Nahla Chahal

La nette victoire de Nicolas Sarkozy aux présidentielles concerne bien évidemment le mouvement de solidarité avec la lutte du peuple palestinien. Non que ce mouvement soit composé d’hommes et de femmes exclusivement de gauche, ou parce que M. Sarkozy ne cache pas son amitié " inconditionnelle " pour Israël qui « peut compter sur lui » selon les récents échanges de félicitations, mais à cause du sens que porte cette victoire et des conséquences qu’elle risque d’avoir sur l’ensemble de la société.

Le sens d’abord : Cette victoire signifie que la construction systématique de la peur, des peurs, a réussi. Un exemple éloquent, autre que celui, facile, de la diabolisation des étrangers qui, c’est bien connu, s`approprient avec leur familles « polygames » les biens de la société française, « usurpent » les prestations sociales alors qu’ils ne « veulent » pas travailler.

Bref, tout ceci et d’autres évidences sur leur état de racaille qui sera nettoyé - c’est promis - à coup de Karcher (les propriétaires de la marque ont énergiquement et publiquement protesté contre l’utilisation abusive du nom de leur produit qui s’avère être celui de leur famille. Ils se sont donné la peine de publier dans des quotidiens nationaux des encarts publicitaires de grande taille, sur plusieurs jours).

Laissons de côté les étrangers, tout en rappelant que la dite racaille est bien française, et qu’il va falloir « dealer » avec cette donne, la fameuse « immigration choisie » qui elle, saura éviter d’introduire la racaille ne concerne que le futur. A l’heure actuelle, ce qui est là est là, et il ne l’est pas par hasard, pas parce que la France a pratiqué une générosité mal placée, mais à cause de quelques petits événements qui ont généré une « immigration choisie » dans le passé : la colonisation, et les deux guerres mondiales insatiables en main d’ ?uvre corvéable à souhait, chair à canon et dans les mines de charbon et les usines en période d`essor... des détails de l’histoire, quoi !

Trêve de digression, revenons au sujet : Prenons plutôt l’exemple de la précarité rampante. La tactique du néolibéralisme sarkozien est claire, elle ressemble d’ailleurs à celle du grand frère américain, faire paniquer d`abord : la précarité menace d`engloutir dans la misère chaque français-e.

Simplifier ensuite : Il faut des mesures « immédiates » et « précises ».

Vendre l’illusion enfin : la solution est simple, il fallait juste y penser et oser prendre l’initiative. Ne cherchez pas à démontrer l’incohérence et les contradictions de ce plat servi à coups de postures bien étudiées par des coachs. Ne cherchez pas à faire valoir la nécessité de penser de façon globale les véritables causes de cette précarité bien réelle, ainsi que les solutions. Vous avez peur et vous voulez être sauvés. Sinon comment expliquer que dans un pays où les deux-tiers des habitants croient qu’ils peuvent devenir SDF, la majorité élise un candidat qui considère que sa priorité en la matière est de rendre les citoyens propriétaires de leur maison, cela plutôt que l’urgence d`habitations sociales en nombre suffisant. Le candidat Sarkozy a même fustigé cette dernière option qui veut emprisonner les familles dans des logements inadaptés ! Comme s`ils étaient devant le luxe du choix, comme si c’était des préférences.

Les conséquences ensuite : une société menée par la peur est capable de consommer n’importe quoi.

L`invasion de l’Iraq aurait-elle été possible sans le 11 septembre et la mise en scène mensongère d`une menace chimique ou bactériologique iraquienne, et d’un lien tout aussi mensonger avec al Qaeda ? Les responsables politiques reconnaissent plus tard le mensonge, mais ils expliquent en même temps qu’il est déjà trop tard pour faire marche arrière et qu’il faut aller de l’avant, sinon ça va être pire. Qu’en sera-t-il demain en France des conséquences désastreuses sur la paix et la cohésion sociale du traitement sécuritaire (terme poli pour designer la répression violente et un état policier) du problème de l’exclusion et de la ghettoïsation des banlieues, non moins réel que celui de la précarité générale grandissante ?

En quoi tout cela, même vrai, concerne le mouvement de solidarité avec la lutte du peuple palestinien pour ses droits ? Chacun ne devrait-il pas s’occuper de ses propres oignons, bien se tenir dans sa spécificité (autre terme poli pour designer l’exigence de compartimentage et de dispersion poussés à l’extrême, chère à l’idéologie néolibérale).

D`abord parce que ce mouvement appartient à la société française elle-même. Etre un mouvement de solidarité internationale ne signifie pas pratiquer une immigration exotique de l’esprit vers un lieu lointain choisi. C’est plutôt tenter de penser les liens et de les établir entre ici et là-bas, tous les là-bas. L’écosystème planétaire ne concerne pas que l`environnement, et l’impossibilité de cloisonner la pollution au dessus de la tête exclusive des pollueurs ressemble comme deux gouttes d`eau à l’impossibilité de faire n’importe quoi en Palestine, en Iraq, ou ailleurs, et de s’étonner ensuite de l’épidémie d’insécurité qui contamine tout, prenant mille formes. Est-on ou n’est-on pas dans un monde mondialisé ? Encore une fois on nous vend le compartimentage qui accepte la mondialisation du mouvement des capitaux mais refuse celle de la politique, surtout quand elle est pratiquée par des opprimés.

Ensuite parce qu’il s`agit de refuser de succomber à la dégradation morale de ceux qui acceptent que des valeurs à plusieurs vitesses régissent les différentes sociétés selon des considérations qui ne peuvent être que racistes et honteusement égoïstes.

Enfin, parce qu’il est complètement illusoire de croire qu’il y a moyen de gommer les vrais problèmes par l’usage de la force, ou par la négligence qui pousserait au désespoir et à la résignation, ou par la falsification médiatique des faits, qui installe une réalité virtuelle et fabriquée mentalement à la place de la réalité vécue, histoire de vendre à tous les français la belle idée de posséder leur logement alors qu`ils n’arrivent pas du tout à confronter le coût d’un logement modeste et craignent de devenir des SDF.

Ce qui lie ici et là-bas ? Lutter contre la chimère, celle qui prétend que l’Iraq actuel sous occupation et qui baigne dans le sang est un exemple de démocratie à suivre ( !) , que la menace terroriste a régressé, qu’il y a un plan de paix pour la Palestine qu’un mystérieux Quartet appliquera un jour, mais qu’en attendant il ne faut pas « focaliser » sur la misère du peuple palestinien, sur l`extension des colonies, sur la croissance du nombre des prisonniers etc...Et ils vous disent qu`ils sont réalistes !

N.B. Un dernier mot quand même : le libéralisme sarkozien est complètement décalé. Les catastrophes causées par son exemple-type américain dans tous les domaines, y compris économiques et sociaux, et pas seulement concernant la guerre permanente, font que l’opinion publique américaine rebrousse chemin et revient vers l’exigence de délimiter la jungle ainsi établie. Berlusconi a été désavoué et Aznar aussi. Même Blair cède la place à plus de modération. Ce sont là des expériences dont les leçons ont déjà été tirées. Faut-il que la France soit toujours en retard de deux décennies sur les autres ?

* Nahla Chahal est coordinatrice de la CCIPPP - Campagne Civile Internationale pour la Protection du peuple Palestinien

15 mai 2007 - CCIPPP - Vous pouvez consulter cet article à :
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