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Natifs, pas immigrés

samedi 23 juin 2007 - 18h:08

Nimer Sultany - The Guardian

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Les citoyens palestiniens ne sont pas des gens qui ont immigré vers Israël, ils vivaient dans leur pays d’origine bien avant qu’Israël ne devienne une réalité.

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Paysage de Palestine, région de Jayyous, au nord-ouest de la Cisjordanie. Au fond, Israël.

En tant que natifs, les fils et les filles de Palestine, les citoyens palestiniens en Israël trouvent toujours drôles ces raisonnements : « Si vous n’aimez pas votre statut inférieur, partez ; si vous vous considérez Palestiniens et si vous êtes d’accord avec le combat palestinien pour la liberté et l’autodétermination, rejoignez vos frères et s ?urs en Palestine. »

Naturellement, ceux qui avancent ces arguments ne notent pas l’ironie qui étaye leur réflexion :

Premièrement, ce sont des immigrés - certains récents comme le ministre Avigdor Lieberman - ou des descendants d’immigrés qui demandent à la population indigène de quitter son propre pays.

Deuxièmement, par la politique élaborée par l’Etat, par une discrimination institutionnalisée et une culture populaire de la haine, ils rendent la vie des natifs insupportable dans l’espoir qu’ils seront « encouragés » à partir.

Troisièmement, ces réflexions présupposent que la minorité palestinienne serait une minorité d’immigrés pareille à celle des Turcs en Allemagne ou des Pakistanais au Royaume-Uni. Et en tant que minorité d’immigrés, ils sont censés - selon cet argument - s’adapter à leur nouveau pays, qu’ils ont choisi, et accepter de se soumettre à la nouvelle réalité et aux symboles de l’Etat. Ils ne peuvent sérieusement se plaindre de leur statut car ce sont eux qui ont choisi d’immigrer dans cet Etat. S’ils ne l’aiment pas, ils peuvent encore immigrer.

Ces mêmes personnes qui avancent ces propos sont scandalisées quand quelqu’un leur rétorque à propos de l’ « hostilité arabe » à Israël et des « attentats terroristes » : « Vous avez choisi d’immigrer en Palestine et d’établir un Etat au Moyen-Orient, dans une région arabe, aux dépens du peuple indigène. Si vous n’aimez pas cette réalité, partez. »

Le fait est que les citoyens palestiniens n’ont pas immigré en Israël ; ils vivaient dans leur pays d’origine bien avant qu’Israël ne devienne une réalité.

Quatrièmement, une autre ironie est le fait que la politique israélienne elle-même empêche la naissance d’un Etat palestinien. Par le refus de se retirer de la terre occupée, la destruction de l’Autorité palestinienne lors de la dernière Intifada, l’implantation de toujours plus de colonies et l’expansion du Grand Jérusalem, par l’érection du mur de séparation à l’intérieur de la Cisjordanie, le refus depuis plus de six ans de s’engager dans des négociations sérieuses, le rejet et le boycott des officiels palestiniens élus démocratiquement (que ce soit Arafat ou le gouvernement Hamas), l’anéantissement de l’économie palestinienne (comme un rapport de la Banque mondiale l’a fort justement indiqué), et la parcellisation des territoires en bantoustans isolés, Israël a fait de l’Etat palestinien un rêve lointain.

De plus, il rend insupportable la vie courante palestinienne pour « encourager » le maximum de personnes à immigrer. Les citoyens palestiniens d’Israël sont invités à s’inscrire dans cette réalité fabriquée. Juste pour être incités à partir.

Naturellement, la réaction automatique des apologistes d’Israël à cette dernière observation est de dire : « Israël se retirera quand la violence palestinienne aura pris fin. » Cette réaction ne prend pas en compte que le péché originel est l’occupation elle-même et que la résistance en est la conséquence historique naturelle. Elle ne répond pas non plus à la question des constructions de colonies et de l’envoi de toujours plus de colons Juifs. Elle ne répond pas davantage à celle de savoir pourquoi Israël ne s’est pas retiré pas du Plateau du Golan.

Pendant plus de quarante ans, la ligne de cessez-le-feu syro-israélienne a été parmi les plus tranquilles au monde mais il n’y a aucune intention de s’en retirer du côté d’Israël ; au contraire, ses colonies y prospèrent. Au cours de la dernière année, nous avons vu Israël tourner le dos à une invitation syrienne à négocier. En fin de compte, cette réaction tente vainement de présenter Israël toujours comme une victime, qui réagit seulement aux évènements, sans démarche politique.

Le fait de dire « partez » cependant n’est pas seulement amusant et ironique. C’est aussi inquiétant. D’abord, cela sert à justifier la discrimination institutionnalisée contre la population native. « Vous pensez que c’est mal ? Nous pouvons faire pire », ou « Vous pouvez trouver pire ailleurs, alors restez tranquille. » Dans cette visée sioniste, le Palestinien est un importun et un hôte indésirable. En tant que hôte, le Palestinien devrait bien se tenir, autrement le statut de citoyen lui sera retiré. En tant que hôte dans son pays d’origine, on attend du Palestinien qu’il soit reconnaissant du reste de droits que les nouveaux maîtres de la terre pourraient lui accorder.

Ensuite, dire cela n’est pas simplement une réflexion ; c’est aussi la base d’une proposition politique sérieuse des ministres, des faiseurs d’opinion et des membres du parlement israélien. Ils sont nombreux les politiciens, les universitaires et les journalistes influents qui ont proposé des variantes pour l’« échange de territoires » ou l’« échange de populations », ou même l’expulsion pour se débarrasser des citoyens natifs et approfondir le caractère ethnique et idéologique juif de l’Etat. Les deux tiers de la majorité juive ont demandé au gouvernement, dans les dernières années, d’« encourager » le départ des Palestiniens. Et un tiers des Israéliens juifs est d’accord pour leur expulsion.

Ces propositions s’inscrivent dans une conception où l’on considère les citoyens palestiniens comme « une menace démographique ». Un Etat juif nécessite le maintien d’une forte majorité juive. Par conséquent, elle ne peut coexister avec une minorité palestinienne importante. L’Etat s’est toujours soucié, et se souciera toujours - tant qu’il se définira comme tel - de savoir combien sont nés de Juifs et combien sont nés d’Arabes, année par année. Chaque nouveau-né palestinien, dans Israël, est une menace directe pour la balance démographique. C’est pourquoi des institutions et des conférences sérieuses et prestigieuses (telle que la Conférence Herzliya, le Centre démographique, le Conseil public pour la démographie) se réunissent pour discuter de la façon d’« enrayer » cette menace démographique.

C ?est pourquoi Benny Morris déplore le fait (dans The Gardian) que Ben Gurion n’a pas mené à terme son projet d’expulser les habitants originaires du pays en 1948.

L’existence de citoyens palestiniens dans un Etat juif et sioniste met en évidence une contradiction inhérente au projet sioniste : vous ne pouvez pas avoir une suprématie juive et prétendre être des démocrates en ne proposant pas une même citoyenneté pour tous.


Nimer Sultany est citoyen palestinien d’Israël. Il est actuellement en doctorat à l’université de droit d’Harvard. Il a été avocat spécialisé dans les droits humains de l’Association pour les Droits civils en Israël et il a dirigé le projet du suivi politique à Mada al-Carmel (le centre arabe pour la recherche sociale appliquée).

20 mai 2007 - The Guardian - traduction : JPP


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