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L’Irak, le Vietnam et le Congrès

samedi 12 mai 2007 - 06h:50

Corine Lesnes - Le Monde

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"L’Irak est le mot arabe pour Vietnam", lit-on sur les T-shirt ou les banderoles dans les manifestations antiguerre aux Etats-Unis. "L’Irak est le Vietnam de George Bush", répète le sénateur démocrate Edward Kennedy. A trente ans d’intervalle, l’Irak et le Vietnam ne cessent de se faire écho. Alors que le président et le Congrès démocrate s’affrontent sur une stratégie de sortie, la fin du conflit au Vietnam peut-elle éclairer la manière dont pourrait s’achever l’engagement américain en Irak ?

Sur le terrain, les deux conflits n’ont rien de similaire. Certes, la justification de la guerre est comparable : assurer la sécurité des Etats-Unis en "démocratisant" un pays considéré comme le centre d’une menace idéologique plus large, hier le communisme, aujourd’hui, l’islamisme radical. Mais sur le plan militaire, l’engagement américain en Irak est beaucoup plus réduit. Les Etats-Unis eurent jusqu’à 580 000 soldats au Vietnam, contre 156 000 aujourd’hui en Irak. Ils bombardaient l’ennemi. Autre différence de taille : la conscription. Les GI n’étaient pas des engagés comme aujourd’hui, mais des jeunes faisant leur service militaire. Le nombre de victimes, enfin, ne souffre aucune comparaison. 58 000 morts au Vietnam, en dix ans. 3 330 en Irak en quatre ans.

Mais à Washington, l’histoire semble se répéter. Aujourd’hui, comme hier, le Congrès est le lieu où se défait le conflit, et à un rythme désormais accéléré, "parce que l’Irak se déroule dans l’ombre du Vietnam", comme l’explique l’historien Robert Dallek, dans le Washington Post. Les hommes sont les mêmes. Henry Kissinger, l’homme des accords de Paris en 1973, conseille aujourd’hui la Maison Blanche. A l’exception, notable, de M. Bush et de son vice-président Dick Cheney, restés à l’arrière, nombre de protagonistes sont hantés par leur expérience au Vietnam. De John McCain, prisonnier pendant cinq ans à Hanoï, à John Warner, qui était le secrétaire à la marine, ou encore John Murtha, ancien GI élu à la Chambre dans la vague post-Nixon de 1974, les parlementaires regardent l’Irak à la lumière de leur expérience d’il y a trente ans. Et tous ne tirent pas les mêmes leçons de l’Histoire. John McCain et Chuck Hagel sont tous deux sénateurs républicains. Le premier soutient l’envoi de renforts et pense que l’Amérique aurait gagné au Vietnam si le Congrès avait eu de la patience. Pour le second, qui a reçu deux fois la médaille des grands blessés, l’Irak est "l’erreur de politique étrangère la plus dangereuse depuis le Vietnam".

La guerre du Vietnam a été la plus longue de l’histoire américaine. Elle a commencé par un épisode que certains comparent à l’affaire des armes de destruction massive de Saddam Hussein : l’attaque d’un destroyer américain dans le golfe du Tonkin. Celle-ci a été utilisée par le président Lyndon Johnson pour présenter au Congrès une résolution, en août 1964, l’autorisant à envoyer des troupes de combat. Plus tard, on découvrit qu’une deuxième attaque, qui avait servi de prétexte à l’indignation de la Maison Blanche, n’avait jamais existé. Selon Robert Brigham, auteur du livre L’Irak est-il un nouveau Vietnam ?, le même scénario s’est reproduit après la résolution d’octobre 2002 autorisant M. Bush à recourir à la force contre l’Irak. Le congrès a voté pour, puis le soutien s’est érodé et nombre de parlementaires ont regretté leur vote.

A l’époque du Vietnam, l’opinion a été beaucoup plus lente à se retourner contre la guerre. Longtemps, elle a écouté les appels à la patience, les discours sur les "signes encourageants" venus du terrain. "Nous faisons de réels progrès", déclarait le général William Westmoreland en novembre 1967, dans une déposition où l’on entend les accents de M. Bush ou de Condoleezza Rice percevant des "signes encourageants" à Bagdad depuis l’envoi de renforts en janvier. M. Warner a regretté de ne pas avoir pris plus nettement position quand il était dans l’administration Nixon.

Il a suffi d’un épisode pour que le soutien à la guerre perde 20 points dans l’opinion : l’offensive du Têt. En une nuit de janvier 1968, 60 capitales provinciales ont été attaquées simultanément par la rébellion du Nord. Les Américains se sont aperçus qu’ils avaient été trompés sur la situation. Les Nord-Vietnamiens avaient subi beaucoup de pertes, mais leur victoire a été perçue comme entière. "Qu’est-ce qui se passe !, s’est exclamé Walter Cronkite dans son journal télévisé. Je croyais que nous étions en train de gagner !"

Prise de conscience

Dans le cas de l’Irak, le déclin du soutien à la guerre a été constant mais graduel. La victoire démocrate aux élections de novembre, suivie du rapport Baker-Hamilton évoquant une situation "grave", a accéléré la prise de conscience. Alors que les démocrates n’avaient pas fait campagne sur une proposition de retrait, mais seulement sur un "changement de stratégie", ils se sont trouvés devant une opinion qui, aux deux tiers, s’est mise à réclamer le retour des troupes avant 2008.

Le Congrès des Etats-Unis n’a jamais imposé la fin immédiate d’une guerre. Les parlementaires se bornent à empêcher le président de mener la guerre sans entraves. L’amendement Church-Cooper de 1970 interdisant les incursions au Cambodge a été la première tentative de restreindre les pouvoirs de l’exécutif en matière de politique étrangère. Mais il a fallu neuf ans entre la première audition critique de la commission des affaires étrangères du Sénat - retransmise à la télévision jusqu’à ce que la Maison Blanche fasse pression sur les chaînes - et le départ des derniers Américains en 1975.

Le Congrès actuel n’en est pas à ce stade. "La majorité des Américains s’oppose à cette guerre. Les démocrates ont la majorité au Congrès. Mais la majorité du Congrès n’est pas encore contre la guerre", a résumé David Sirota, qui s’active pour pousser le Parti démocrate à s’opposer à M. Bush. In fine, les démocrates n’ont pas repoussé l’autorisation de guerre de 2002. Ils n’ont même pas interdit les incursions en Iran.

La peur des conséquences du retrait est aujourd’hui comme hier, le principal facteur de paralysie. "Les forces du chaos" vont se répandre sur la région (Johnson, 1967). "Des tueries d’une échelle inimaginable" (M. Bush, janvier 2007). Les républicains prédisent en Irak une catastrophe plus significative qu’au Vietnam. "Al-Qaida continuera contre nous", avertit le représentant John Ensign. "Les terroristes nous suivront ici", affirme George Bush. Selon les historiens, Johnson craignait d’être le premier président américain à perdre une guerre. S’il perd sa guerre, George Bush pourra toujours se consoler de ne pas avoir été le premier.

Corine Lesnes - Le Monde, le 11 mai 2007

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