissement du Hamas.

Pensez-vous que la prise de contrôle de la bande de Gaza par le Hamas soit définitive, ou du moins établie pour une longue période ?

Robert Malley : Elle n’est probablement ni définitive ni de courte durée. Pas définitive, car le peuple palestinien ne peut accepter une division permanente entre Gaza et la Cisjordanie - cela signifierait la fin du mouvement national et la fin du rêve d’un Etat indépendant. A terme, il faudra bien que le Hamas et le Fatah s’entendent sur une redistribution équitable des pouvoirs politiques, sécuritaires et économiques.

Mais pas de courte durée non plus car on voit mal comment résoudre l’impasse actuelle dans l’immédiat. Les tensions sont vives, et les suspicions réciproques aussi. Le Fatah semble faire le pari de l’isolement et de l’affaiblissement du Hamas, ce qui en retour encouragera l’aile plus radicale du Hamas à se renforcer à Gaza et à refuser toute concession. C’est dire que les dynamiques actuelles - alimentées, hélas, par des pays tiers - ne prêtent guère à l’optimisme.

Israël a dit qu’il allait rendre à l’Autorité palestinienne les 600 millions de dollars qu’il lui doit ; à qui va profiter cet argent ?

Robert Malley : Cet argent est nécessaire pour payer les employés de l’Autorité palestinienne, et c’est à cela qu’il ira très certainement. La question plus importante est de savoir s’il sera partagé équitablement entre la Cisjordanie et Gaza où si l’on va essayer de punir Gaza afin d’établir un contraste entre le territoire contrôlé par le Hamas et celui sous domination du Fatah. Ce serait, je l’ai déjà souligné, une erreur grave.

Quel avenir pour Mahmoud Abbas ?

Robert Malley : Depuis les élections de Janvier 2006, Mahmoud Abbas est dans une position extraordinairement difficile, presque tragique. D’un côté, c’est lui qui a fait le pari de l’intégration du Hamas dans le système politique palestinien, estimant qu’il pourrait coopter le mouvement et donc le modérer. De l’autre, il a subi des pressions très fortes, de son propre camp comme de pays clés sur lesquels il comptait, tels les Etats-Unis, pour isoler le mouvement islamiste. Alors, il s’est trouvé avec un pied dans chaque camp. Résultat : le Hamas n’est ni coopté ni affaibli.

A mon avis, le président Abbas a toujours un rôle essentiel à jouer, mais à condition qu’il s’affranchisse des pressions diverses et qu’il accepte de réintégrer le Hamas dans le dispositif politique. Mahmoud Abbas demeure indispensable : le Hamas a besoin de lui comme relais vis-à-vis de l’extérieur ; Israël a besoin de lui comme interlocuteur ; l’Occident a besoin de lui car il est le seul représentant crédible de l’aile pragmatique.

N’est-ce pas l’intérêt d’Israël d’afflaiblir l’Autorité palestinienne pour dicter sa propre vision de l’indépendance de la Palestine ?

Robert Malley : Je ne sais pas si cela est vraiment dans son intérêt, car sans Autorité palestinienne, Israël risquerait de faire face au chaos généralisé. Déjà, des voix s’élèvent du côté palestinien qui appellent à dissoudre l’Autorité et à obliger Israël à faire face à ses responsabilités de puissance occupante. Mais il est sûr que depuis le déclenchement de la seconde intifada palestinienne en 2000, le résultat objectif de la politique israélienne a été d’affaiblir l’Autorité palestinienne, de la rendre moins crédible aux yeux de sa propre population et donc moins capable d’assurer l’ordre et la sécurité.

Quant à l’indépendence de la Palestine, je crois que tout le monde aujourd’hui - la majorité des Israéliens et des Palestiniens compris - a bien conscience que c’est une des conditions nécessaires à une paix durable et équitable. Tout ce qui se passe en ce moment, que ce soit du côté palestinien ou israélien, ne fait que retarder cette échéance, multiplier les victimes, et rendre d’autant plus difficile la seule solution possible, c’est-à-dire la coexistence entre deux Etats voisins.

A qui profite la situation actuelle, comment pensez-vous qu’elle va évoluer ?

Robert Malley : Il est bien plus aisé de désigner ceux à qui la situation actuelle ne profite pas ! Les Palestiniens, en tout premier lieu, victimes de leurs divisions et de l’attitude de la communauté internationale. La séparation géographique entre Gaza et la Cisjordanie, tout comme la séparation politique entre le Hamas et le Fatah, sont catastrophiques pour le peuple palestinien, qui n’avait décidemment pas besoin de cela.

Mais j’estime qu’Israël non plus n’en profite guère, car des Palestiniens affaiblis et divisés ne seront pas en mesure d’assurer la sécurité de leurs voisins ni de s’engager dans un processus de paix véritable.

Enfin, l’Occident - coupable d’avoir imposé des sanctions à l’encontre de l’Autorité palestinienne, d’avoir boycotté le Hamas plutôt que d’essayer de le coopter, et donc d’avoir contribué à la confrontation interpalestinienne - ne sort pas renforcé de cette épreuve. Car les risques de radicalisation de la population palestinienne et de progression d’une mouvance djihadiste en son sein ne sont pas minces.

Quant à l’évolution de la crise, il est difficile de la prévoir. Pour l’instant, j’imagine que le statu quo - le Hamas contrôlant un Gaza soumis à un isolement difficile ; les forces loyales à Abbas tentant d’établir leur suprématie en Cisjordanie avec l’aide de nombreux pays tiers - va continuer. Mais, à un moment ou un autre, le président Abbas verra la nécessité de renouer le fil avec le Hamas, nonobstant les propos très durs qu’il tient aujourd’hui à leur égard.

A ce moment-là, de deux choses l’une : ou bien la communauté internationale comprendra son attitude, et acceptera que sans consensus palestinien et donc sans accorder un rôle au Hamas, il ne peut y avoir ni sécurité ni processus de paix ; ou bien elle répétera ses errements du passé et tentera de décourager Abbas de poursuivre dans cette voie. Dans ce cas, le pire - c’est-à-dire l’intensification des violences israélo-palestiniennes et interpalestiniennes - sera à craindre.

Peut-on envisager que le Hamas, confronté aux difficultés économiques et sociales qu’implique la gestion de Gaza, puisse modérer ses revendications politiques, passant du terrorisme à une politique classique, et cherche un compromis avec Israël ?

Robert Malley : Certains ont maintenu depuis les élections de janvier 2006 que, confronté aux exigences du pouvoir, le Hamas modérerait non pas tellement ses revendications mais sa pratique. En d’autres termes qu’il accepterait un cessez-le-feu global et réciproque et qu’il ne ferait pas obstacle aux efforts de paix du président Abbas. Malheureusement, cette thèse n’a jamais pu être vérifiée car le Hamas - en raison des sanctions internationales - n’a jamais eu de véritable possibilité de gouverner.

Personnellement, je ne crois pas que le Hamas soit sur le point de modérer ses revendications ; il estime être allé assez loin en acceptant le principe d’un Etat sur les frontières de 1967 et l’idée que tout accord de paix soit soumis à un référendum populaire, et refuse obstinément l’idée de reconnaître Israël. Par contre, on peut envisager à nouveau un marché implicite entre Hamas et Israël, Hamas pouvant gouverner à Gaza en échange d’un cessez-le-feu mutuel. Cela pourrait se faire, en commençant par exemple par la libération du soldat israélien en échange de prisonniers palestiniens.

Un retour de l’armée israélienne à Gaza est-il possible ?

Robert Malley : Possible, mais guère probable. Israël a quitté Gaza pour de bonnes raisons : il n’en voulait plus. Essayer de reprendre le contrôle de Gaza nécessiterait une vaste opération militaire à la fois extrêmement risquée et sans garantie de succès. Cela dit, si une roquette palestinienne par malheur provoquait de nombreuses victimes israéliennes, aucun gouvernement israélien ne pourrait résister à la pression populaire et politique. Un retour de l’armée à Gaza serait, dans ce cas, presque une certitude.

La crise dans la bande de Gaza peut-elle se résoudre sans l’intervention de forces internationales ?

Robert Malley : L’intervention de forces internationales n’a rien à voir là-dedans. Elle ne peut se résoudre par voie militaire, mais uniquement par voie politique, c’est-à-dire à terme par un accord entre le Hamas et le président Abbas. Aujoud’hui, vu les hostilités, la haine même, cela paraît difficilement envisageable. Mais la Palestine forme un tout, Abbas veut être le président de tous les Palestiniens, et sans accord interpalestinien, rien ne pourra se faire.

Quels obstacle y a-t-il à ce que la région de Gaza soit administrée et sécurisée par un tiers indépendant, tel que l’ONU ?

Robert Malley : Un seul, mais il est de taille : le Hamas contrôle Gaza et ne veut pas de présence d’un pays tiers ou de l’ONU. Après l’Irak, qui donc peut envisager l’envoi de troupes dans un environnement hostile et où les armes surabondent ? Cela n’a pas de sens.

Selon vous, la communauté internationale a-t-elle encouragé Abou Mazen à lâcher la bande de Gaza pour sortir d’une situation de blocage ? Peut-on imaginer que le Fatah, Israël et le reste de la communauté internationale s’accommode parfaitement bien de cette situation actuelle qui permet d’isoler le Hamas ?

Robert Malley : Non, je ne crois pas à la thèse du plan machiavélique qui aurait permis à Abbas de se défaire du gouvernement d’Union et au Hamas d’hériter de ce cadeau empoisonné qu’est Gaza. Les évènements de Gaza constituent un revers important pour tous ceux qui avaient soutenu les forces loyales à Abbas.

Cela étant, il ne fait guère de doute dans mon esprit que la communauté internationale - par là j’entends surtout les Etats-Unis et l’Europe - ont involontairement contribué à ce dénouement. Depuis janvier 2006, ils n’ont eu de cesse d’essayer d’affaiblir et de marginaliser le Hamas dans le but non avoué (et chimérique) d’accélérer sa chute. Ce faisant, elle a fait deux choses : d’un côté, elle a renforcé parmi certains membres du Fatah l’illusion qu’ils pourraient bientôt revenir au pouvoir ; de l’autre, elle a renforcé ceux qui, au sein du Hamas, n’ont jamais cru à l’option politique et ont pu crier au complot international visant à les défaire.

L’aile militante et militaire du Hamas a eu beau jeu de dire : voyez, ils ne nous laisseront jamais gouverner ; ils cherchent à nous affaiblir et à retourner la population contre nous ; entre temps, ils arment le Fatah et lui fournissent aide et argent ; par conséquent, plutôt que d’attendre que les forces du Fatah soient plus fortes que nous, attaquons pendant que nous avons encore l’avantage.

Le résultat est sous nos yeux et il est tragique. Il est grand temps que l’on cesse de s’ingérer dans les affaires intérieures palestiniennes. A force de jouer avec le feu, tout le monde brûlera...

Chat modéré par Celia Meriguet et Anne-Gaëlle Rico

Robert Malley - Le Monde, le 26 juin 2007

De Robert Malley : Il faut tirer les leçons de Gaza


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