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« Gaydamakland » : un milliardaire héberge les réfugiés de Sdérot

lundi 28 mai 2007 - 06h:16

Le Figaro - Le Monde - Le Temps

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Alors qu’Israël célébrait, hier, la fête religieuse de Shavouot, qui commémore la remise de la Torah au peuple juif, Sderot, dans le sud du pays, a pris des airs de ville fantôme. Victimes des tirs de roquettes palestiniennes, lancées par des groupes islamistes depuis la bande de Gaza voisine, les habitants ont pris massivement la fuite.

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Les habitants de Sderot, soumis depuis une semaine à plus de 140 impacts de Qassam, attendent des bus pour quitter la ville (Ph. Morenatti/AP)

Dès l’ouverture des portes, la foule se rue dans les autobus rassemblés sur un parking, à la sortie de Sderot. Pressés d’embarquer par leurs parents, les enfants bousculent les passagers ultraorthodoxes et les personnes âgées. Ils se faufilent entre les bagages dans les escaliers, pour être sûrs d’avoir une place dans l’un des vingt cars affrétés par le milliardaire d’origine russe Arkadi Gaydamak. Après avoir adressé quelques baisers et un dernier au revoir de la main à ses deux enfants, Larissa, une jeune mère de famille, craque. « Allez, ne restez pas là. Partez vite », hurle-t-elle en larmes au chauffeur, en frappant les portes du bus.

Les habitants de Sderot sont à bout de forces, à bout de nerfs. Soumis à une pluie de roquettes Qassam, tirées par des groupes islamistes palestiniens depuis la bande de Gaza voisine, ils fuient massivement leur ville. En une semaine, Sderot a essuyé pas moins de 140 impacts de Qassam. « Mon fils et ma fille ne dorment plus depuis une semaine et nous non plus, raconte Larissa, 30 ans. Nous n’avons pas d’abri dans notre appartement. C’est trop dangereux. Les enfants partent quelques jours à Netanya (au nord de Tel-Aviv, NDLR), en attendant que les choses se calment. »

D’après le département de l’Éducation, 80 % des enfants ont fui Sderot. Plus de 7 000 habitants sur 24 000 ont déjà quitté la ville, selon les chiffres de la mairie. Ceux qui sont restés se terrent chez eux. « Les gens ne sortent plus faire leurs courses, explique le propriétaire d’un supermarché. Lorsqu’ils font le déplacement, ils achètent le strict minimum pour repartir le plus vite possible. S’il y a un code rouge, ils abandonnent leur chariot de provisions et partent en courant ». Ce système d’alerte aux attaques de roquettes palestiniennes leur laisse vingt secondes pour se mettre à l’abri.

De nombreux habitants qui voudraient fuir la ville sont obligés de rester, faute de moyens. Sderot est essentiellement constituée de nouveaux immigrants, originaires d’ex-URSS ou du Maroc, aux revenus modestes. Endettés pour l’achat de leur appartement, ils n’ont pas assez d’argent pour se reloger ailleurs. Plusieurs associations leur viennent en aide. Ainsi, Sabina Michaelov a pu faire partir ses parents sexagénaires qui habitaient la ville depuis dix ans. « Au bout de sept ans de roquettes, ils n’en pouvaient plus, explique-t-elle. Leur immeuble n’est pas équipé d’un bunker et ils ne sont pas en état de faire un sprint jusqu’à celui qui se trouve dans la rue en cas d’alerte. » Une association a convaincu leur banque de suspendre le remboursement de leurs crédits pendant quelques mois.

Depuis le début de la seconde Intifada, en septembre 2000, plus de 6 000 roquettes palestiniennes ont été tirées, faisant 9 morts dans le sud d’Israël et des dizaines de blessés. Le bilan paraît dérisoire au regard des centaines de civils palestiniens tués par des opérations israéliennes dans la bande de Gaza en sept ans. Cependant, l’effet psychologique est dévastateur. « En moyenne, nous essuyons trois tirs de roquettes par jour, raconte Atara Orenbach, qui quitte la ville avec ses six enfants. Quotidiennement, il se produit ici des miracles, lorsque les roquettes ne font pas de victimes. Mais nous vivons constamment sous la menace. »

Ces engins rudimentaires, fabriqués à partir de tuyaux métalliques, sont de plus en plus perfectionnés. Le Hamas a non seulement amélioré la portée des roquettes, mais aussi la puissance des charges explosives qu’elles emportent. Depuis le retrait israélien de la bande de Gaza, les groupes armés palestiniens ont importé d’importantes quantités de TNT. Les explosions sont de plus en plus dévastatrices. La roquette qui a tué une femme de 35 ans lundi soir, a creusé un cratère de 30 centimètres de large sur 20 centimètres de profondeur. Les rideaux métalliques des boutiques aux alentours sont criblés d’éclats. Un carnage a été évité de justesse, grâce à une réunion de crise des commerçants du quartier. Leurs boutiques étaient fermées à l’heure de l’explosion.

La mort de la jeune femme a entraîné un mouvement de colère sans précédent à Sderot. Les habitants ont lancé des pierres sur la mairie, brisant plusieurs vitres. Pourtant considéré comme un « maire courage » par la majorité de ses concitoyens, Eli Moyal n’ose plus se rendre à son bureau. Il travaille désormais à son domicile, sous la protection de l’armée. Venu sur place se rendre compte de la situation, le premier ministre, Ehoud Olmert, a essuyé une déferlante d’appels à la démission. Les habitants de Sderot jugent que leur gouvernement ne leur vient pas suffisamment en aide. Ils réclament une offensive terrestre d’envergure pour mettre un terme aux tirs de roquettes. « Je comprends votre colère et votre détresse, a répondu Olmert. Mais même lorsque nos troupes étaient présentes à Gaza, il n’y avait pas de solution simple et des roquettes étaient tirées sur Sderot. »

Évacué de la colonie d’Elei Sinaï en août 2005, le lieutenant-colonel Avi Fahran exhibe son tee-shirt portant une carte de l’ancien bloc de colonies juives à Gaza. « Nous vous avions prévenus, s’emporte-t-il. Il ne fallait pas évacuer Gaza. Nous étions le bouclier d’Israël. Maintenant, le front est à Sderot ». Impossible pourtant de réoccuper Gaza, une majorité d’Israéliens y étant opposés. Avi Fahran cite alors son ancien compagnon d’armes et ami, Ariel Sharon. Semant le malaise chez ses interlocuteurs, le père du désengagement répétait que, si les Palestiniens tiraient des Qassam sur Sderot une fois le retrait achevé, il faudrait ordonner des tirs d’artillerie à l’aveuglette sur les quartiers de population civile d’où sont tirées ces roquettes, peu importe le nombre de victimes. « Nous ne sommes pas en Occident ici, lance Fahran. Il faut parler aux Arabes leur langage : celui de la terreur. Ils ne comprennent que la loi du plus fort. »


Patrick Saint-Paul

Les Israéliens de Sdérot dénoncent l’incapacité du gouvernement à les protéger

Une forte odeur de poudre brûlée flotte toujours dans l’air. Un trou noirci d’une cinquantaine de centimètres marque l’endroit de l’impact de la roquette Qassam au beau milieu de la chaussée, une ruelle commerçante perpendiculaire à la rue Ben Yehuda. L’arrière d’une voiture est carbonisé. D’autres sont endommagées. Les murs sont constellés d’éclats, les vitrines réduites en miettes.

Il était 20 heures, lundi 21 mai, lorsque l’engin a explosé au sol devant une boulangerie, fauchant une jeune femme de 32 ans, Shirel Friedman, d’origine roumaine, qui se rendait dans un magasin de vêtements. Elle est morte avant d’arriver à l’hôpital. Un autre passant a été blessé. Heureusement, la plupart des boutiques étaient fermées en raison d’une réunion des commerçants pour apprécier la dégradation de la situation et décider quelles mesures il fallait prendre.

"Comme j’ai pratiquement le même âge que la victime, tout le monde a cru que c’était de moi qu’il s’agissait", raconte Ganit Farhan dans la boutique de lingerie de sa mère. Elle montre un des mannequins qui a été frappé au front par un éclat. "Nous devrions aller à Tel-Aviv pour protester, pour demander aux Israéliens qu’ils se réveillent. Aujourd’hui, c’est Sdérot, demain ce sera Ashkelon, puis, après, Ashdod et enfin Tel-Aviv. Ils veulent nous conquérir, mais nous ne partirons pas. J’apprends à mes enfants à résister, à ne pas paniquer, mais ils n’ont pas le droit d’aller dehors." Son père, ex-lieutenant-colonel de l’armée israélienne, porte un tee-shirt avec l’emplacement des anciennes colonies de la bande de Gaza et cette inscription : "Ma maison, c’est Elay Sinaï" - une ancienne colonie non loin de Sdérot.

Avi Farhan explique qu’il a été contraint de partir de la colonie de Yamit dans le Sinaï, puis de celle d’Elay Sinaï et que, désormais, il n’est plus en sécurité dans sa maison. Il a écrit au général Galant, qui commande la région sud, pour lui demander de démissionner afin de provoquer un électrochoc au sein du gouvernement. "Cela suffit ! Que le gouvernement prenne des décisions ! Que l’armée fasse place nette d’où partent les tirs. Que les soldats fassent leur travail !"

"Olmert : Démission !"

La mort de cette jeune femme, la première victime depuis que les tirs de roquettes se sont intensifiés il y a une semaine, a provoqué une immense colère. La population estime qu’après sept ans de harcèlement il est temps que des mesures efficaces soient prises. Le premier ministre israélien, Ehoud Olmert, s’est rendu pour la deuxième fois à Sdérot en moins d’une semaine. "Je comprends votre colère, votre frustration et vos souffrances, a-t-il plaidé. Nous allons continuer à vous protéger, mais vous savez qu’il n’y a pas de solution immédiate et définitive pour les Qassams." Lundi soir, des centaines de manifestants ont convergé vers la mairie en criant : "Olmert, démission !" Des vitres du bâtiment ont été brisées par des jets de pierres. Des jardinières ont été renversées. Des pneus brûlés.

Une secrétaire, Naomi Cohen, raconte que la police a été obligée de venir la délivrer avec sa collègue et que même le maire, Eli Moyal, membre du Likoud, n’est pas parvenu à calmer la colère des protestataires. Dans la salle municipale, les portraits des huit victimes des Qassams sont épinglés au mur ainsi que des treize autres qui ont péri dans des actes terroristes.

"Voilà sept ans que nous vivons dans une zone de guerre et tout le monde s’en fout. Les gens sont furieux. Ils veulent des solutions. Ils veulent pouvoir dormir en paix. C’est un cauchemar dont on ne voit pas la fin. Vous savez, c’est comme la roulette russe, on ne sait pas où cela va tomber. Après l’alerte, on a seulement vingt secondes pour trouver un abri." Naomi Cohen explique que toute la population est touchée. Que ses enfants font pipi au lit. Qu’ils sont "perturbés". "Quels adultes seront-ils ? Les Qassams vont les suivre toute leur vie !"

Cette ville de 24 000 habitants, peuplée en majorité de juifs d’origine marocaine et de russophones, est en train de mourir à petit feu. Le prix des maisons a chuté. Le commerce a périclité. Le chômage s’est amplifié. Plusieurs dizaines de famille ont préféré aller vivre ailleurs. Depuis la recrudescence des attaques (150 roquettes en une semaine), Sdérot s’est vidée. On estime, à la mairie, que près du tiers de la population a fui.

Le ministère de la défense a organisé des convois de bus. Arcadi Gaydamak, le millionnaire russe, a affrété des autocars pour que ceux qui le désirent puissent aller respirer au calme. Il a offert de financer à hauteur de 50 millions de dollars le renforcement des habitations.

"Je refuse de partir, s’insurge Jocelyne Pariente. Se sauver, c’est donner la victoire aux Arabes." Ilan Ezran ne cache pas que, s’il avait la possibilité de s’en aller, il le ferait, mais sa maison ne vaut plus rien. Avec quelques autres, il a conduit Shirel Friedman à sa dernière demeure. Ils étaient à peine 300. Le rabbin demande avec insistance que le gouvernement agisse.

Ronie Bar-On, le ministre de l’intérieur, est encadré par des policiers. La tombe à peine refermée, les critiques fusent. Le maire s’esquive. Les cris s’amplifient : "Incapable. Go home. Démission." Les forces de l’ordre tentent de calmer la colère. Le ministre monte dans sa voiture sous les huées. Deux hélicoptères tournent dans le ciel. Aucune sirène n’a retenti.


Michel Bôle-Richard

Le « Gaydamakland » recueille les Israéliens visés par les roquettes Qassam

Un milliardaire héberge les réfugiés de Sdérot

« Voilà des années que nous ne dormons plus sans trembler à cause des Qassam. Nous n’en pouvons plus. » Ouvriers dans une usine de Sdérot touchée à plusieurs reprises par les roquettes palestiniennes tirées de la bande de Gaza, Albert et Nehama Sheetrit font partie des 11000 habitants de cette ville israélienne qui ont choisi de s’installer provisoirement ailleurs. Certains sont hébergés dans des centres récréatifs de l’armée, mais d’autres - c’est le cas des époux Sheetrit - se retrouvent dans une cité de tentes blanches installée à Ganei Yehoshua, un grand parc public de Tel-Aviv, par le milliardaire russo-israélien Arkady Gaydamak.

Repas gratuits, école...

Leader du mouvement Justice sociale lancé au début de l’année pour appuyer sa candidature à la mairie de Jérusalem, Arkady Gaydamak avait déjà créé un village semblable durant la deuxième guerre au Liban l’été dernier. De 7000 à 10000 habitants du nord d’Israël s’y étaient réfugiés chaque semaine afin d’échapper aux roquettes du Hezbollah. Plus récemment, palliant les carences de l’administration de l’Etat hébreu, le milliardaire a également financé une fête géante à l’occasion du 59e anniversaire de l’indépendance du pays et il s’est engagé à faire blinder à ses frais plus de 3450 appartements modestes de Sdérot.

Les Israéliens savent leur bienfaiteur inculpé par la justice française pour sa participation alléguée à un trafic d’armes avec l’Angola, mais ils ne posent pas de questions sur l’origine de sa fortune. Ils acceptent ce qu’il leur donne avec reconnaissance. Au « Gaydamakland », les mille pensionnaires reçoivent trois repas gratuits par jour, et les enfants bénéficient d’un soutien scolaire dispensé par des enseignants. Des spectacles, des excursions et des activités festives sont organisés sans que les bénéficiaires ne déboursent le moindre centime. Budget de l’opération ? Trois cent mille dollars par jour, selon l’entourage du milliardaire.

« Que Gaydamak ait des ambitions politiques et qu’il dépense beaucoup pour les satisfaire n’est un secret pour personne », lâche un autre pensionnaire du village dont l’épouse a été légèrement blessée par des éclats de Qassam. « Certes, cet homme ne parle pas l’hébreu, mais je voterai pour lui s’il se présente à la Knesset car il a réalisé en quelques jours ce que les politiciens nous promettent depuis des années. Rien que pour cela, il mérite notre plus profond respect. »

Serge Dumont

Patrick Saint-Paul, envoyé spécial à Sdérot - Le Figaro, le 24 mai 2007
Michel Bôle-Richard, envoyé spécial à Sdérot - Le Monde, le 23 mai 2007
Serge Dumont, correspondant à Tel-Aviv - Le Temps, le 26 mai 2007


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