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Le Moyen-Orient de demain

mardi 29 mai 2007 - 05h:51

Khalifa Chater - Réalités Online

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Le Moyen-Orient de demain, une question difficile et complexe, dans un contexte d’attente, sinon de désespoir. Comment présenter des perspectives d’avenir, tenter d’ouvrir l’horizon et se risquer à poser le problème de la reconstruction d’un système régional, qui implique d’identifier les conditions raisonnables d’une stabilité de la région ? Depuis l’occupation du Koweït par l’Irak, ou plutôt depuis la création de l’Etat d’Israël, les armes ne se sont pas tues, dans cette aire érigée en champ de bataille. Au feuilleton des guerres de Palestine a succédé celui des guerres d’Irak, ouvrant les perspectives d’une « guerre de civilisations », permettant d’identifier, en un tour de mains, un nouvel ennemi de remplacement, après l’implosion de l’URSS.

Les évènements du 11 Septembre - une mutation d’alliés d’antan de l’Amérique en ennemis - devaient servir les partisans de cette approche. Depuis la chute de Bagdad (2003) et l’occupation qui s’ensuivit, la mise à l’ordre du jour de « la pacification », l’émergence et le développement de mouvements divers de résistance, y compris l’installation de l’organisation terroriste Al Qaïda, puis la mise à l’ordre du jour de la guerre des ethnies et de la guerre civile effective - et nous n’oublions pas les effets de la mise en dépendance de l’Irak, sur les champs palestiniens, libanais etc - le Moyen-Orient est dominé par ce que nous pourrions nommer une « matrice de guerre », constituée d’une série de pratiques transnationales, nationales et ethniques.

Peut-on engager, dans ces conditions, une réflexion prospective sur l’avenir du Moyen-Orient ? Peut-on explorer les scénarios possibles induits par la conjugaison de sa dynamique interne et des réactions volontaires, spontanées ou désespérées de ses acteurs, à la suite de l’épreuve de la guerre d’Irak ? Toute procédure de prédiction, sinon de planification stratégique sont, certes, hors de question. Mais la mise en perspective des éléments du puzzle, c’est-à-dire des données de base, l’étude du cheminement des faits et la mise en valeur de la cohérence du processus mis en a ?uvre permettraient peut-être d’envisager les effets et les mutations conséquentes qui peuvent se produire dans le futur, en relation avec la multiplicité des champs et des variables.

Tout scénario traduit, d’après notre hypothèse de travail, la résultante de l’enchaînement logique des faits et leurs effets prospectifs globaux et nécessairement interactifs. Ce qui implique la connaissance du jeu des acteurs sur la scène politique, les réactions, les contrecoups et les ressentiments qu’ils produisent, affectant les visions générales, les options politiques, les références identitaires et/ou religieuses. De ce point de vue, le traumatisme arabe et la colère qu’il nourrit interviennent nécessairement dans la construction du futur du Moyen-Orient, ne serait-ce que par réaction aux acteurs hégémoniques.

Quel scénario pour le Moyen-Orient de demain ?

Devant l’absence de perspectives d’avenir, la plupart des analystes font état de leur vision pessimiste et expriment leurs inquiétudes. Permettez-moi d’introduire ma réflexion par la citation des scénarios de Richard Haass, Président du Conseil des relations extérieures des Etats-Unis : « Sombre avenir ... Il y a là de quoi nourrir l’inquiétude, mais sans pour autant justifier le fatalisme. Il reste une différence fondamentale entre un Moyen-Orient sans accords de paix formalisés et un Moyen-Orient devenu le champ clos du terrorisme, des conflits entre États et de la guerre civile. De même entre un Moyen-Orient où un Iran puissant aurait sa place et un Moyen-Orient passé sous domination iranienne ». Nous n’admettons point, il va de soi, cette vision perturbée par l’exagération de la menace iranienne. Rien ne permet d’occulter la démarcation géopolitique entre une aire en conflit avec les Etats-Unis (les Etats d’Iran et de Syrie et les puissantes entités politiques Hezbollah et Hamas) et un ensemble d’Etats s’accommodant de l’état de fait et entretenant de bonnes relations avec l’Establishment américain, tout en espérant le convaincre de la nécessité d’exercer une pression sur Israël.

Cette division, déterminée par la nature des régimes, les options géopolitiques et les systèmes d’alliances, en conséquence, nous parait plus crédible que l’opposition entre Sunnites et Chiites, exception évidente du cas irakien, où l’implosion de l’Etat privilégie désormais le retour aux solidarités identitaires. Puissance régionale certes, mais les ambitions, les potentialités et les marges de man ?uvre de l’Iran doivent être re-évaluées à leur juste mesure. N’oublions pas le discours relatif à « la puissante armée irakienne », mis en ?uvre pour susciter la peur et justifier l’intervention militaire. Les nouvelles études sérieuses montrent que l’Iran est sérieusement handicapée, par sa rente pétrolière, qui constitue désormais son talon d’Achille, puisqu’il est à la merci des fluctuations du prix du baril, que ses adversaires peuvent instrumentaliser . Peut-on évoquer un scénario de guerre contre l’Iran ? Des analystes affirment que « toutes les options restent ouvertes ». Nous ne le pensons pas. Les déboires des Etats-Unis en Irak et d’Israël au Liban semblent exclure cette éventualité, dans un contexte de changement de majorité aux Etats-Unis. Nous pensons d’autre part que l’Arabie Saoudite n’est pas prête de prendre le relais des Etats-Unis et à affronter l’Iran, vu les rapports de forces et l’état de l’opinion arabe.

Dans ce contexte, où les USA exercent leur pression sur l’Iran et la Syrie et les soumettent à leur surveillance, les pays arabes - y compris les Etats du Golfe - continueront à les ménager, étant donné qu’un affrontement entre Etats musulmans ouvrirait une nouvelle boite de Pandore. Dans ce contexte de tragédie, d’attente et de colère, les Etats arabes ne peuvent que pratiquer, entre eux et avec leurs partenaires musulmans, une politique de coexistence, sinon de bonne entente. Ils réalisent qu’ils doivent limiter les manifestations des effets d’une alliance perçue contre nature, à l’heure de l’épreuve, par leurs opinions publiques. Ils pourraient difficilement condamner officiellement la politique nucléaire iranienne, après le précédent israélien.

En ce qui concerne l’Irak, les perspectives restent sombres, étant donné que la reconstruction de l’Etat-nation, qui devrait nécessairement être remise à l’ordre du jour, suppose une réconciliation générale, l’adoption de compromis sinon d’un consensus, en faveur d’une concorde et le recouvrement préalable de la souveraineté. Les positions entre les leaders d’opinion, les Establishments religieux chiites et sunnites, les différentes tendances de leurs composantes -traditionnelles, radicales, extrémistes- et les dirigeants des ethnies restent très éloignées. Comment rétablir les équilibres fondateurs, réhabiliter la société civile, faire valoir les valeurs républicaines et la citoyenneté, pour mettre fin à la guerre civile et arrêter l’implosion du pays.

La question palestinienne, question centrale, n’est pas en voie de solution, dans l’avenir immédiat ou proche. Les réunions du Quartet et les multiples interventions américaines, européennes et arabes qui la concernent ne débouchent sur rien, Israël jouissant d’une tolérance internationale lui permettant d’imposer le fait accompli colonial. Refusant de se prêter au dialogue, Israël réduit les propositions arabes à une opération de reconnaissance au service d’une normalisation. La situation du Liban dépendra des « ballottements régionaux », qui exploitent « sa déchirure intérieure ». Un examen des perspectives redimensionne les effets des tentatives diplomatiques entreprises, par certains pays arabes, pour calmer le jeu sinon assurer la sauvegarde du statu quo.

Le « retour diplomatique » de l’Arabie, illustré par l’accord de la Mecque et la tenue du Sommet de la Ligue des Etats arabes - une tentative d’assurer la résurgence de cette institution frappée de paralysie - devrait être apprécié à l’aune des résultats obtenus, à savoir la restauration de l’unité palestinienne et la réponse d’Israël à l’initiative arabe. Autrement, il relèverait du non-évènement, au mieux de la symbolique. Alors que la Jordanie ?uvre pour consolider son équilibre instable (voisinage israélien, effets des questions palestinienne et irakienne), l’Egypte, qui pratique une diplomatie démonstrative, subit les effets érosifs de la politique du Grand Moyen-Orient et de ses mesures applicatives d’ingérence. Et n’oublions pas les effets possibles des situations explosives, des bombes à retardement sociopolitiques ou stratégiques, dans ce climat de désespoir, de colère et de ressentiment.

Trois scénarios d’avenir pourraient être identifiées, d’après l’examen de la situation du Moyen-Orient : la prise en compte des événements majeurs, le rôle des leaders d’opinions et leurs effets sur les opinions publiques :

- le scénario optimiste, qui implique le traitement des questions palestinienne et irakienne et l’apaisement des relations avec l’Establishment international. Une telle situation permettrait de sauvegarder le statu quo des Etats-nations de l’aire arabe, de faire échec aux dérives de l’extrémisme et du fanatisme, de remettre à l’ordre du jour les priorités internes, à savoir le développement et les exigences citoyennes et, pourquoi pas, d’induire des mutations progressives, dans le cadre d’une démocratisation des régimes, par effet de la dynamique interne. Une telle situation permettrait de fermer la boite de Pandore, ouverte par la guerre contre l’Irak ;

- le scénario pessimiste, en conséquence du non règlement des questions centrales, de la poursuite des interventions militaires directes ou par l’entremise d’alliés. Ce statu quo de crises et de dépendance est susceptible d’affaiblir le statu quo institutionnel, de remettre en cause les establishments, de servir, par le contexte de désespoir qu’il fait régner, les causes des nostalgiques, des extrémismes et du terrorisme ;

- le scénario lointain de la fin de l’ère du pétrole. Il relève d’une éventualité certaine. Mais l’identification de ses effets me parait difficile à cerner, vu les différences de situations, de facteurs et de variables.

Conclusion

Suite à l’ampleur de la tragédie arabe et le développement en conséquence d’une solidarité musulmane, nourrie d’un ressentiment populaire de grande ampleur, en réaction au discours de « la guerre des civilisations » et son application sur le terrain, le Moyen-Orient a connu une extension des pôles de conflits et un élargissement de son espace à l’ensemble de l’aire de l’Islam. Fait nouveau, le discours musulman prend le relais du nationalisme arabe dans la résistance irakienne et palestinienne, y compris dans la dérive intégriste. En tant qu’acteurs, les Arabes s’érigent désormais plutôt en tant que Musulmans et leurs partenaires et/ou adversaires, les perçoivent comme tels. Concordance des visions, « le Grand Moyen-Orient », mis en exergue par l’Administration Bush, intègre la Turquie et le Pakistan, tentant de redimensionner les pôles de tension arabes, par la mise en valeur de deux Etats musulmans alliés, censés avoir une vision distante par rapport à la question centrale palestinienne.

Et d’ailleurs, la Turquie est désormais interpellée par ses problèmes de voisinage avec l’Irak et surtout son appréhension de la question kurde et les velléités d’indépendance qu’elle pose, dans le cadre de la mise en question de l’Etat-nation irakien. Son rejet de l’Europe, pour son appartenance à la communauté musulmane, ne peut que favoriser son adhésion au Moyen-Orient. Son gouvernement islamiste, en dépit de la modération qu’il fait valoir, ne pouvait que renforcer sa vocation d’Etat impliqué dans les tragédies arabes. Cela est dans la nature de choses, telle que le montre la soudaine conversion de l’Iran, d’allié en ennemi d’Israël, en faveur d’un changement de régime.

La position du Pakistan est certes différente. Elle n’a pas de contentieux historique avec l’aire arabe, comme la Turquie ottomane puis kémaliste et l’Iran du Chah. Le Pakistan, intégré au Moyen-Orient par les effets de la guerre d’Afghanistan sur son propre terrain et son intégration dans l’aire de menace et mouvance intégriste, est dans la position d’un équilibre instable entre l’alliance occidentale de son gouvernement et ses assises politico-culturelles d’opposition. Dans l’équation moyen-orientale nouvelle, le Pakistan risque, à la faveur d’un changement de contexte, de devenir la vraie puissance régionale du Moyen-Orient, éclipsant l’Arabie et même l’Iran, dont les économies rentières limitent leurs marges de man ?uvres. Nous rejoignons l’approche de l’analyste Robert Fisk , qui estime que l’avenir du Moyen-Orient n’est pas l’Iran, mais le Pakistan, un Etat possesseur de la bombe nucléaire.

Fait d’évidence, ce contexte de « pacification », d’hégémonie, -mais aussi, triste réalité, de carnage et de traumatisme- favorise l’émergence des extrêmes, le radicalisme, la surenchère. Le Moyen-Orient est une arène de rivalités, de luttes sans merci, de conflits plus ou moins déclarés. Dans ce monde ou la passion l’emporte sur la raison, en réaction à une re-actualisation des politiques hégémoniques, l’observateur ne peut que privilégier un diagnostic pessimiste, sinon un état d’incertitude et d’imprévisibilité, au sein duquel les puissances, les Etats de la région, les communautés et les mouvements de résistance, de contestation, et parfois de prosélytisme politique et religieux, rivalisent pour se placer. Comment peut-on, dans cette situation, prendre le risque de soumettre, pour ce champ mouvant, une approche de longue durée ?

Notes :

- Vivienne Jabri, « La guerre et l’Etat libéral démocratique », in Cultures & Conflits n°61 (2006) pp. 9-34.
- Richard Haass, « Moyen-Orient : sombre avenir ». Financial Time, Royaume Uni. Jeune Afrique, 14 janvier 2007.
- Jean-Michel Bezat et Yves Mamou « L’économie iranienne : or noir et clientélisme », Le Monde, 28 mars 2007.
- J’adopte à dessein les concepts du professeur Antoine Hekayem. Séminaire « Le Moyen-Orient de demain et les relations européennes », AEI, Tunis, 27-28 avril 2007.
- Robert Fisk, interview France 3, 29 mars 2007, Journal du soir.


Khalifa Chater est professeur d’histoire comtemporaine, Vice-Président de l’Association des Etudes Internationales et Docteur Honoris Causa de l’Université de Montpellier-Paul Valéry (France)

Khalifa Chater - Réalités Online, le 17 mai 2007


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