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« Corridors humanitaires sécurisés » au Darfour : un amalgame militaro-humanitaire dangereux

vendredi 1er juin 2007 - 07h:21

MSF

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La proposition de M. Bernard Kouchner, ministre français des Affaires étrangères, de sécuriser militairement un « corridor humanitaire » à partir du Tchad pour venir en aide aux populations du Darfour pose de nombreuses questions. Le docteur Denis Lemasson, responsable des programmes de la section française de Médecins Sans Frontières au Soudan, explique pourquoi cette proposition est en décalage avec la réalité des secours sur le terrain, voire contre-productive pour l’assistance à la population du Darfour.

 » Quelle est la situation générale au Darfour ?

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Photo : Sven Torfinn

Depuis les accords d’Abuja en mai 2006, la situation a évolué vers une fragmentation des groupes armés : forces rebelles et pro-gouvernementales sont aujourd’hui éclatées en dizaines de groupes qui s’affrontent et créent un contexte d’insécurité.

La violence se traduit le plus souvent par des affrontements sporadiques, des raids sur des villages et des attaques ciblées, y compris à l’encontre des humanitaires.

Plus de deux millions de personnes sont toujours déplacées, et dépendent essentiellement de l’aide humanitaire internationale pour leur survie. Mais si rien n’est résolu sur le plan politique et que les violences se poursuivent, nous ne sommes plus dans un contexte de massacres de masse commis par les forces gouvernementales, comme en 2003-2004.

 » L’assistance humanitaire est-elle impossible aujourd’hui au Darfour ?

Dans ce contexte de guerre et d’insécurité, particulièrement sur les routes, la conduite des secours est très difficile. Malgré cela, depuis mi-2004, les organisations présentes sur place mènent des opérations d’une ampleur sans précédent dans les principaux sites de déplacés. Plus de 10 000 travailleurs humanitaires sont déployés au Darfour et apportent une assistance vitale (nourriture, eau, soins médicaux) à environ deux millions de personnes déplacées. MSF emploie quant à elle 2000 personnes pour mener ses programmes dans les trois régions de la province, y compris en zone rebelle.

 » Comment l’aide est-elle acheminée dans les différentes localités ?

Depuis septembre dernier, après une grave agression perpétrée contre notre personnel, les équipes de Médecins Sans Frontières se rendent sur le terrain grâce aux avions et aux hélicoptères du PAM. Mais, comme depuis le début de notre intervention, le matériel continue d’être acheminé par la route, à partir de Khartoum. Compte tenu des vols et attaques subis par les organisations humanitaires, nous devons en permanence évaluer notre mode opératoire et négocier avec toutes les parties au conflit l’accès et l’assistance aux populations. Dans ce contexte, être un acteur humanitaire indépendant est primordial.

 » L’accès aux personnes vivant en dehors des camps ne demeure-t-il pas un problème ?

Nous sommes effectivement confrontés à la difficulté d’accéder à certaines populations, notamment celles vivant dans les zones rurales les plus isolées à cause de l’insécurité sur les routes. Mais les corridors humanitaires ne nous semblent pas être une solution opérante pour des populations dispersées sur un territoire désertique aussi grand que la France.

 » Sécuriser l’aide par des forces armées vous semble-t-il une réponse pertinente ?

La proposition de M. Kouchner, qui fait l’amalgame entre militaire et humanitaire, est dangereuse. Si les convois humanitaires sont sécurisés par une force armée étrangère, les humanitaires risquent d’être assimilés à une partie au conflit et de devenir une cible. On l’a vu maintes fois, mélanger action humanitaire et intervention armée s’avère le plus souvent inefficace car, pour atteindre les populations, les secours doivent rester neutres et indépendants de tout pouvoir politique et être perçus comme tels. Or, les corridors humanitaires sécurisés proposés par M. Kouchner ne seraient plus des espaces de travail neutres. Au lieu de renforcer l’assistance humanitaire, c’est l’effet inverse qui risque de se produire.

 » Quel est votre sentiment quant aux expériences précédentes en la matière ?

Sans vouloir préjuger d’une répétition de l’histoire, les expériences passées « d’ingérence humanitaire » légitiment notre inquiétude. Les « couloirs humanitaires » et les « zones de sécurité » mis en place à Srebrenica et Gorazde, en Bosnie, sont un rappel tragique de l’illusion de sécurité entretenue par de telles mesures. De même, l’opération « militaro-humanitaire » américaine en Somalie, en 1992, a participé à un mélange des genres dangereux pour les populations et s’est avéré un échec en termes de secours et de protection.

31 mai 2007 - Médecins Sans Frontières - Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.msf.fr/site/actu.nsf/act...


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