16 septembre 2017 - CONNECTEZ-VOUS sur notre nouveau site : CHRONIQUE DE PALESTINE

Azmi Bishara ou l’impossible point de vue « arabe israélien »

mercredi 16 mai 2007 - 06h:20

Entretien avec Ph. Mesnard

Imprimer Imprimer la page

Bookmark and Share


Cet entretien, réalisé par Philippe Mesnard le 4 octobre 1996 et publié dans le n° 21-22 de Mouvements (mai-août 2002), conserve toute son actualité. Azmi Bishara y proposait une analyse de cette « démocratie ethnique » qu’est Israël, où le conflit avec les Palestiniens ne peut se comprendre qu’à la lumière des contradictions internes de la société israélienne et de l’idéologie sioniste.

Mouvements : Israël peut-elle être un modèle démocratique pour la société palestinienne ?

Azmi Bishara : Israël est ce que nous appelons une démocratie ethnique, c’est une démocratie pour un groupe, pas pour tous ses citoyens. La citoyenneté n’est d’ailleurs pas le critère pour jouir pleinement de ses droits, le critère de première importance est la judéité, le fait d’être Juif.

JPEG - 11.9 ko
Azmi Bishara

En vertu de quoi, Israël n’est pas un modèle démocratique non seulement pour les Palestiniens, mais pour le monde entier. Historiquement, Israël est l’État des Juifs du monde entier ce qui signifie qu’un Juif à Paris ou à Brooklyn, au Yémen ou au Maroc, a plus de facilités avec cette « démocratie » que moi-même qui suis un arabe, de nationalité israélienne.

Israël est, certes, technologiquement moderne, mais en ce qui concerne sa réalité politique et culturelle, elle régresse et devient archaïque et anti-moderne. Ceci est dû au fait que ce n’est pas simplement entre État et religion qu’il n’y a pas de séparation, mais entre nation et religion. Nous avons certainement ici la plus importante contradiction de la modernité israélienne. Voici le premier aspect d’une mise en relation d’Israël et de la Palestine sur la base de la question démocratique. Le second est que les Palestiniens n’ont pas pu bénéficier de ce qui est, malgré tout, démocratique en Israël. Pour un non-Juif, subir l’expérience de la colonisation israélienne exclut les autres côtés qui, autrement, sont positifs. C’est pourquoi l’expérience de la démocratie israélienne ne peut être une source d’admiration pour les Palestiniens. Israël est une démocratie communautaire, la démocratie, à l’intérieur, est identifiée à et par la communauté, la communauté des Juifs. Aussi avons-nous affaire à une démocratie fermée, non pas ouverte et qui, si elle l’était, serait alors prête à accueillir d’autres communautés. En cela Israël est un cas très radical, très très radical.

Si l’on se pose, maintenant, la question de la démocratie en général, je ne vois pas ce qu’ici il y a à dire. Une telle chose n’existe pas, il n’y a que des démocraties concrètes et particulières à la fin du XXe siècle. Nous n’avons de démocratie en général qu’en tant que concept, un concept qui, de surcroît, est vraiment un phénomène lié à l’histoire. Il change de contenu suivant celle-ci. La démocratie se développe, bouge, évolue, et nous n’avons vraiment l’expérience que de ce que nous avons, aujourd’hui. Ceci dit, est-ce que la démocratie libérale est possible sans une énorme classe moyenne, sans que soit annulée la division radicale entre pauvre et riche ? Je ne pense pas que cela puisse fonctionner autrement. Contrairement aux pays européens, nous n’avons pas une assez importante classe moyenne, et c’est un frein très important à la démocratisation. Mais on peut aussi voir que le modèle démocratique ne fonctionne pas partout, qu’il n’est pas facilement exportable.

M : Ce modèle est non seulement issu de la culture occidentale, mais il est lié à un modèle économique...

A. B. : Bien sûr, mais nous devrions discuter ce qui différencie modèles occidentaux et modèles orientaux et qui fait qu’ils ne peuvent pas se rencontrer, et que cette différence est un antagonisme. Pour ma part, je ne pense pas que cette différence soit insurmontable. Les cultures doivent se rencontrer, elles doivent se débloquer pour se développer en échangeant. Nous ne sommes pas différent de l’Occident, nous sommes des êtres humains qui avons un développement historique et des conditions économiques différentes. Ensuite, la démocratie n’est pas en soi une propriété occidentale. Si la démocratie a été produite historiquement en Europe, cela n’empêche pas que nous pouvons prendre le modèle et essayer de nous débrouiller avec, aujourd’hui. Quand vous dites que la démocratie ne peut pas émerger en pays arabes, je suis d’accord avec vous. Elle ne le peut pas d’elle-même, mais nous pouvons l’imposer. Elle peut être implantée en pays arabes.

Maintenant, il y a deux possibilités. Pas trois. Il y a, dans le tiers monde, un processus d’individualisation, d’atomisation, qui naît de l’intérieur, l’individu se trouve lui-même et il constitue une entité indépendante face à l’État, exactement comme en Europe. Cependant, dans le monde entier, inclus l’Europe, et depuis la Seconde Guerre mondiale, les États sont des États policiers, tous. L’État d’aujourd’hui est plus policier que les États arabes au début du siècle. Et il est centralisateur. C’est la modernité. Le despotisme oriental, hier, n’était pas centralisé comme les États européens, aujourd’hui. Il était centralisé à la capitale, mais les gens pouvaient vivre au-dehors de l’État. Ce despotisme tolérait une liberté dans ses marges. Désormais, il y a un processus général d’individualisation, dans le monde entier. L’individu fait face à l’État.

Alors, soit nous démocratisons l’État et nous pouvons vivre avec lui en tant qu’individu, et nous avons des garanties qui s’appelle les Droits, les droits civiques, de toutes sortes, et ces droits, partant de peu, se développeront historiquement. Ce mouvement fait que les relations entre l’espace public et l’espace privé évolueront, elles aussi, graduellement. Soit nous n’y parvenons pas, et ce sera un retour vers un fonctionnement communautaire, vers la famille, les clans, la tribu, vers un espace privé qui serait alors beaucoup plus vaste qu’il n’est quand il coexiste, comme en ce moment, avec l’espace public. Dans ce second cas, l’espace public et l’espace privé s’excluent l’un l’autre. Totalement. C’est ce que nous trouvons dans le tiers monde. Il y a une réaction contre la modernité par un retour vers une structure organique. L’islam, la famille, tous ses fonctionnements dictatoriaux. Nous avons ces deux choix, ou une démocratisation, ou un retour, avec un fonctionnement pré-moderne pour nous protéger de la modernité.

Je pense que c’est une véritable question de choix. je pense, personnellement, en tant qu’intellectuel, que nous avons à faire le premier choix. Le choix de ne pas revenir en arrière. Mais c’est une très dure mission dans le tiers monde. Et ce ne sera pas importé, tout prêt, du « centre d’information américain ». Il y a un véritable combat avec notre réalité et avec notre calendrier pour discerner les facteurs qui nous conduiraient vers la démocratie, des facteurs qui sont des obstacles à celle-ci. Ici les Palestiniens sont confrontés à tous les obstacles qui existent dans le tiers monde, obstacles économiques, le manque d’une grande classe moyenne, la bipolarisation entre riches et pauvres, la préservation d’une structure organique.

Mais, le plus gros problème que nous avons en Palestine est que nous n’avons pas d’État. C’est un problème de souveraineté. La balance entre les individus et l’autorité est totalement déséquilibrée. Il n’est même pas clair que les problèmes intérieurs avec l’Autorité viennent de la société civile elle-même, ou de la situation conflictuelle imposée par Israël. Mais la plus importante mission est de libérer la nation de l’occupation étrangère et de ne pas retarder la question de la démocratie. L’on ne retarde rien dans l’histoire, on doit négocier avec les nécessités historiques, et cela jusqu’à ce que nous ayons un État. L’État et la démocratie doivent émerger ensemble. Là est notre combat.

M : Mais la question démocratique n’est pas vraiment le souci d’Arafat, ce n’est pas la direction que prend sa politique...

A. B. : Certes, mais ce qu’Arafat veut m’est égal, c’est ce qu’il fait qui m’importe. Or, ce qu’il fait n’est pas démocratique, son style n’est pas seulement antidémocratique, il est anti-institutionnel. Il ne peut pas travailler en institution, il travaille seul, selon cette façon très traditionnelle qu’il a pratiquement inventée. Avec, en plus, un lourd fonctionnement basé sur le clientélisme. C’est le chef, avec une élite qui l’entoure, une élite qui est très dépendante de sa personne. C’est la figure du père. Le patriarche. Et le patriarche est traditionnellement anti-institutionnel, parce qu’il est l’institution et qu’il n’en a pas besoin d’autres. Arafat et son entourage savent comment utiliser les élections et ils savent qu’elles sont nécessaires pour légitimer leur propre pouvoir. D’un point de vue pratique, il valait mieux qu’ils acceptent les élections.

Mais le Conseil, qui a aussi été élu, n’a pas pour autant été accepté par l’Autorité comme une institution à part entière, avec les prérogatives qui lui reviennent, pouvant statuer sur la situation et vérifier le budget. Le budget reste totalement placé sous le pouvoir d’Arafat. Il est évident que nous avons un réel problème avec cela, mais je reste persuadé que la démocratie est un besoin réel, non seulement pour réguler les relations de l’individu palestinien avec l’Autorité, mais pour toute la société, à quelque niveau que ce soit. D’une part, nous avons à choisir entre la règle de la loi et l’arbitraire de l’Autorité, il y a là une raison en faveur de la démocratie. D’autre part, nous avons besoin de la démocratie dans notre combat pour la souveraineté. La relation entre démocratie et souveraineté est liée à la réalité électorale. La souveraineté n’est pas le seul chemin qui mène à la démocratie, la démocratie est autant un chemin qui mène à la souveraineté.

Pour le cas de la Palestine, la démocratie est l’instrument le plus important dans la lutte contre l’occupation israélienne. Je dirais que même si nous n’avons pas la souveraineté de la terre, nous pouvons démontrer à Israël et au monde entier que la souveraineté de nos institutions prime, et ça, c’est la démocratie. C’est le plus important instrument dans le combat contre Israël. Voilà pourquoi je pense que la démocratie n’est pas seulement une nécessité pour le citoyen palestinien, donnant à sa voix une valeur pour le protéger du pouvoir excessif de l’Autorité, il s’agit d’une véritable démonstration démocratique face aux Israéliens.

M : Face aussi aux voisins arabes...

A. B. : Cela est évident et ne fait même pas question. Les Palestiniens ont toujours pensé - bien sûr, c’est un mythe - qu’ils étaient plus démocratiques que le restant du monde arabe. Ce qui n’est évidemment pas vrai. Ils ne le sont pas plus, et, dans certains cas, ils le sont moins. Mais le fait est que ce mythe est très important ; un tel mythe fait venir des forces et les polarise. En ce sens, c’est un mythe positif, très important. Vous croyez que vous êtes plus démocratique que les autres, vous ne l’êtes pas, mais vous pouvez le devenir parce que vous en êtes persuadé. Parce que vous essayez de vous conduire en accord avec le mythe, ce qui est le cas de nombre de Palestiniens, vous avez à le réaliser. Actuellement, les Palestiniens ne sont pas plus démocratiques que les autres pays, mais le fait qu’ils aient ce mythe d’eux-mêmes mobilise chez eux les forces suffisantes pour édifier une démocratie. Que mythe et politique ne soient pas moins importants l’un vis-à-vis de l’autre, cela peut être une leçon pour nous.

M : Il s’agit d’un rapport dynamique entre mythe et politique, mais Arafat pourrait en être victime - victime du mythe démocratique !

A. B. : Oui, ou bien il devra s’adapter pour survivre. Depuis deux ans, la population est très mécontente de lui. On l’attaque, on critique son style, ses manières de faire, on voit en lui l’incarnation d’un aspect de la politique palestinienne qui n’est plus du tout adapté à la réalité. Mais la semaine dernière, il a restauré cette suprématie en résistant aux Israéliens et en protégeant son peuple contre les tirs de Tsahal . Il a su redonner à sa présence et à son pouvoir une légitimité et, saisissant cette opportunité, il a ouvert la possibilité d’un nouveau type de relation entre l’Autorité et la société. Comment va-t-il utiliser cela ? Je ne sais pas. J’espère que ce sera en vue de construire et de consolider les institutions qui soutiennent le processus démocratique en Palestine. Il est clair que les événements de la semaine dernière peuvent être un atout politique important contre Israël et pour la démocratie. Il n’y a d’ailleurs pas d’autre alternative, Arafat devrait le savoir. Je pense qu’il prendra de la distance par rapport à ce qui est arrivé, mais peut-être les habitudes et les traditions gagneront-elles encore et nous retournerons vers la vielle réalité du système patriarcal et clientéliste. J’espère que non, je ne sais pas.

M : Venant de l’espace privé, il n’y a pas que le risque des traditions, de la famille, du fonctionnement clanique, il y a aussi le danger de l’islamisme. On ne peut les confondre.

A. B. : Certes, ce n’est pas du tout les mêmes. Le mouvement islamiste est ce que l’on peut appeler une réelle invention idéologique, ou plutôt une réinvention idéologique qui se fonde sur la reproduction d’une nation islamique perdue. Il y a une communauté des croyants, mais elle n’est pas réelle. La famille, le clan, la tribu, eux, ressortissent à une communauté réelle, pendant que la nation islamique est une communauté irréelle, elle n’existe pas.

C’est pourquoi la communauté des croyants essaie de restaurer une communauté idéale, ou une « idée » de communauté qui a dû exister durant un temps, du VIe siècle au VIIe siècles, lorsque vivait le prophète. Une sorte de restauration de « l’âge d’or ». Bien sûr, ils ne restaurent rien d’autre qu’une idée, et, derrière elle, c’est le mouvement qui se restaure lui-même et qui devient une secte de croyants. Une nouvelle communauté de croyants qui n’est jamais qu’une nouvelle famille, une nouvelle tribu. Nous avons une constellation d’individus, atomisés par leur condition de vie, qui cherchent une utopie rétroactive ou rétrospective qui les rassemble. C’est un phénomène éminemment moderne. Et, dans un sens très ironique et très contradictoire, le mouvement islamique est un mouvement moderne.

Les islamistes ont même une grande acuité de l’état de nos sociétés et de ce qui concerne la modernité. Nous avons des individus atomisés qui se regroupent en secte, pour restaurer ce qu’ils appellent la nation islamique - qui n’a jamais existé. Mais la nation dont ils parlent a le sens d’aujourd’hui, elle appartient à une catégorie politique, ce n’est pas une nation de l’ancien temps. Ils ont besoin d’une unité, donnée par la religion, pour restaurer la communauté des croyants. L’usage de la catégorie de nation, actuellement, est politique, mais elle est utilisée, en l’occurrence, pour désigner un phénomène passé qui n’était pas une catégorie politique. L’espace de la nation d’hier n’était pas politique, la nation était même hors de l’espace politique, qui, lui, était réservé à une très petite élite.

M : Peut-être, ici, en Palestine, y a-t-il un véritable combat entre trois mythes, le mythe de la démocratie appartenant aux Palestiniens, celui de l’« âge d’or » des islamistes, et celui de la terre promise des Juifs croyants que sont la plupart des colons. N’est-ce pas une situation typiquement postmoderne ?

A. B. : Il y a peut-être un combat entre ces trois mythes, mais le mythe n’est pas la réalité et ce que la postmodernité fait facilement oublier, c’est le fait que la métaphore ne constitue pas la réalité et que celle-ci n’est pas réductible à celle-là. Il existe une quantité de problèmes matérielles qui nécessitent des solutions concrètes, non des réponses mythologiques. Il y a effectivement trois mythes, mais nous avons d’autres facteurs en conflits et eux ne sont pas seulement des mythes. Quelles que soit les modes et les époques, des gens sont oppressés, d’autres sont leurs oppresseurs. Voilà une réalité qui n’est pas métaphorique. Oppresseurs et oppressés peuvent être, tous deux, motivés par des mythes, voire le même mythe, cela ne change pas le fait que les uns soient oppresseurs, les autres, oppressés. La voie vers la libération peut être tracée par le mythe - en n’est-il jamais autrement -, mais le besoin de se libérer est réel.

M : Que pensez-vous de l’hypothèse selon laquelle la société israélienne ne peut, à l’intérieur de son espace national, résoudre ses propres contradictions entre tradition, religion, sionisme, diaspora, etc., sauf à les projeter au-dehors, dans ce dehors-dedans que sont les territoires rongés par ce dedans-dehors que sont les colonies ? Ne s’affrontant pas directement à elle-même, elle le fait par la médiation de cet autre que sont les Palestiniens, qu’elle a expulsés en 1948, dont elle a envahi, en 1967, les territoires restants...

A. B. : Je suis d’accord. Aussi longtemps que les Juifs ne résoudront pas leurs contradictions intérieures entre modernité et tradition, entre être Juif et être Israélien, entre être sioniste et être Juif, ils ne pourront pas résoudre ce qu’il y a entre eux et les Palestiniens. Je soutiens même que nier des Palestiniens et continuer de leur faire subir un processus d’exclusion a un effet de refoulement sur les contradictions inhérentes à la société des Juifs israéliens. En retour, c’est la négation des Juifs. La culture la plus antisémite que je connaisse aujourd’hui est la culture israélienne qui s’évertue à se construire une identité avec des valeurs héroïques, patriotiques, machistes, militaristes. Ils rejettent tout ce qui n’est pas force et valeur de combat, il déteste la faiblesse. Ces principes existent dès le début du sionisme. C’est toute la diaspora juive et son histoire qui est niée.

Ils cultivent deux figures héroïques, le paysan-colon-pionnier, et le militaire. Regardez les kibboutzim, l’idée est que les hommes doivent cultiver la terre et combattre. Je pense que combattre les Palestiniens et cultiver une terre qu’ils ont colonisée sont deux facteurs qui, par un effet de retour en arrière, nient le Juif et excluent les valeurs que véhicule leur diaspora. Pour arriver à un compromis avec les Palestiniens, il faut que les Israéliens fassent un compromis avec leur propre histoire juive. Qu’ils acceptent de pouvoir être faibles en eux, de n’être pas exclusivement machos ou héros.

M : Peut-on dire que, mutatis mutandis, les colonies sont la version moderne, post-moderne même, des kibboutzim, puisqu’elles ont, comme ceux-ci, une vocation pionnière dans un milieu hostile, et qu’elle fonctionne en milieu fermé. Même si sur le plan de la religion et de la famille, c’est tout le contraire de ce qui se passait dans les kibboutzim ?

A. B. : Il y a effectivement une tentative d’imiter les kibboutzim, mais avec beaucoup moins de succès. Les kibboutzim étaient très laïques, alors que les colonies, à Gaza ou dans le West bank, sont extrêmement religieuses. Là aussi, se manifeste une régression vers des contradictions irrésolues. La religion revient quand vous atteignez l’extrémité du nationalisme juif.

M : Mais la religion n’est plus là qu’un prétexte politique...

A. B. : C’est une idéologie politique. Le fait est que, cinquante ans avant, les kibboutzim, qui étaient aussi une version extrême du nationalisme juif, étaient laïques. Ils n’avaient pas besoin de la religion juive, sinon, parfois, comme métaphore. Ils pouvaient puiser quelques images de la Bible, tandis qu’aujourd’hui, l’extrémisme politique a rejoint l’extrémisme religieux. Le chevauchement de l’État d’Israël et de la terre biblique d’Israël, après 1967, est, ici, de première importance. Avant 1967, l’État d’Israël n’était pas la terre biblique, il avait affaire avec des principes publics. Quand l’État d’Israël a recouvert la terre biblique, l’extrémisme nationaliste a recouvert l’extrémisme religieux. Et quand Israël opprime les Palestiniens, ce n’est peut-être même pas pour les opprimer. C’est parce qu’il applique son idéologie sioniste.

Les Palestiniens ne sont jamais que l’obstacle qui se trouve sur son chemin et auquel se heurtent la police et l’armée israéliennes. D’ailleurs, l’une comme l’autre sont extrêmement radicales, et, pour exercer leur force, elles ont, d’une certaine manière, besoin des Palestiniens pour cible. Israël ne pense pas la possibilité d’une démocratie palestinienne, ce n’est pas sa préoccupation, ce n’est pas dans son agenda. Le pouvoir israélien ne se préoccupe pas du fait qu’Israël est aussi la Palestine. En ce sens, il souhaite que les Palestiniens disparaissent, qu’ils n’existent pas. Mais ils existent. Aussi Israël a-t-il essayé de les contrôler directement par l’occupation. Ce modèle a échoué. Après quoi, ç’a été l’instauration d’un nouveau modèle, celui du Bantoustan, comme en Afrique du sud. Ce modèle a échoué quand Palestiniens et Israéliens se sont affrontés en se tirant dessus. Il est clair que ce modèle a raté. Maintenant, le pouvoir israélien cherche quelque chose de nouveau.

M : Quel serait le prochain modèle ?

A. B. : Je ne sais pas. Je pense qu’Israël a le choix entre deux modèles. Tous les autres rateront, finiront par rater. Il y a deux possibilités, pas trois. Soit, l’évacuation des territoires, laissant ainsi les Palestiniens construire leur propre État. Soit l’annexion des territoires occupés et Israël devient réellement un État binational. Plus jamais un État juif, mais binational. Tous les autres choix conduisent à l’apartheid. Soit deux États, l’un palestinien, l’autre, israélien. Soit, un État, mais où ni les Palestiniens ni les Israéliens ne seront dominateurs. Une confédération.

Octobre 1996 - Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.mouvements.asso.fr/spip....


Les articles publiés ne reflètent pas obligatoirement les opinions du groupe de publication, qui dénie toute responsabilité dans leurs contenus, lesquels n'engagent que leurs auteurs ou leurs traducteurs. Nous sommes attentifs à toute proposition d'ajouts ou de corrections.
Le contenu de ce site peut être librement diffusé aux seules conditions suivantes, impératives : mentionner clairement l'origine des articles, le nom du site www.info-palestine.net, ainsi que celui des traducteurs.