La dictature en Egypte est une aubaine pour Israël
dimanche 29 novembre 2015 - 07h:19
Hanine Hassan
L’Égypte reprend le rôle qu’elle tenait sous l’ère Moubarak : être un allié inconditionnel d’Israël et de l’Occident, tout en collaborant au siège de la Palestine. Cela ne peut pas durer.
- Le dictateur al-Sissi, lors des funérailles du procureur général d’Egypte tué dans un attentat à la bombe le 29 juin 2015 - Photo : AP
Le 29 octobre 2015, l’Égypte a été l’un des pays qui ont élu Israël au Comité des utilisations pacifiques de l’espace extra-atmosphérique de l’ONU (UNOOSA). Confrontée à de vives critiques au niveau national et arabe, l’Égypte a affirmé qu’il était impossible de voter individuellement pour un certain nombre de pays arabes afin de fixer la composition du comité, et qu’Israël avait donc dû être inclus dans le vote.
Cependant, onze pays arabes se sont abstenus afin de protester contre la nomination d’Israël, affirmant que les violations du droit international ainsi que la dépossession et l’occupation constantes des territoires palestiniens doivent empêcher son adhésion à l’un des organes de l’ONU.
Les calculs de l’Égypte semblaient toutefois différents dans sa nouvelle politique qui marginalise davantage son voisin palestinien ; elle a donc décidé de voter à l’ONU en faveur d’Israël pour la première fois depuis la création du pays en 1948. Cette assistance est due à ce que le ministère israélien de la Défense a, à juste titre, considéré comme un « miracle » pour l’État hébreu : l’arrivée d’Abdel Fattah al-Sissi au pouvoir en 2013 après le renversement du président Morsi.
Étranglement de Gaza
Depuis lors, la politique étrangère de l’Égypte envers Israël s’est encore distancée de la cause palestinienne en assistant Israël dans son désir d’isoler et de décomposer le corps national palestinien. Il est clair que l’étranglement de la bande de Gaza par al-Sissi au niveau des frontières orientales est en totale coordination avec l’Autorité palestinienne et Israël. Le Caire n’a pas non plus condamné explicitement la judaïsation de Jérusalem-Est, les assassinats ciblés de plus de 80 Palestiniens, la détention de plus de 1 500 Palestiniens ces cinq dernières semaines et la prolifération continue des colonies de peuplement en Cisjordanie.
S’écartant des exigences de la révolution de janvier 2011 concernant une solution juste pour un État palestinien et la révision des accords israélo-égyptiens de Camp David, le régime d’al-Sissi a intensifié les stratégies de l’ère Moubarak en soulignant que la sécurité d’Israël est une priorité de la politique étrangère égyptienne, qui favorise la désunion et la fragmentation entre les partis palestiniens.
Afin de maintenir ce discours, la péninsule du Sinaï a dû être convertie en théâtre d’opérations continues dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, un discours similaire à celui d’Israël.
Bien que les groupes d’insurgés basés dans la péninsule du Sinaï, produit de dizaines d’années d’exclusion du tissu socio-économique égyptien, aient accru leurs attaques contre l’armée égyptienne après son coup d’état en juillet 2013, il apparaît néanmoins que l’intérêt sécuritaire de l’Égypte est fortement concentré vers le resserrement du siège sur la bande de Gaza.
Le gouvernement du Hamas qui dirige la bande côtière de l’intérieur est perçu par l’Égypte comme un prolongement des Frères musulmans, un groupe classé comme terroriste en Égypte, et a été le bouc émissaire opportun pour consolider les relations israélo-égyptiennes au détriment de près de 2 millions de Palestiniens assiégés.
Lutte contre – ou incitation au – terrorisme
Al-Sissi, soutenu par les médias publics et privés dans son pays, a accusé les Palestiniens d’être en partie responsables de l’escalade de la violence dans le Sinaï, plutôt que ses propres politiques nationales, qui ont été plus répressives – pour ne pas dire criminelles – dans leurs tentatives de réaffirmer la poigne de fer de l’armée sur l’espace public. Par chance, il a trouvé en Israël un allié prêt dans sa lutte contre le « terrorisme islamique », principalement le long de la frontière égypto-palestinienne.
Selon un rapport de Human Rights Watch, de juillet 2013 à août 2015, au moins 3 255 maisons, bâtiments communautaires et bureaux de la péninsule du Sinaï le long de la frontière avec la bande de Gaza ont été détruits par les forces égyptiennes. L’armée a expulsé et déplacé de force des familles dans le cadre d’un plan visant à établir une « zone tampon » avec la bande de Gaza.
La zone tampon a été justifiée dans le cadre d’une politique visant à démolir les tunnels de contrebande qui permettraient le transfert de combattants et d’armes de Gaza vers le Sinaï, une assertion jamais prouvée. L’Égypte pompe actuellement de l’eau dans les tunnels et construit une tranchée de 20 mètres de profondeur remplie d’eau de mer afin de priver davantage les Palestiniens assiégés de marchandises et de denrées alimentaires.
Les services d’al-Sissi ont été exceptionnellement récompensés par Israël car ce dernier a autorisé la présence de tanks, d’hélicoptères de combat et de chasseurs F-16 égyptiens dans la péninsule du Sinaï, un privilège jamais accordé à Sadate et Moubarak, puisque la démilitarisation effective de la péninsule faisait partie du traité de paix signé entre les deux pays en 1979.
En outre, les responsables de l’entreprise israélienne Tamar ont signé un contrat d’1,1 milliard d’euros avec la société égyptienne Dolphinus en mars 2015 pour fournir du gaz à l’Égypte depuis le grand champ offshore d’Israël, un geste destiné à améliorer les liens géopolitiques et économiques. Il semble qu’Israël ait trouvé un nouveau partenaire dans sa lutte contre le « terrorisme », le projet nucléaire iranien et les Palestiniens, les trois principales menaces stratégiques auxquelles Israël prétend être confronté.
Politique régionale confuse
Néanmoins, le rôle de l’Égypte en tant qu’acteur clé dans la région a décliné avec la montée des autres pays arabes tels que l’Arabie saoudite, qui prennent les devants dans les crises régionales au Yémen et en Syrie. Depuis son coup d’état, al-Sissi a transformé la politique étrangère de l’Égypte en une politique réactive et confuse, semblant incapable d’adopter une position ferme au sujet d’une intervention militaire au Yémen et se montrant peu convaincant à l’égard du régime syrien, affirmant que lui aussi est confronté à des groupes terroristes et a le droit d’utiliser des pouvoirs étendus pour combattre les insurgés.
Suite à cette politique étrangère décousue dans une région qui fait face à l’effondrement et à la transformation des frontières traditionnelles et des équations de pouvoir, al-Sissi est incapable de stabiliser son fragile environnement national tout en opprimant les exigences de la révolution de janvier 2011, ni d’endiguer la transformation violente du Sinaï. Il a donc semblé plus confortable de revenir à des politiques de l’ère Moubarak, qui a travaillé à concentrer la politique étrangère égyptienne sur la sécurité d’Israël. En conséquence, il a tiré la carte traditionnelle « Israël » face à ses alliés américains et européens, soulignant que l’Égypte est essentielle aux intérêts occidentaux.
En témoignage de sa sincérité, al-Sissi a récemment appelé à élargir le processus de paix entre l’Égypte et Israël, lequel dure depuis 40 ans, pour inclure davantage de pays arabes à l’Assemblée générale de l’ONU. Il a souligné la nécessité de répondre à la menace croissante du terrorisme dans la région arabe et l’importance de l’armée égyptienne comme un « facteur de stabilisation ».
La dictature égyptienne s’incline devant Israël et les États-Unis, au péril des Égyptiens et des Palestiniens moyens. Et malgré le rapprochement de l’Égypte avec la Russie, Obama a maintenu l’aide annuelle d’1,2 milliard d’euros à l’armée égyptienne, qui ne parvient pas à assurer la stabilité au sein et à l’extérieur de ses frontières.
Malgré toutes ces garanties envers Israël, al-Sissi échouera probablement à garder son régime autoritaire dans une région arabe en pleine métamorphose. Cette approche de style « poigne de fer », qui a conduit à l’assassinat et l’emprisonnement de dizaines de milliers d’Égyptiens, n’est pas durable ; en l’absence de véritables réformes en Égypte, al-Sissi ne déstabilisera pas seulement son pays, mais la Palestine également.
* Hanine Hassan est chargée de cours au sein du département d’études sur le Moyen-Orient, l’Asie du Sud et l’Afrique (MESAAS) de l’Université de Columbia.
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5 novembre 2015 - Middle East Eye - Vous pouvez consulter cet article à :
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Traduction : MEE - VECTranslation