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Les Hariri financent « al-Qaida », mais c’est pour la bonne cause

vendredi 25 mai 2007 - 14h:40

Loubnan ya Loubnan

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Révélation étonnante, aujourd’hui, dans l’éditorial de Michael Young dans le Daily Star. Pour ceux qui ne le connaissent pas, il s’agit d’un des nombreux propagandistes du clan Hariri : ses éditoriaux sont proprement illisibles. Lire un éditorial de Michael Young, c’est en gros lire un communiqué officieux de la maison Hariri ; c’est le seul intérêt.

Comme je le rappelais dans mon (long) billet d’hier, l’article de Seymour Hersh dans le New Yorker du 5 mars dernier, intitulé « The Redirection » (Iran-Irak : la volte-face des Etats-Unis) est désormais le texte le plus commenté au Liban et sur l’internet libanais.

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Beaucoup de jeunes Palestiniens du camp de réfugiés de Nahr al-Bared auraient été recrutés par Fatah al Islam - Photo : AFP

Avant même que le Fatah al-Islam ne fasse la Une des médias (pour les attentats près de Bikfaya, puis pour les affrontements actuels avec l’armée libanaise), Seymour Hersh indiquait nommément ce groupe comme un exemple de groupe sunnite islamiste financé et armé par le clan Hariri pour contrer le Hezbollah.

Aujourd’hui, Michael Young, porte-flingue du clan, réplique. Il commence par débiner l’article de Hersh, sur l’unique paragraphe qui concerne le financement du Fatah al-Islam, au motif qu’il n’est pas suffisamment sourcé. Et finalement, affirmant que Hersh ment en accusant le clan Hariri d’avoir financé ce groupe, il élabore une théorie encore moins fondée et sourcée pour affirmer qu’il s’agit en réalité d’une action syrienne.

Cependant, au milieu de cette « démonstration », Michael Young affirme ceci :

"Le mensonge selon lequel le gouvernement a financé le Fatah al-Islam a été légitimé par une gaffe spectaculaire du camp Hariri, en particulier de Bahiya Hariri [NdT : la s ?ur de feu Rafik Hariri]. Il y a quelques mois, elle a aidé à résoudre une crise qui résultait de la présence d’islamistes dans le district de Taamir de Sidon, adjacent au camp palestinien d’Ein al-Hilweh, en payant un dédommagement aux militants du Jund as-Sham pour qu’ils quittent la région. Du point de vue étroit de Sidon, que Bahiya Hariri représente au parlement, c’est logique. Taamir était une entrave aux relations entre l’État et les habitants de la région d’un côté et les Islamistes et les résidents du camp de l’autre. Cependant, au lieu de se disperser, un certain nombre de militants se sont rendus à Nahr al-Bared, selon des sources palestiniennes. Là, ils ont rejoint le Fatah al-Islam. Maintenant les Hariri semblent avoir financé des islamistes, alors qu’ils se sont contentés de faire ce qu’ils font habituellement face à un problème : essayer de le résoudre en l’achetant."

Ainsi, le clan Hariri admet, par son porte-parole officieux Michael Young, avoir au moins une fois donné de l’argent à un groupe islamiste, le Jund as-Sham, dont les membres ont ensuite rejoint le Fatah al-Islam. C’était une « gaffe », justifiée par la volonté de bien faire dans le cadre de la défense d’une petite circonscription locale (Sidon, ville côtière au Sud de Beyrouth, nommée Saïda en arabe, fief historique des Hariri).

Ah oui mais non... Parce que si on commence à fréquenter le Jund as-Sham et le camp de Ein al-Hilweh, alors on va commencer à fréquenter du bizarre, du louche, du pas correct... Le genre avec lequel on ne fait pas de « gaffe ».

Avant de commencer, je tiens à introduire ici un énorme AVERTISSEMENT AU LECTEUR. Nous entrons dans le domaine de l’occulte, de la barbouserie et de la manipulation. Chaque fait ou relation, dès lors, n’est plus étayé que par une seule source, dont la fiabilité n’est jamais assurée, et dont la déclaration a toujours un but plus ou moins caché. L’internet permet avec une facilité déconcertante de se livrer à ce genre de jeu de piste, et dans ces moments on se laisse facilement emporter par un enthousiasme dangereux. Le piège classique consistant à valider une conclusion décidée en amont en établissant une collection de liens.

Le but de ce qui suit n’est donc pas de démontrer autre chose que ceci : la révélation de Young (une membre très importante du clan Hariri a donné de l’argent à un groupe islamiste, et ce groupe islamiste a rejoint l’actuel Fatah al-Islam) est en réalité une ouverture sur un monde bizarre, nauséabond et malsain de faux-semblants et de manipulations.

Cette précaution prise, commençons...

Le lecteur anglophone est invité à lire le billet de l’indispensable blog de Joshua Landis (une autre bête noire de l’éditorialiste Michael Young), Syria Comment : « Ahmed Abu Adas, Jund al-Sham and Mossad ? ». Ce billet de juin 2006 a visiblement inspiré un célèbre texte de Jürgen Cain Külbel mais, à l’inverse de ce dernier, le billet sur Syria Comment se garde bien de tirer des conclusions explicites. Pour les sources, voir ce billet.

Du Fatah al-Islam, l’éditorial de Young permet de remonter au Jund as-Sham, « L’armée du Levant », dont le nom est une référence à la grande région qui a donné son nom à Damas (Sham en arabe) ; malgré son nom, ce groupe n’est pas pro-syrien. Plusieurs articles de presse le mentionnent d’ailleurs comme étant « Al-Qaeda au Liban ». Quelques informations sur ce groupe sont disponibles sur Wikipedia (la traduction que l’on y trouve, « Armée de la Grande Syrie », prête à confusion ; les tenants de la Grande Syrie au Liban - PSNS -, n’utilisent pas à ma connaissance le terme « Sham », mais « Sourya », sont laïcs, et n’ont rien à voir avec ce groupe islamiste.). Il serait ainsi l’auteur de l’attaque de septembre 2006 contre l’ambassade américaine à Damas, que les services syriens ont empêché suite à des combats très violents. La répression syrienne contre ce groupe, en 2005, était si violente qu’Amnesty International s’en est ému. Il serait responsable d’un attentant en 2004 à Beyrouth qui a tué un responsable du Hezbollah. Bref, ce groupe semble difficilement à placer du côté des « pro-syriens »...

Accessoirement, le Jund as-Sham est sur la liste des organisations terroristes émise par la Russie. Il n’est pas sur la liste des organisations terroristes étrangères du Département d’État étatsunien d’octobre 2005.

Selon le billet de Syria Comment, le Jund as-Sham aurait accueilli, à Ain al-Hilweh, les membres survivants du groupe de Dinniyeh, dont le dirigeant Bassam Ahmad al-Kanj, avait été tué.

Bassam Ahmad al-Kanj aurait été le professeur religieux du Sheikh Abu Obeida, sous-chef des groupes Asbat al-Ansar et Jund as-Sham.

Par ailleurs, parmi les membres du groupe de Dinniyeh, on trouve Ahmed Salim Mikati et Ismail al-Khatib. Ces hommes étaient les employeurs, dans un magasin d’ordinateur, du Palestinien Abu Adas. Par ailleurs, le Sheikh Abu Obeida (haut responsable du Jund as-Sham) est cité dans le premier rapport Mehlis comme ayant été en relation avec Abu Adas (le rapport écarte cependant cette relation, jugeant ses sources peu fiables).

Abu Adas a revendiqué, dans une cassette diffusée sur al-Jazeera, l’assassinat de Rafik Hariri. Thèse écartée par la commission d’enquête,

Le Jund as-Sham aurait revendiqué en mars 2005 trois des quatorze attentats sur lesquels enquête la commission. En octobre 2005, il a menacé de mort le juge Mehlis.

Toutes ces informations décrivent une « mouvance », un réseau de relations autour du Jund as-Sham, en rapport connu avec l’assassinat sur la mort de Rafik Hariri et la commission d’enquête. C’est donc à ce groupe, qui a ainsi publiquement menacé de mort le juge Mehlis en 2005 (information révélée par al-Mustaqbal, le quotidien du clan Hariri), que la femme de Rafik Hariri a donné de l’argent « il y a quelques mois »...

Le billet de Syria Comment devient encore plus inquiétant lorsqu’il évoque le Sheikh Jamal Khattab, décrit comme travaillant avec le Sheikh Abu Obeida (haut responsable du Jund as-Sham). Selon le Times de juin 2006, Sheikh Jamal Khattab est un imam suspecté d’avoir recruté des combattants arabes pour al-Qaeda en Irak. Il était par ailleurs imam à Ain al-Hilweh et leader islamiste.

Ce représentant de notre désormais élargie « mouvance » al-Qaeda à Ain al-Hilweh a un frère : Hussein Khattab.

Accrochez-vous. Hussein Khattab a été arrêté en juin 2006 : il dirigeait un réseau d’espionnage du Mossad israélien au Liban. Il aurait ainsi été suspecté du meurtre de Jihad Ahmad Gibril en 2002 et libéré sur pressions de son frère le Sheikh Jamal Khattab.

Comme je l’écrivais en juillet 2006 : « Un autre événement aura échappé à nos médias occidentaux. Le 13 juin 2006 (oui, il y a à peine un mois), les Libanais ont démantelé un réseau terroriste agissant pour le compte du Mossad :»

« Les services de renseignements de l’armée libanaise ont arrêté Mahmoud Rafeh, à l’origine de l’assassinat des frères Majzoub membres du Djihad Islamique le 26 mai dernier, à Saïda. Cet ancien FSI recruté par le Mossad a reconnu être impliqué dans d’autres attentats à la voiture piégée qui ont eu lieu au cours des dernières années. L’armée qui a saisi de nombreuses preuves à conviction au domicile de Rafeh a afirmé que d’autres membres de ce réseau terroriste avaient été arrêtés.
Ces derniers avaient effectué des stages de formation en Israël, une fois opérationnels, ils recevaient le matériel de communication et d’espionnage sophistiqué pour exécuter les ordres du Mossad. Ainsi, l’attentat contre les frères Majzoub à Saïda et l’assassinat de deux responsables du Hezbollah et de Jihad Ahmad Gibril, fils d’Ahmad Gibril (chef prosyrien du FPLP-CG) sont à mettre au compte de ce réseau, d’après les aveux de Rafeh. »

Malgré ces relations extrêmement inquiétantes et bizarres, la s ?ur de Rafik Hariri a donné de l’argent au Jund as-Sham « il y a quelques mois », lequel aurait pris l’argent et a rejoint le Fatah al-Islam près de Tripoli.

Encore une fois, il faut un cynisme absolu et assumer un beau déni de réalité pour pouvoir prétendre qu’il s’agit d’une « gaffe », qui serait logique « du point de vue étroit de Sidon ».

Loubnan ya Loubnan, le 24 mai 2007
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