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Le rapport qui accable Ehoud Olmert

jeudi 10 mai 2007 - 00h:09

Charles Enderlin - Le Nouvel Observateur

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Une armée mal préparée, des objectifs mal choisis, des dirigeants mal inspirés, le rapport de la commission d’enquête sur la guerre du Liban est un acte d’accusation contre le Premier ministre israélien, son ministre de la Défense et l’ancien chef d’état-major. Charles Enderlin * analyse dans le détail ses conclusions.

L’été dernier, pendant trente quatre jours, l’armée israélienne a tiré sur le Liban 160 000 obus, 1 800 roquettes porteuses de centaines de milliers de sous-munitions, pendant que l’aviation effectuait quotidiennement 520 sorties - 17 550 en tout, dont 8 000 missions de bombardement (1). Trois divisions et des dizaines de chars n’ont pas permis à l’armée la plus puissante du Proche-Orient de remporter la victoire face aux 3 000 combattants du Hezbollah. C’est un échec stratégique, opérationnel et tactique que décortique la commission d’enquête présidée par le juge Eliahou Winograd. Les 263 pages de son premier rapport lèvent le voile sur la période qui a précédé la guerre et les cinq premiers jours du conflit. Au-delà de l’analyse des erreurs commises par la direction politique et militaire du pays, pour la première fois un document de ce genre critique la doctrine de combat de l’armée israélienne.

Un concept inadapté

Vers la moitié des années 1990, en raison des changements stratégiques intervenus dans la région, a commencé le développement progressif d’une « nouvelle conception de déploiement » . Il s’agissait de préparer Tsahal non seulement à une guerre totale mais aussi à un affrontement asymétrique, avec des éléments armés ne dépendant pas d’un Etat. Extraits : « Certaines élites politiques et militaires étaient parvenues à la conclusion [...] que la supériorité militaire d’Israël serait suffisante pour dissuader un ennemi de lui déclarer la guerre. Il n’était donc pas nécessaire de préparer le pays à la guerre ni même de rechercher activement la voie vers des accords stables et à long terme avec nos voisins [...] . L’accent a été mis sur le déploiement de l’armée dans le cadre d’un conflit de basse intensité [...] . L’objectif dans le cadre d’un tel affrontement asymétrique a été défini ainsi : “ Produire un changement de perception parmi les décideurs de l’adversaire ...” »

En d’autres termes, faire prendre conscience aux chefs ennemis qu’ils sont sur la voie de la défaite.
Le modus operandi a été défini en 2006 dans un fascicule classé « secret défense », approuvé par le chef d’état-major, le général Dan Haloutz. Pour la commission Winograd, c’est « un texte qui contient tout et son contraire. Même les officiers supérieurs avaient des difficultés à le comprendre. Nombre d’entre eux en ont certainement donné leur propre explication [...] . Nous estimons que cette nouvelle conception a créé des problèmes au sein de l’armée durant la période qui a précédé le conflit au Liban... L’idée qu’il est possible de remporter la victoire à l’aide de “ leviers indirects ” ou “ d’effets ” sans opérations classiques de conquête , occupations de territoire et destruction de la force ennemie est battue en brèche lorsqu’il s’agit d’affronter une milice comme le Hezbollah... » Explication : il s’agissait de faire « levier » en menaçant le gouvernement libanais afin qu’il fasse pression sur le Hezbollah.

La notion « d’effets » est psychologique. Par exemple, l’état-major voulait conquérir la localité de Bint Jbeil parce que le cheikh Nasrallah y avait prononcé un discours particulièrement remarqué en 2000, comparant Israël à une toile d’araignée [...]. Tout cela en utilisant la supériorité technologique et la puissance de feu de Tsahal ainsi que des munitions de haute précision sur des cibles désignées par des forces spéciales infiltrées dans les lignes ennemies. Mais, constate la commission Winograd, le Hezbollah avait adapté son dispositif pour contrer la tactique israélienne. Ses miliciens attendaient les commandos israéliens. Il a fallu faire appel aux unités classiques et là, un problème fondamental est apparu : les grandes unités de réservistes n’étaient pas équipées et n’avaient pas suivi d’entraînement depuis 2003. Les chefs de l’armée considéraient qu’une confrontation militaire au-delà des frontières était peu probable et qu’ils auraient le temps d’y préparer la réserve.

Des cibles mal choisies

Israël est donc parti en guerre sans plan opérationnel précis et sans disposer d’une parade aux roquettes de Katiouchas que le Hezbollah risquait de tirer sur le nord du pays. Pourtant, dès le 12 juillet, premier jour du conflit, et avant même les premiers bombardements aériens sur le Liban, le général de réserve Amos Gilaad, chef du département politique au ministère de la Défense, avait averti : « Il faut reconsidérer la liste des cibles des infrastructures que nous allons bombarder car le Hezbollah réagira d’abord en tirant sur la Galilée des roquettes dont il dispose en grand nombre et qui ont une portée de 20 kilomètres . Cela signifie que le nord d’Israël sera déserté par ses habitants pendant une longue période . » Puis, s’adressant à Amir Peretz, le ministre ajoutait : « Vous risquez de sortir perdant de cette affaire. »
Quelques heures plus tard, le patron du Mossad, Meir Dagan, lui aussi général de réserve, n’était pas moins critique : « Je ne réussis pas à comprendre les buts de ces bombardements . S’il s’agit uniquement de faire payer un prix au Hezbollah, je n’ai pas de problème . Mais si nous voulons réaliser d’autres objectifs stratégiques , cela signifie mener des opérations au Liban sur la durée [...].

Je propose de ne pas attaquer d’infrastructures libanaises car cela renforcera le soutien au Hezbollah de la population libanaise dans son ensemble. Je propose une offensive généralisée contre le Hezbollah et une opération terrestre au Liban. » Mais Dan Haloutz, le chef d’étatmajor, est persuadé que la puissance de feu de Tsahal sera suffisante pour emporter la décision. Il s’oppose à une opération terrestre d’envergure à ce stade. Elle n’aura lieu que quelques semaines plus tard, dans la précipitation.

Des responsables inexpérimentés

Ehoud Olmert, le chef du gouvernement, qui a effectué son service militaire dans les services de presse de Tsahal, et Amir Peretz, ancien syndicaliste devenu ministre de la Défense, tous deux novices de la chose militaire, ont donné le feu vert à l’armée. Pour la commission Winograd, ils auraient dû s’entourer de conseillers à même d’analyser et de critiquer les plans de Tsahal. Leur manque d’expérience en la matière ne saurait leur servir d’excuse : « Un dirigeant, qui lance son armée dans une opération militaire d’envergure , coûteuse pour le pays et où les combattants de Tsahal et les citoyens d’Israël et du Liban risquent leurs vies, a le devoir d’examiner tous les aspects de la nécessité d’une telle opération [...] et ses chances de réussite [...] . Ces principes n’ont pas été appliqués lorsque le gouvernement dirigé par le Premier ministre a approuvé la décision de partir en guerre [...] sans comprendre et sans connaître sa nature et ses implications. » En cela, Ehoud Olmert s’est rendu coupable d’un « échec sévère dans l’exercice du jugement, de la prise de responsabilité et de la prudence ».

Amir Peretz, ministre de la Défense, « en dépit de son manque d’expérience dans les domaines militaire, politique ou gouvernemental, a pris des décisions au cours de toute la période de guerre sans avoir systématiquement mené de consultations au préalable ». Il a échoué dans l’exercice de ses fonctions. Le général Dan Haloutz « a manqué à ses responsabilités en tant que commandant en chef de l’armée [...] et a manqué de professionnalisme, de responsabilité et de jugement. Les forces de défense d’Israël n’étaient pas prêtes pour cette guerre ». Il est le seul à avoir démissionné jusqu’à présent.


Note :
(1) Par comparaison, durant la guerre d’Octobre 1973, sur deux fronts, face aux armées égyptienne et syrienne, l’armée de l’air israélienne avait réalisé 605 sorties par jour !

(*) Charles Enderlin est journaliste, auteur des « Années Perdues. Intifada et guerres au Proche-Orient. 2001-2006 », Fayard.

Charles Enderlin - Le Nouvel Observateur, semaine du 10 juin 2007, n°2218

Du même auteur : La clé de la paix est à Washington


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