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Le « sale boulot » d’Israël dans la « guerre sale » au Guatemala

samedi 28 janvier 2017 - 16h:18

Gabriel Schivone

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L’année dernière a été une année chargée pour le système de justice pénale au Guatemala.

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Doris Yamilet Meza Zavala, du Honduras, réconforte Irma Yolanda Perez, du Guatemala, alors qu’elles commencent leur voyage avec les 40 autres mères et pères à la recherche de leurs proches disparus - Photo : Julysa Sosa. Mexique, décembre 2016

Janvier 2016 a vu les arrestations de 18 anciens militaires pour leur implication présumée dans la guerre sale du pays dans les années 1980. En février de l’année dernière, deux ex-soldats ont été condamnés dans un cas d’esclavage sexuel sans précédent et qui concernait la même époque.

Ces procédures judiciaires représentent de nouvelles avancées dans le système judiciaire à la suite du procès et de la condamnation de l’ancien chef de l’État, Efraín Ríos Montt, pour génocide et crimes contre l’humanité. Bien que la Cour constitutionnelle guatémaltèque ait très vite annulé le jugement (qui a été relancé en mars après plusieurs péripéties), un précédent au niveau mondial s’est imposé en tenant des responsables étatiques responsables dans le pays même où leurs crimes ont été commis.

Et en novembre, un juge guatémaltèque a autorisé un procès distinct contre Ríos Montt. L’affaire concerne un massacre commis en 1982 dans le village de Dos Erres.

Ríos Montt a été président de 1982 à 1983, une période marquée par une intense violence étatique contre les peuples indigènes mayas. La violence incluait la destruction de villages entiers avec des déplacements massifs de population.

Les Mayas ont été ciblés à de nombreuses reprises pendant la période de répression qui a commencé en 1954, date à laquelle les États-Unis ont provoqué un coup d’État militaire, et s’est poursuivie jusqu’en 1996. Plus de 200 000 personnes ont été tuées au Guatemala durant cette période, dont 83% étaient des Mayas.

Les crimes commis par l’État guatémaltèque ont été exécutés avec une aide étrangère - en particulier américaine. Mais une partie clé de ces crimes a jusqu’ici échappé à toute mention devant les tribunaux, et c’est Israël.

Servir de relais pour les guerres des États-Unis

Depuis les années 1980 jusqu’à nos jours, le rôle militaire d’Israël au Guatemala demeure un secret de polichinelle, bien documenté mais peu évoqué.

Ríos Montt a déclaré à un journaliste de ABC News que son coup d’État avait été si peu attendu "parce que beaucoup de nos soldats ont été formés par des Israéliens". En Israël, la presse a indiqué que 300 conseillers israéliens étaient sur le terrain pour entraîner les soldats de Ríos Montt.

Un conseiller israélien au Guatemala à l’époque, le lieutenant-colonel Amatzia Shuali, a déclaré : "Je n’aime pas ce que font les païens avec les armes. Mais ce qui importe, c’est que les juifs en profitent ", comme l’ont raconté Andrew et Leslie Cockburn dans Dangerous Liaison.

Quelques années plus tôt, lorsque les restrictions du Congrès sous l’administration Carter limitaient l’aide militaire américaine au Guatemala en raison des violations des droits de l’homme, les responsables israéliens ont vu là une occasion économique en or d’entrer sur ce marché des technologies militaires.

Yaakov Meridor, alors ministre israélien de l’économie, indiquait au début des années 1980 qu’Israël voulait être un "proxy" (relais) pour les États-Unis dans les pays où ceux-ci avaient décidé de ne pas vendre ouvertement des armes. Meridor avait déclaré : "Nous allons dire aux Américains : Ne nous concurrencez pas à Taïwan, ne rivalisez pas avec nous en Afrique du Sud ni dans les Caraïbes ou dans d’autres endroits où vous ne pouvez pas vendre des armes directement. Laissez-nous faire ... Israël sera votre intermédiaire."

Le programme CBS Evening News avec Dan Rather a tenté d’expliquer la source de l’expertise mondiale d’Israël en notant en 1983 que les armes avancées et les méthodes israéliennes anti-guérilla mises en œuvre au Guatemala "avaient été testées avec succès en Cisjordanie et dans la bande de Gaza."

La force de vente d’Israël pour ses armes reposait non seulement sur leur utilisation en Cisjordanie occupée et à Gaza, mais aussi dans la région à plus grande échelle. Le journaliste George Black a indiqué que les milieux militaires guatémaltèques admiraient la performance de l’armée israélienne lors de l’invasion du Liban en 1982. Leurs admirateurs à l’étranger étaient si convaincus que la droite au Guatemala "parlait ouvertement de la ’palestinisation’ des Indiens mayas rebelles", selon Black.

La coopération militaire entre Israël et le Guatemala remonte aux années 1960. Durant la dictature de Ríos Montt, Israël était devenu le principal fournisseur d’armes, de formation militaire, de technologie de surveillance et d’autres services au Guatemala dans la guerre étatique contre les mouvements urbains de résistance armée et les indigènes Mayas dans les campagnes.

De nombreux Guatémaltèques ont souffert des résultats de cette relation spéciale, et ils n’ont pas manqué de faire le lien entre Israël et leur tragédie nationale.

"Un homme d’une grande intégrité personnelle"

L’un des massacres les plus épouvantables commis pendant cette période a été la destruction du village nommé Dos Erres, du district El Petén. Les soldats - entraînés par le Israéliens - de Ríos Montt ont incendié Dos Erres, après avoir abattu tous ses habitants. Ceux qui ont survécu à l’attaque initiale sur le village ont eu le crâne brisé à coups de marteau. Les cadavres remplissaient le village.

Lors d’une exhumation dans le village, ordonnée par le tribunal, les enquêteurs travaillant pour la Commission de la Vérité des Nations Unies de 1999 ont écrit ce qui suit dans leur rapport médico-légal : "Toutes les preuves balistiques récupérées correspondent à des fragments de balles tirés d’armes à feu et de fusils de marque Galil fabriqués en Israël".actuelle

Le président américain Ronald Reagan - dont l’administration sera plus tard impliquée dans le scandale de l’Irangate ou "Iran-Contra" pour avoir vendu des armes à l’Iran via Israël dans le but de financer une force paramilitaire visant à renverser le gouvernement marxiste nicaraguayen, - avait rendu visite à Ríos Montt quelques jours avant le massacre.

Reagan fit l’éloge de Ríos Montt, "un homme d’une grande intégrité personnelle" qui "veut améliorer la qualité de vie de tous les guatémaltèques et promouvoir la justice sociale". Reagan a également assuré le président guatémaltèque que "les États-Unis se sont engagés à soutenir ses efforts pour rétablir la démocratie et s’attaquer aux causes profondes de cette insurrection violente." À un moment de leur conversation, Reagan aurait embrassé Ríos Montt et dit au président guatémaltèque qu’il se faisait "trop de soucis" sur les droits de l’homme.

En novembre 2016, cependant, la juge Claudette Dominguez a accepté la demande du procureur général guatémaltèque de poursuivre Ríos Montt en tant qu’auteur légalement responsable du massacre de Dos Erres, l’accusant d’homicide aggravé, de crimes contre l’humanité et de génocide.

Parmi les 18 arrêtés cette année se trouvait Benedicto Lucas García, ancien chef d’état-major de l’armée sous la présidence militaire de son frère Romeo Lucas García. Benedicto, qui a été vu par certains de ses soldats comme d’un innovateur de techniques de torture réservées aux enfants, parlait "du soldat israélien [comme] d’un modèle et un exemple pour nous".

En 1981, Benedicto a dirigé la cérémonie d’inauguration d’une école d’électronique israélienne conçue et financée au Guatemala. Son but était de former les militaires guatémaltèques à l’utilisation des technologies dites de contre-insurrection. Benedicto avait salué l’installation de l’école comme une "étape positive" pour faire accéder le régime guatémaltèque à une "efficacité militaire de classe mondiale grâce aux conseils [d’Israël] et au transfert de la technologie électronique".

Au cours de sa seule année inaugurale, l’école a permis à la police secrète du régime, le G-2, d’attaquer une trentaine de refuges de l’Organisation Révolutionnaire du Peuple en Armes (ORPA).

Le G-2 a coordonné et mis en œuvre l’assassinat, la "disparition" et la torture des opposants au gouvernement guatémaltèque.

Alors que le pouvoir guatémaltèques a souvent changé de mains à la fois par des coups d’État et des élections, au cours des années 1980, Israël est demeuré la principale source d’armes et de conseils militaires du pays.

Belligérance à la frontière

Le complexe israélien de sécurité militaire étend son ombre jusque sur les Guatémaltèques qui fuient encore les conséquences de la "guerre sale".

Dans certaines régions de la frontière entre les États-Unis et le Mexique, comme au Texas, le nombre de migrants venus d’Amérique centrale (mais seulement des pays ravagés par l’intervention américaine, comme le Guatemala, El Salvador, le Honduras) commence à dépasser le nombre du ressortissants mexicains.

Selon les informations communiquées à cet auteur par le bureau médical du comté de Pima en Arizona, de nombreux Guatémaltèques qui ont péri lors de la traversée de ces terres désertiques venaient des communautés mayas les plus durement affectées par le génocide des années 1980 : El Quiché, Huehuetenango, Chimaltenango.

Le sud de l’Arizona a également connu un pic dans la migration indigène guatémaltèque. Des entreprises et des institutions américaines collaborent avec des sociétés de sécurité israéliennes pour renforcer la zone frontalière du sud de l’Arizona.

L’entreprise israélienne d’armes Elbit a remporté un important contrat gouvernemental visant à fournir 52 tours de surveillance dans les régions frontalières désertiques du sud de l’Arizona, à commencer par un programme pilote de sept tours situées à présent parmi les collines et les vallées entourant Nogales, une ville ceinturée par le mur de séparation.

Plus de tours sont prévues pour entourer la Nation Tohono O’odham, la deuxième plus grande réserve de natifs américains aux États-Unis. Déjà, le nombre de forces fédérales occupant des postes permanents sur les terres de Tohono O’odham est le plus important de l’histoire des États-Unis.

Alan Bersin, un haut responsable du Département américain de la Sécurité intérieure, a décrit en 2012 la frontière entre le Guatemala et le Chiapas, au Mexique, comme "maintenant notre frontière sud". Cette "frontière sud" a été lourdement militarisée pendant les huit années du gouvernement Obama.

Nous pouvons nous attendre à ce que la militarisation se poursuive pendant la présidence de Donald Trump. La rhétorique anti-migrants de Trump pendant sa campagne électorale laisse penser que cette militarisation s’intensifiera.

Pendant la guerre sale, des dizaines de milliers de Guatémaltèques ont fui par-delà la frontière vers le sud du Mexique. Aujourd’hui, Israël aide les autorités mexicaines du Chiapas à mener des activités de "contre-insurrection" visant en grande partie la communauté indigène maya.

Bien que les informations sur la relation du Guatemala avec Israël commencent à circuler, les efforts entreprenants d’Israël dans le pays n’ont jamais diminué. Aujourd’hui, la présence d’Israël au Guatemala est particulièrement marquée dans l’industrie de la sécurité privée qui a proliféré dans les années qui ont suivi le dit processus de paix guatémaltèque au milieu des années 1990.

Ohad Steinhart, un Israélien, installé au Guatemala en ce moment opportun, à l’origine travaillant comme un instructeur en maniement d’armes. Environ deux ans après son transfert de 1994 au Guatemala, il a fondé sa propre entreprise de sécurité, Decision Ejecutiva.

La modeste entreprise de 300 employés de Steinhart est petite si comparée au colossal Golan Group, le plus grand et plus ancien conglomérat de sécurité privée d’Israël au Guatemala.

Fondé par d’anciens officiers des forces spéciales israéliennes, le Groupe Golan a également formé des agents d’immigration du Département de la sécurité intérieure le long de la frontière entre les États-Unis et le Mexique. Le Groupe Golan a employé des milliers d’agents au Guatemala, dont certains ont été impliqués dans la répression des protestations environnementales et foncières contre les opérations minières par des entreprises canadiennes. La société a été nommée dans un procès en 2014 par six agriculteurs guatémaltèques et un étudiant qui ont tous été blessés par balles, à bout portant, par des agents de sécurité lors d’une manifestation l’année précédente.

L’utilisation par le Guatemala de formateurs et de conseillers militaires israéliens, tout comme dans les années 1980, se poursuit. Les conseillers israéliens ont ces dernières années, contribué à la "remilitarisation" du Guatemala. La journaliste Dawn Paley a rapporté que des formateurs militaires israéliens se sont à nouveau affichés dans une base militaire à Coban, la ville qui abrite des fosses communes datant des années 1980. Jusqu’à présent, les restes de plusieurs centaines de personnes ont été découverts.

Les charniers de Coban ont servi de base juridique aux arrestations en janvier de 14 anciens militaires. En juin dernier, un juge guatémaltèque a statué que les preuves étaient suffisantes pour que huit personnes arrêtées soient jugées. Les arrestations et les procès à venir sont susceptibles d’aller à leur terme.

Les universitaires Milton H. Jamail et Margo Gutierrez ont documenté le commerce israélien d’armes en Amérique centrale, notamment au Guatemala, dans leur livre publié en 1986 : It’s No Secret : Israel’s Military Involvement in Latin America. Ils ont écrit le titre de cette façon parce que la majeure partie de l’information dans le livre est extraite de sources de médias traditionnels.

Pour l’instant, le rôle bien documenté d’Israël dans les guerres sales du Guatemala est une question peu abordée. Mais les Guatémaltèques savent mieux que quiconque que le long chemin vers la justice commence par la reconnaissance des crimes passés.

Pourtant, il est difficile de savoir combien de temps s’écoulera avant d’entendre parler d’officiels israéliens convoqués au Guatemala pour être jugés pour le rôle repoussant qu’ils ont joué dans les heures les plus sombres du pays.

20 janvier 2017 - The Electronic Intifada - Traduction : Chronique de Palestine - Lotfallah


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