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L’implosion du centrisme

vendredi 18 mai 2007 - 06h:37

Michel Bôle-Richard - Le Monde

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Deux mois après le retrait israélien de Gaza, le 12 septembre 2005, qui mettait fin à 38 ans d’occupation militaire et de présence de colons, Ariel Sharon décide de profiter de l’avantage politique que lui donne cette évacuation pour lancer son propre parti.

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Le premier ministre israélien Ariel Sharon, fondateur du parti centriste Kadima, lors d’une conférence de presse, le 21 novembre 2005 (Ph. AP/Emilio Morenatti)

Annoncée le 21 novembre, cette rupture n’a pas été une surprise. Le rapatriement forcé de 8 000 colons avaient provoqué d’énormes dissensions au Likoud (droite nationaliste). Une frange importante, menée par l’ex-premier ministre Benyamin Nétanyahou, n’a jamais accepté ce qu’elle considère comme une trahison des idéaux de la formation fondée en 1973 par Menahem Begin. Ce 21 novembre, M. Sharon demande la dissolution de la Knesset (Parlement). Quelques jours plus tard, il lance son parti, Kadima ("En avant"). Celui-ci se veut "centriste" et attire, dès le départ, des personnalités travaillistes comme Shimon Pérès, mais surtout des pontes du Likoud, comme le responsable de son comité central Tzachi Hanegbi, le ministre de la défense et ancien chef d’état-major Shaul Mofaz, la politicienne qui monte Tzipi Livni, ou encore Avi Dichter, ex-chef du Shin Bet (services de Sécurité intérieure).

Bien que le paysage politique israélien soit déjà très éclaté, ce nouveau navire prend la mer avec du vent dans les voiles. Pragmatique et prudent, M. Sharon se garde de définir avec précision un programme axé sur l’idée de "séparation" d’avec les Palestiniens. Cela lui permet de recueillir davantage de noms autour de sa stature, que l’abandon de la bande de Gaza, soutenu par l’opinion, a confortée au niveau national et international. La congestion cérébrale dont il fut victime le 4 janvier 2006, et dont il ne s’est jamais relevé, a été un premier croc-en-jambe du destin ; à peine créé, son concepteur était incapable de mener Kadima à sa première bataille : les législatives du 28 mars 2006.

C’est tout naturellement qu’un de ses proches, Ehoud Olmert, ex-ministre des finances, qui avait plaidé la rupture avec le Likoud, prend en main les centriste pour les conduire à la victoire électorale.

Malgré une campagne apathique et la victoire du Hamas, le Mouvement de la résistance islamique, aux élections législatives palestiniennes du 25 janvier, venue perturber le débat, Kadima l’emporte. Il obtient 29 députés dans la nouvelle Knesset. Soit bien moins que les 40 sièges dont les sondages l’avaient, un temps, crédité.

Manifestement, le projet avancé par M. Olmert d’évacuer de nouvelles colonies en Cisjordanie et le désir d’établir, d’ici à 2010, les "frontières définitives" de l’Etat juif n’ont pas séduit une grande majorité d’électeurs. La participation électorale (63,2 %) est la plus faible de l’histoire d’Israël. Mais pour la première fois, après diverses tentatives sans lendemain, un parti qui se veut centriste domine l’échiquier.

En raison de la courte victoire de Kadima, des alliances sont nécessaires pour constituer une coalition de plus de 60 députés (la Chambre en compte 120). Les 19 travaillistes ne suffisant pas, M. Olmert s’entend également avec le parti ultraorthodoxe séfarade Shass (12 parlementaires) et le Parti des retraités (7 élus).

Les tractations ont été des plus laborieuses pour former un gouvernement pléthorique de 27 membres où l’attribution des portefeuilles a plus compté que le programme. Le syndicaliste Amir Péretz, nouveau chef du Parti travailliste, se retrouve ainsi ministre de la défense. M. Olmert refuse alors les avances d’Avigdor Lieberman, du parti populiste de droite Israël Beitenou (Israël notre maison). Celui-ci n’aura qu’à attendre jusqu’au 23 octobre 2006 pour rejoindre une coalition majoritaire totalement disparate, parfait reflet de l’éclatement de plus en plus prononcé de l’échiquier politique israélien.

Jusqu’à l’été 2006, alors que le Likoud et l’extrême droite sont sortis considérablement affaiblis des urnes, Ehoud Olmert a le vent en poupe. Cet ancien maire de Jérusalem, malgré un profil gris d’apparatchik, semble promis à un avenir politique plutôt serein. Les sondages en témoignent.

Mais, en quinze jours, tout va basculer. Le 25 juin, le caporal Gilad Shalit est kidnappé, au sud de la bande de Gaza, par un groupe palestinien. L’armée décide de reprendre une intense activité militaire dans ce petit territoire, multipliant victimes et destructions. Et surtout, le 12 juillet, le Hezbollah capture deux soldats israéliens à la frontière libanaise. Le chef d’état-major, Dan Haloutz, propose immédiatement d’intervenir massivement au Liban. En une heure, M. Olmert et M. Péretz lui donnent carte blanche. Pour les résultats que l’on sait : cafouillages militaires et échec politique. Aucun des objectifs fixés n’est atteint ; ni la libération des soldats, ni "l’écrasement" du Hezbollah, ni "la restauration de la dissuasion" israélienne.

Avant même la fin des combats, l’opinion, qui avait massivement soutenu l’intervention, tourne le dos au pouvoir. Le retournement s’effectue d’autant plus vite que plusieurs membres du gouvernement sont impliqués dans des scandales qui achèvent de ruiner la crédibilité de l’exécutif. M. Olmert lui-même est soupçonné d’être mêlé à des affaires de corruption.

Le programme de Kadima, notamment le "redéploiement unilatéral" en Cisjordanie, n’est plus qu’un chiffon de papier. Le gouvernement navigue à vue et tente de parer les coups. Fin 2005, Kadima pouvait apparaître comme une tentative de rénovation politique. Seize mois plus tard, dans une ambiance délétère, le rapport de la commission Winograd, le 30 avril, qui met le doigt sur les erreurs nombreuses et les fautes graves dans la gestion politique et militaire de la guerre du Liban, scelle quasiment son destin.

Ehoud Olmert refuse toujours de démissionner et s’appuie sur une majorité solide. Mais son indice de popularité frôle le zéro. Kadima est au plus bas. Les travaillistes menacent de quitter un navire gouvernemental qui prend l’eau. Amir Péretz devrait perdre les primaires pour la direction du Parti travailliste, le 28 mai. Benyamin Nétanyahou est de nouveau le favori des sondages. Ehoud Barak, ex-premier ministre travailliste, est dans les starting-blocks pour diriger son parti.

Un cycle très court de la vie politique israélienne semble se terminer. Les anciens chevaux sont de retour. On a souvent dit que l’opinion publique israélienne était versatile. Peut-être ne sait-elle plus vraiment à qui se vouer ?

Les institutions israéliennes n’offrent pas de recours à l’actuelle instabilité politique. Démocratie parlementaire depuis sa création en 1948, Israël dispose d’un système monocaméral où les députés sont désignés à la proportionnelle intégrale, le pays constituant une seule circonscription.

Ce scrutin n’a pu que faciliter l’éclosion de petits partis ; un phénomène qui s’est accentué avec l’affaiblissement des formations historiques du pays (travaillistes et nationalistes). Le seuil requis pour obtenir un siège a été relevé, en 1991, de 1 % à 1,5 %, puis à nouveau en 2006 (à 2 %), afin de privilégier les formations représentatives, mais il n’a pas mis fin à l’émiettement de la Knesset.


Michel Bôle-Richard


Un scrutin à la proportionnelle intégrale qui favorise l’émiettement politique

C’est en partie pour remédier à la dispersion progressive de la représentation politique qu’avait été instituée, en 1992, l’élection directe du premier ministre, indépendamment du scrutin législatif.

La première élection est intervenue en 1996. Candidat du Likoud, Benyamin Nétanyahou l’avait emporté de justesse sur le premier ministre travailliste sortant, Shimon Pérès (50,5 %, contre 49,5 %). Trois ans plus tard, le travailliste Ehoud Barak battait plus nettement M. Nétanyahou (56,1 %, contre 43,9 %).

Cette légitimité particulière de chef de gouvernement élu au suffrage universel n’a cependant pas plus protégé du discrédit M. Nétanyahou que M. Barak. Le premier fut contraint à des élections anticipées après la défection de certains de ses alliés. Le second ne survécut pas à l’échec des négociations engagées à Camp David avec Yasser Arafat et au déclenchement de la deuxième Intifada.

M. Barak avait voulu forcer le destin en remettant en jeu son mandat en décembre 2000, tout en demandant la dissolution de la Knesset. Les députés avaient refusé de retourner devant les électeurs. M. Barak avait alors été largement battu, en février 2001, par Ariel Sharon (62,4 %, contre 37,6 %), pour la désignation "directe" du premier ministre. Prenant acte de l’inefficacité de cette disposition prévue pour lutter contre l’instabilité, les députés israéliens l’ont supprimée après 2001. Le scrutin de 2006 allait confirmer l’émiettement de l’éventail politique : la Knesset compte douze groupes parlementaires, le principal parti de gouvernement, Kadima, regroupant moins du quart des élus.

Gilles Paris, le 15 mai 2007

Michel Bôle-Richard, correspondant à Jérusalem - Le Monde, le 15 mai 2007

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