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La chimère de la solidarité arabe

samedi 5 mai 2007 - 06h:37

M. K. Bhadrakumar - Asia Times

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L’Initiative de Paix saoudienne pour la Palestine a connu une nouvelle relance, lors du dernier sommet de la Ligue Arabe, sous l’égide de l’Arabie Saoudite. M.K. Bhadrakumar, diplomate de carrière indien et spécialiste du Moyen-Orient, analyse les enjeux de ce sommet.

« Je ne trahirais pas un secret en disant que ce sommet était très décevant, tout particulièrement en ce qui concerne la tragédie irakienne. Si j’avais la possibilité que les rois et les présidents arabes qui se sont rencontrés hier à Riyad entendent ma voix, je leur dirais : pendant votre rencontre, vos frères arabes en Irak, en Palestine et ailleurs souffraient durement de l’injustice et de l’occupation. »

« Il est étrange que plus les USA font subir d’injustices à l’Irak, et plus les arabes se jettent dans leurs bras. Si les dirigeants arabes étaient un tant soit peu indépendants, ils se dissocieraient des Etats-Unis et cesseraient de rester dans leur orbite, de la même manière que les Etats-Unis se dissocient de nos intérêts et soutiennent notre ennemi ».

« O dirigeants arabes, qu’avez-vous à dire sur ces positions injustes et partisanes, qui conduisent aux meurtres dont nous sommes victimes, qui répandent notre sang, et qui bénissent ces effusions de sang ? Qu’avez-vous à dire au sujet des massacres qui sont perpétrés contre l’Irak et nos frères palestiniens ? Qu’avez-vous à dire sur ces déclarations des USA, qui sont de connivence avec Israel, jusqu’au crime et au complot ? »

Ces mots sont ceux d’un prêcheur anonyme, prononcés à Bagdad le 30 mars lors du sermon du vendredi. Ainsi exprimait-il ses sentiments de désarroi et de frustration après la conclusion du sommet de la Ligue Arabe qui venait de prendre fin la veille en Arabie Saoudite.

Toutes les tentatives des communicants - de la région et au-delà - pour présenter ce sommet comme celui de l’alliance de la puissance de l’Arabie Saoudite et d’un mandat des pays arabes devant permettre un nouveau démarrage de l’Initiative de Paix Arabe, n’ont jamais vraiment convaincu.

Pour l’opinion arabe, il n’y avait aucun doute que le vrai pari se situait dans la capacité du leader saoudien à amener les Etats-Unis et Israël à accepter l’Initiative Arabe. Mais même en supposant que le Président américain George W Bush soit enclin à faire pression sur Israël, en réalité le premier ministre israélien Ehoud Olmert n’est pas crédité d’une envergure personnelle ou politique le rendant capable de prendre des mesures significatives en faveur de la paix dans le conflit arabo-israélien.

Il est le premier ministre le plus faible qu’Israël ait jamais connu. Évidemment, sa priorité est sa propre survie politique dans un Israël aux m ?urs politiques troubles et corrompues. En attendant, il espère d’une façon ou d’une autre faire reposer la responsabilité du prétendu processus de paix sur les seuls palestiniens et s’en tenir à une position intransigeante vis-à-vis de l’autorité palestinienne et du gouvernement palestinien mené par le Hamas.

Comme l’écrit l’hebdomadaire Al-Ahram, « Israël veut une capitulation arabe... il a vu comment les Arabes avaient changé de positions par le passé et espère plus ou moins la même chose encore une fois. Avant 1967, les Arabes voyaient Israël comme un état impérialiste. Après 1967, ils ont accepté la solution de deux états. Puis les Arabes ont offert une entière normalisation pour adoucir l’accord. Maintenant Israël veut plus. »

En fait, le sommet de Riyad a débuté sous de mauvais auspices. Sa crédibilité a été mise à mal lorsque l’on a appris que dans les jours qui l’ont précédé, la Secrétaire d’Etat des USA Condoleeza Rice avait organisé une réunion au Caire avec les chefs du renseignement de quatre états arabes, l’Arabie Saoudite, l’Egypte, les Emirats Arabes Unis et la Jordanie - exactement les mêmes qui se sont vus confier le rôle de coordonnateurs vis-à-vis de la communauté internationale quant pour initier un dialogue israélo-arabe, sous l’étiquette de Quartet Arabe.

Il n’était pas besoin d’être grand clerc pour estimer que le sommet de Riyad n’était qu’un exercice raffiné de diplomatie publique, alors que les USA essayaient essentiellement de rassembler les régimes arabes sunnites proaméricains et Israël, en prévision d’une confrontation avec l’Iran.

L’observateur politique arabe Rami Khouri s’est demandé, « laquelle des deux réunions [le sommet de Riyad ou la réunion du Caire des chefs du renseignement] était la plus significative concernant la tonalité, la teneur et la direction des politiques des états arabes ? Etait-ce l’expression naturelle de trois facteurs distincts - politique étrangère des USA, systèmes de sécurité arabe, et leaderships arabes ? Ou les trois ont-ils convergé en une tendance unique, où la politique étrangère des USA est en harmonie avec la politique de sécurité arabe ?

La « réunion de Rice avec les chefs du renseignement représentait une nouveauté qui mérite un examen plus minutieux, à la fois pour sa signification actuelle et ses futures implications. Quelle que soit la nature de la réunion de Rice avec les chefs du renseignement arabes, elle semble représenter un développement suffisamment remarquable pour que les gouvernements arabes aient à l’expliquer à leurs concitoyens, » a écrit Khouri.

Bien évidemment, il existe toujours le soupçon tenace qu’un but essentiel du sommet de la ligue arabe ait été de bloquer ce que les régimes arabes pro-Occidentaux aux abois perçoivent comme un « empiétement » de l’ambition iranienne au Moyen-Orient, en particulier en s’accaparant la cause palestinienne.

Selon le journal saoudien Al-Hayat basé à Londres, « le sommet de Riyad a retiré les rênes de l’initiative [de paix] des mains du radicalisme. La présidence de ce sommet [l’Arabie Saoudite] est désormais responsable du succès de la modération et de la réalisation de sa victoire en défaisant explicitement le radicalisme et l’extrémisme qui s’étend du Soudan au Liban, en passant par la Palestine et l’Irak, du fait direct de l’intervention iranienne. »

Du point de vue Saoudien, le sommet de Riyad était la suite logique de l’accord de la Mecque, ou l’enjeu majeur était encore une fois de mettre fin aux capacités grandissantes de l’Iran de déterminer le tempo des évènements dans les territoires palestiniens. Selon le quotidien saoudien Al-Sharq al-Awsat, la Syrie aurait tenté en vain de donner un peu de poids à l’initiative adoptée lors du sommet de Riyad en plaidant pour que le droit au retour des réfugiés palestiniens soit pris en compte dans le cadre d’un accord avec Israel.

Les Saoudiens auraient apparemment refusé cette proposition. Une autre suggestion syrienne a connu le même sort. Elle proposait de restreindre le soutien exprimé par la Ligue Arabe au gouvernement de Fouad Siniora à Beyrouth, auquel s’oppose le Hezbollah.

La Déclaration du sommet de Riyad a exprimé le soutien des états arabes au tribunal de Hariri (que Damas fustigeait). Le Roi saoudien Abdallah a critiqué l’agitation du Hezbollah contre le gouvernement de Siniora. Les saoudiens ont indiqué clairement qu’il était temps que le Liban soit neutralisé en tant que front de résistance anti-israélien. En outre, des fuites émanant de sources diplomatiques saoudiennes disent que lors de leur face à face, le Roi Abdallah a rabroué le Président syrien Bachar Al Assad.

Ce qui émerge est que « la solidarité arabe » qui semble s’être formée sous la conduite de l’Arabie Saoudite est en réalité une chimère. Les membres de la ligue arabe n’ont pas effacé leurs différences. La légitimité du Quartet Arabe pour représenter l’opinion arabe sur le problème de la Palestine perdra, donc, de sa crédibilité avec le temps. Le Hamas et le Hezbollah ont approuvé le nouveau rôle saoudien. Ils le voient essentiellement comme une tentative à moindre frais de créer l’espoir dans l’opinion publique arabe que la paix avec Israël soit possible sous l’administration Bush.

Il sied à l’administration Bush de voir les Saoudiens donner un coup de pouce pour la neutralisation de la colère et du mécontentement dirigés contre les USA (et les régimes pro-américains) dans les circonstances actuelles ou une confrontation avec l’Iran peut devenir nécessaire et la nécessité de l’utilisation des états arabes du Golfe comme « plates-formes de lancement » peut se faire sentir. L’appât de l’établissement d’un état palestinien a été employé avec succès dans le passé pour tempérer l’opposition arabe aux agressions des USA dans la région lors de la guerre du Golfe en 1990 et de l’invasion de l’Irak en 2003.

Sans aucun doute, l’Iran prend le nouveau rôle saoudien très au sérieux. D’une part, l’Iran continue à explorer le potentiel du « dialogue » irano-saoudien pour modérer l’antipathie saoudienne concernant l’influence régionale de Téhéran. D’autre part, l’Iran prend en compte la dualité traditionnelle (entre occidentalisme et arabisme) et la prudence qui caractérise les politiques saoudiennes.

L’Iran est également conscient des contradictions qui existent dans les relations saoudo-US, particulièrement depuis le 11 septembre 2001. Mais il demeure vigilant sur le fait qu’intrinsèquement le régime saoudien est étroitement lié à Washington sur de multiples aspects qu’il est pratiquement impossible à Riyad d’abandonner même si elle le souhaitait.

Téhéran peut tirer une certaine satisfaction du fait que même s’ils soutiennent la ligne des USA concernant la sécurité et la stabilité régionales, les saoudiens ne cautionnent pas entièrement l’argument des USA voulant que le vrai ennemi des Arabes soit l’Iran - et non pas Israël. Pour preuve, au même moment ou des officiels clés de l’administration Bush - le vice-président Dick Cheney, Rice, le secrétaire de la défense Robert Gates - arrivaient à Riyad dans le but de former une coalition d’états arabes « modérés » anti-Iraniens, le Roi Abdallah a expédié le prince Bandar à Téhéran en vue d’inviter le Président Mahmoud Ahmadinejad à Riyad.

L’Iran est assez avisé pour savoir qu’il n’est pas du tout de son intérêt d’ébranler encore plus les régimes pro-Américains déjà menacés. Sa rhétorique se concentre donc sur les visées hégémoniques des USA dans la région. Sur ce point, le leadership religieux en Iran a resserré les rangs et a parlé d’une seule voix lors des dernières semaines.

(Dans une remarque révélatrice émise le 12 mars, alors qu’il s’adressait à Akbar Hachemi Rafsandjani nouvellement élu a la tête du « Conseil du Discernement », le Chef suprême Ali Khamenei complimenta le leadership d’Ahmadinejad, déclarant, « à ce stade, le pays est en excellent état et fait des avancées extraordinaires dans les sphères scientifiques, sociales et culturelles. » Khamenei a de façon tranchante invité le Conseil à devenir le « symbole de l’unité du système dirigeant iranien ».)

Les dirigeants religieux a Téhéran ont conclu qu’en fin de compte, l’Iran a tout à perdre dans toute aggravation de la polarisation sunnito-chiite, puisque les problèmes confessionnels ont terni le legs de la révolution islamique en Iran, risquant de reléguer l’influence de l’Iran à une frange comprenant de 10-15% du monde islamique. Rafsandjani a dit le 16 mars, « les problèmes dans les pays de la région, particulièrement en Irak, sont dus aux calculs américains visant à créer des divisions, et aujourd’hui nous pouvons voir les Etats-Unis derrière tous les problèmes de la région. »

Une semaine plus tard, dans un discours important à Mashhad, Khamenei a indiqué : « Effrayer les voisins méridionaux de l’Iran est un autre objectif de la guerre psychologique américaine. De tels efforts ont cours depuis le commencement de la révolution. Certains de nos voisins dans le golfe Persique l’ont clairement réalisé, alors que beaucoup d’autres tombent dans le piège... Depuis la révolution, l’Iran a constamment tendu la main à ses voisins. L’Iran croit que les pays du golfe Persique devraient assurer eux-mêmes la sécurité de cette importante région a travers la coopération. »

Vendredi et dimanche dernier, Khamenei est revenu sur le thème de l’importance pour les nations islamiques et les gouvernements de se rapprocher les uns des autres et de compter sur la « force et les capacités de leurs propres citoyens » plutôt que sur « les politiciens américains ».

Samedi, dans une déclaration inhabituellement explicite, Rafsandjani s’est exclamé que le Hezbollah au Liban avait « apporté l’honneur aux Arabes » en défaisant Israël. L’homme d’État d’expérience a poursuivi, « quelques Etats de la région considèrent que l’ascension de l’Iran va a l’encontre de leurs propres intérêts. Ceci au moment où les progrès et le développement de l’Iran devraient être liés au monde de l’Islam. »

Les régimes pro-américains dans la région peuvent devenir plus nerveux du fait que le comportement iranien vis-à-vis de la Grande-Bretagne n’a fait qu’aider a rehausser sa position dans la rue arabe. L’air fanfaron du président iranien quand il a annoncé la libération des 15 marins britanniques a certainement frappé l’imagination de la rue arabe.

Son défi envers l’Occident soulage le sentiment collectif de honte et d’humiliation de la psyché arabe. Le Financial Times a écrit depuis le Caire, que « le fait qu’Ahmadinejad soit le leader Persan, d’une nation essentiellement chiite a semblé ne pas importer... les Arabes ordinaires voient Ahmadinejad comme un souffle d’air frais.

« Ces sentiments sont composés par la perception que les états sunnites modérés, tels que les alliés des USA, l’Egypte, la Jordanie et l’Arabie Saoudite, suivent simplement le diktat de Washington. Le leader iranien apporte un équilibre qui résonne dans le monde arabe : parlant franchement et franc dans sa critique de l’Occident et d’Israël, tout en apparaissant comme un homme humble du peuple. »

M. K. Bhadrakumar - Asia Times, le 11 avril 2007 : The chimera of Arab solidarity
Traduit de l’anglais par Karim Loubnani, Contre Info


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