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Ehoud Olmert et les quarante voleurs

mardi 22 mai 2007 - 06h:51

Jacques Bertoin - Jeune Afrique

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Escroquerie, corruption, abus sexuels... Depuis quelques mois, « affaires » et mises en examen se multiplient au sein de la classe dirigeante.

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Ehud Olmert se réjouissant de tous ses coups tordus ?

Est-ce - comme l’espère encore l’écrivain David Grossman - le signe d’un « miracle israélien » qui porterait témoignage du bon fonctionnement de la démocratie au coeur du Moyen-Orient ? Une police et une justice particulièrement efficaces, aidées par une presse libre qui rend compte des déboires des puissants sans se laisser intimider, manifesteraient un zèle redoutable en sanctionnant toutes les fautes, quels qu’en fussent les auteurs ou leurs éventuelles circonstances atténuantes dans un pays traumatisé par les conflits.

D’où ces multiples « affaires » et ces mises en examen qui s’abattent comme nuées de sauterelles sur les dirigeants de Tel-Aviv.

Ou bien, au contraire, comme d’autres l’affirment, observe-t-on là un symptôme de la gravité du « mal israélien » ? Soit la contamination du haut personnel politique - majoritairement classé à droite - par cette impunité dont certains bénéficient dans leurs rapports avec les Palestiniens des Territoires occupés, qui leur feraient perdre tout sens de la mesure en les incitant à se comporter en spadassins y compris avec les leurs et jusque dans les bureaux de leurs propres administrations...

Ou encore s’agit-il seulement, dans cette « atmosphère empoisonnée créée par les médias », d’une « exagération grossière », comme le Premier ministre Ehoud Olmert s’en irritait dans les colonnes de L’Express au mois d’avril ? Toujours est-il que l’État hébreu fait de plus en plus figure de véritable pays de Cocagne pour les cabinets d’avocats, nombreux et prospères, et les paparazzi de la presse écrite et audiovisuelle, tandis que les procureurs - au premier rang desquels le justicier Menahem Mazouz, souvent bien isolé - s’épuisent à nettoyer les écuries d’Augias.

Les « anciens »

Ils témoignent que si le ballet des délits et des inculpations a vu depuis quelques mois son rythme s’accélérer de manière spectaculaire, affaires de moeurs et scandales financiers ne datent pas d’hier dans la fonction publique, fût-elle la plus haute. Pour n’en évoquer que quelques-uns parmi ceux qui sont encore dans toutes les mémoires :

- En 1977, Itzhak Rabin, alors Premier ministre, est acculé à la démission après que la presse eut révélé que sa femme détenait un compte en dollars dans une banque américaine, contrevenant ainsi clairement à la réglementation monétaire de l’époque.

- Au mois de janvier de cette même année, le ministre du Logement, Avraham Ofer, accusé d’avoir détourné des fonds, se suicide en laissant une longue note dans laquelle il avoue sa honte tout en protestant de son innocence.

- En juillet 2000, le président de la République Ezer Weizman, héros de l’aviation israélienne et personnalité emblématique de la fondation de l’État hébreu, démissionne après avoir piteusement tenté d’échapper à la justice qui lui reproche, pour un total de plusieurs centaines de milliers de dollars, des mensualités encaissées de 1987 à 1993 sur le compte d’un homme d’affaires français. Weizman mourra déshonoré cinq ans plus tard, mais sans avoir été inculpé.

- En 2001, le général Itzhak Mordechaï, ancien ministre de la Défense, est condamné à dix-huit mois de prison (avec sursis) au terme d’un « Clintongate » dans lequel deux jeunes filles de son ministère, qui se plaignent d’avoir subi de sa part des offensives par trop déterminées, jouent les « Monica Lewinsky » avec un succès médiatique comparable à celui de leur modèle.

- À la même date, Aryeh Deri, le jeune leader charismatique du parti séfarade ultraorthodoxe Shass, purge une peine de prison pour des faits de corruption commis alors qu’il était ministre de l’Intérieur.

- Peu de temps avant d’être emporté par une attaque cérébrale le 4 janvier 2006, le Premier ministre Ariel Sharon avait lui-même été inquiété, ainsi que son fils Omri, dans une affaire de faux et usage de faux liée au financement du Likoud, le parti de droite dont il venait de prendre la tête : faute de preuve, l’implacable procureur Mazouz avait été contraint de renoncer à l’inculper.

En revanche, il avait pu se rattraper en poursuivant Gilad, l’autre fils de Sharon, pour des pots-de-vin reçus en paiement de ses efforts afin de faire aboutir un projet touristique privé en Grèce. Une manière peu élégante de rentabiliser le poids diplomatique que lui conférait alors sa situation familiale.

Les ripoux

Tous n’ont pas été jugés, ni condamnés, mais tous sont poursuivis par le procureur général Mazouz pour des faits bien établis qui devraient leur coûter, sinon leur liberté, du moins leur carrière.

- Avigdor Lieberman, qui a été interrogé le 22 avril à propos d’un compte en banque chypriote alimenté par des fonds d’origine suspecte, est le dernier venu au club. Et ce n’est pas n’importe qui : ministre des Affaires stratégiques dans le gouvernement Olmert, leader populaire et populiste du parti d’extrême droite Israël Beitenou, célèbre pour la brutalité de ses prises de position antipalestiniennes, Lieberman pourrait profiter des vagues que produira le rapport, politique celui-là, de la commission Winograd, pour s’éclipser du gouvernement et tenter de faire oublier ses frasques passées.

- Avraham Hirshson, soupçonné de « vol et fraude avec circonstances aggravantes » dans le cadre de la gestion - si l’on peut dire... - du syndicat de droite qu’il dirigeait en 2003, est le ministre des Finances de l’État d’Israël, excusez du peu. Il s’est mis en vacances pour trois mois (ce qui ne fait pas forcément... l’affaire du Premier ministre, contraint d’assurer un intérim délicat en ces temps troublés) afin de mieux répondre aux multiples interrogatoires auxquels le soumet le service d’investigations financières de la police.

- Place aux femmes : Shoula Zaken, la directrice de cabinet d’Olmert et l’une de ses plus proches collaboratrices, est impliquée, avec une vingtaine d’anciens collègues du Likoud, dans une affaire complexe d’où il ressort que les nominations effectuées à la tête de l’Office des impôts n’ont été ni tout à fait régulières, ni tout à fait désintéressées.

Certains commentateurs israéliens vont jusqu’à évoquer l’existence d’un « réseau mafieux du fisc » que l’infatigable Menahem Mazouz s’efforce de démanteler. Un objectif d’autant plus difficile à atteindre que la police n’est pas, elle non plus, à l’abri des critiques : après la démission de son chef, au mois de février dernier, c’est le chef des services pénitentiaires, Yaakov Ganot, qui a été choisi pour restaurer la sérénité et la « confiance des citoyens dans leur police ». Or, bien que celui-ci, orfèvre de « l’absence de preuves suffisantes », ait toujours été acquitté par la justice, c’est tout de même un habitué des prétoires. Le procureur Mazouz va bien devoir composer et agir avec lui, en dépit de ses inculpations pour corruption, escroquerie, abus de confiance et de position dominante, etc., qu’il ne s’était pas privé de rappeler dans une lettre au ministre de la Justice pour tenter de barrer la route à ce flic ripoux !

- Dans la même veine, le président de la très puissante commission des Affaires étrangères et de la Défense à la Knesset, ancien ministre de Netanyahou et de Sharon, Tsahi Hanegbi, déjà en butte à diverses enquêtes policières et judiciaires pour prévarication et abus de confiance, est accusé d’avoir outrepassé les règles de la solidarité politique et amicale en créant une série d’emplois fictifs au profit de ses affidés, notamment au ministère de l’Environnement, quand il en détenait le portefeuille (1999-2003).

- Les mésaventures de l’ancien chef d’état-major de l’armée israélienne, le général Dan Haloutz, illustrent bien, elles aussi, de quelle manière la morgue d’un individu et l’assurance sans limites que lui confère le privilège de la force peuvent conduire à des pratiques inacceptables dans n’importe quel État de droit. Chef de l’aviation israélienne, artisan des « éliminations ciblées » en Palestine occupée, celui qui avait qualifié de « traîtres » les pilotes de chasse ayant refusé d’opérer des raids sur des quartiers peuplés de Gaza et qui a repris ses vêtements civils pour attendre le verdict de la commission Winograd sur les erreurs qu’il a commises en 2006 dans l’offensive de Tsahal au Liban, avait pris le soin, trois heures après la capture des deux soldats israéliens par le Hezbollah, d’aller vendre en Bourse un portefeuille d’actions dont il prévoyait, en bon « initié » qu’il était, que le cours ne tarderait pas à s’effondrer après le déclenchement des hostilités.

- À tout seigneur, « l’honneur » de clore cette liste, qu’on aurait pu allonger sans peine et dont chaque jour apporte la preuve qu’elle reste largement ouverte : le Premier ministre lui-même a maille à partir avec la justice. Sa réputation d’affairiste et son habileté à se glisser dans les mailles des enquêtes sont à tel point établies que le quotidien israélien Haaretz l’a qualifié de « suspect en série » ! Pour faire court, nous nous bornerons à rappeler ici que Mazouz (encore lui !) ne lâche pas Olmert dans l’affaire de la privatisation de la banque Leumi, alors que ce dernier était ministre du Commerce et de l’Industrie : il aurait intrigué pour faire en sorte que l’appel d’offres soit (re)taillé sur mesure afin de convenir à un « ami », le magnat australien Frank Lowy, candidat à la reprise de la banque avant de se désister sans autre forme de procès !

Cette affaire s’ajoute à d’autres, qui conduisent régulièrement Mazouz, accompagné cette fois de son épouse Aliza, dans le bureau du redoutable contrôleur de l’État Micha Lindenstrauss pour des affaires de transactions immobilières suspectes, comme par exemple le « rabais exorbitant » dont le couple aurait bénéficié lors de l’achat d’un nouvel appartement à Jérusalem. Cinq cent mille dollars, qui sont venus s’ajouter à la très bonne affaire conclue avec un businessman américain pour la location et la vente d’un autre appartement, comme si, décidément, la vie publique en Israël était à ce point étale qu’elle laissait tout loisir à ses plus hauts responsables de consacrer tout leur temps à leurs petits commerces.

Last but not least, le procureur Mazouz, décidément très gâté, a reçu, le 25 avril, un cadeau de Lindenstrauss sous la forme d’un rapport d’une trentaine de pages mettant en cause le comportement d’Ehoud Olmert alors qu’il était ministre de l’Industrie et du Commerce. Il est reproché au Premier ministre d’avoir procédé dans l’intérêt de sa propre carrière politique à des nominations abusives dans le cadre de l’Autorité des PME et d’avoir distribué des subventions douteuses, de quoi inciter le contrôleur à demander à son collègue procureur de diligenter l’ouverture d’une enquête pénale.

Harceleurs et violeurs

Israël, nation chantre de l’émancipation féminine où les filles sont réputées n’avoir pas froid aux yeux et les hommes censés respecter au moins leurs épouses, leurs mères et leurs soeurs, n’échappe pas pour autant aux effets délétères du chaud soleil du Sud. D’où ces dérapages libidineux où les rapports de pouvoir, en donnant corps à des pulsions douteuses, fournissent là encore bien du grain à moudre au puritain Mazouz.

À l’été 2006, Haïm Ramon, ancien secrétaire général du Parti travailliste converti à Kadima, la formation centriste dont Ehoud Olmert avait hérité d’Ariel Sharon, en était l’un des dirigeants les plus écoutés. La preuve : il fut nommé ministre de la Justice.

Quelques mois plus tard, ce ne sont plus que « 120 heures de travail obligatoire au service de la communauté » que Ramon, redevenu simple citoyen, exécute pour le compte de son ex-ministère... Entre le Capitole et la roche Tarpéienne, une langue, que cet apôtre du « big bang » (l’éclatement de la classe politique israélienne) n’avait certes pas dans sa poche puisqu’il avait tenté de l’introduire dans la bouche d’une jeune soldate lors d’un pot à la primature. Si une telle sanction peut sembler lourde s’agissant d’un French Kiss un peu appuyé, on doit noter la date du délit - le jour du déclenchement des hostilités au Liban contre le Hezbollah - et surtout les maladresses accumulées dans sa défense par ce wonderboy qui s’était toujours refusé à croire qu’une jeune femme pût être sincère en déclarant n’avoir aucune envie d’offrir ses lèvres aux hommages humides d’un courtisan aussi séduisant que lui ! Solidarité féminine oblige, Tzipi Livni, la ministre des Affaires étrangères, tout en gratifiant le coupable de ses « regrets », en a profité pour déclarer sa « confiance totale dans le système judiciaire de son pays ».

Mais il manquait à cet inventaire un morceau de choix. Le voici, en la personne de l’autorité morale de l’État d’Israël, le président de la République Moshe Katsav, qui fait l’objet d’une inculpation pour « viol et harcèlement sexuel », laquelle l’a amené à « se suspendre » provisoirement de ses fonctions pour échapper à la démission que beaucoup lui réclament. Par bonheur pour le système politique israélien, qui n’avait certes aucun besoin d’un tel imbroglio, le mandat de Moshe Katsav arrive à expiration en juillet et la Knesset n’a donc pas manqué d’étendre son « indisponibilité » jusqu’à cette date...

Ce jeune sexagénaire né en Iran, qu’on qualifiait de « prince du Likoud » au temps de sa splendeur, avait cru judicieux de porter plainte pour chantage et extorsion de fonds contre une de ses anciennes collaboratrices. Celle-ci n’eut aucun mal à prouver, au cours de l’enquête, que le président l’avait forcée à des rapports sexuels en menaçant de la renvoyer si elle refusait ses avances... Contre l’argumentation de tous les conseillers de Katsav qui tentent d’obtenir un traitement de faveur pour leur client compte tenu de son statut symbolique, Menahem Mazouz a choisi d’adopter une attitude particulièrement intransigeante vis-à-vis de celui qui risque de trois à seize années de prison.

Il va de soi qu’une telle succession d’affaires en tout genre ne peut que fragiliser une classe politique israélienne dont différents protagonistes se retrouvent sur la sellette, pour des erreurs commises dans l’exercice de leur « métier », cette fois. Ainsi en est-il de la commission Winograd, nommée par le Premier ministre pour déterminer les causes et les responsabilités de la guerre de 2006 au Liban, dont le prérapport vient d’être publié.

On y retrouve bien sûr, avec des appréciations variées et à des titres divers, les noms de la plupart de ceux que le procureur général tient aujourd’hui dans sa ligne de mire. Sans doute ceux-là auraient-ils préféré, à l’heure du jugement de l’Histoire, n’avoir pas été préalablement inquiétés par la justice des hommes.

Jacques Bertoin, envoyé spécial - Jeune Afrique, le 6 mai 2007


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