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A Gaza, rivalités entre Hamas et Fatah font naître un "nouveau courant extrémiste"

jeudi 3 mai 2007 - 09h:43

Benjamin Barthe - Le Monde

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Le carrelage de la cantine est encore entaché d’une longue traînée de fuel. Des morceaux de tables et de chaises ont été poussés contre une porte aux vitres fracassées. Sur les murs maculés de suie, les flammes n’ont épargné qu’une horloge. Ses aiguilles sont figées sur la position 3 h 30, l’heure à laquelle deux explosions ont dévasté, samedi 21 avril, une partie des locaux de l’Ecole américaine de Gaza.

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AFP/MAHMUD HAMS
Une manifestation dans les rues de Gaza, le 29 avril 2007.

"Quelqu’un peut-il m’expliquer pourquoi des Palestiniens ont jugé bon de brûler une école ?", se lamente Ribhi Salem, le principal de cet établissement privé haut de gamme, situé à Beit Lahiya, dans la frange nord de l’étroite bande de terre palestinienne.

A Gaza, la plupart des habitants ont renoncé à comprendre. Depuis le début de l’année, la cadence des enlèvements, des attaques à main armée et des attentats à la bombe est telle qu’elle donne le tournis. Sitôt rendue publique, la nouvelle de l’attaque de l’Ecole américaine a été remplacée par l’annonce d’une tentative d’assassinat contre le vice-président de la Fédération des industries palestiniennes et la découverte du corps de deux policiers, exécutés d’une balle dans la tête.

"La guerre entre le Fatah et le Hamas (Mouvement de la résistance islamique) a fait naître, au sein de notre société, un nouveau courant extrémiste, dit le colonel Adel Helles, patron du service d’enquêtes criminelles de Gaza. Ce qui était autrefois tabou, à savoir le meurtre de sang-froid d’un Palestinien par un autre Palestinien, est désormais monnaie courante."

Selon le centre Mezan pour les droits de l’homme, durant le premier trimestre 2007, 147 Palestiniens ont été tués dans des affrontements internes, soit trois fois plus qu’en 2004 et deux fois plus qu’en 2005. Aux violences partisanes en déclin depuis la formation du gouvernement d’union à la mi-mars, se sont substitués les règlements de comptes entre clans et une série d’attaques à la mode djihadiste, dirigées contre des lieux liés de près ou de loin à la culture occidentale.

"Quelqu’un a dû faire croire à ceux qui nous ont attaqués que nous étions financés par l’ambassade américaine, dit Ribhi Salem. Mais, ici, tout est palestinien : la terre, l’argent, le personnel. Ces ignorants, qui ont revendiqué leur action au nom de l’"Armée de l’islam" et "Al-Qaida en Palestine", se sont permis de voler des dizaines d’ordinateurs, ce qui est parfaitement interdit dans l’islam. Dans cette affaire, la religion n’est qu’un prétexte pour entretenir le chaos et déstabiliser le gouvernement."

Les cafés Internet et les boutiques de musique sont les principales victimes de cette vague d’exactions maquillée en croisade ultrafondamentaliste. Depuis six mois, près d’une centaine de ces lieux ont fait l’objet d’attaques à la bombe, revendiquées par un groupe jusque-là inconnu, les Epées de la justice islamique, au nom de la lutte contre la "débauche".

Le petit local Internet d’Ala’a Shawa, à Zeïtoun, un quartier de l’est de Gaza, a été parmi les premiers touchés. "C’était en novembre 2006, raconte ce jeune trentenaire en distribuant des photos des ordinateurs éventrés. Le même jour, au même moment, vingt-cinq cafés accusés de diffuser des films pornos ont sauté dans l’ensemble de la bande de Gaza. Les gens qui ont fait cela n’ont rien à voir avec la religion. Ce sont des mercenaires, décidés à perpétuer le chaos sur lequel ils ont bâti leur puissance."

Ces dernières semaines, les intimidations ont visé également des salons de coiffure, sommés de ne plus couper des barbes, ainsi que des pharmacies, à qui les justiciers masqués reprochaient de vendre des pilules d’ecstasy. "C’est une grande mafia, dit Iyad Bakri, un pharmacien du centre-ville dont le magasin a été endommagé par une récente explosion. Si tu ne payes pas, ils t’attaquent."

Interrogé sur l’identité de ces agresseurs et sur les rumeurs insistantes qui désignent les Dughmush, un clan surarmé déjà mis en cause dans l’enlèvement du correspondant de la BBC, Alan Johnston, il préfère éluder la question. "On sait, mais on se tait, car ces gens n’ont pas de pitié. Pour un mot de trop, ils peuvent te loger une rafale dans les genoux", explique le pharmacien.

La police adopte le même code de conduite. Le gouvernement a beau avoir voté il y a deux semaines un ambitieux plan destiné à ramener la sécurité dans les rues de Gaza, les forces de l’ordre ne sont toujours pas passées à l’action. "J’ai des informations et des noms, dit le colonel Helles, mais, le problème, c’est que la plupart des personnes recherchées sont membres soit du Fatah, soit du Hamas, et qu’ils disposent d’une puissance de feu supérieure à la mienne. Tant que les deux partis au pouvoir ne se mettent pas d’accord pour faire le ménage, il m’est impossible d’agir."

Cette paralysie montre combien l’accord de La Mecque du 8 février, qui a abouti à la formation de la coalition au pouvoir, n’a réglé aucun problème de fond. Obsédés par leurs rivalités, les responsables des deux camps laissent la bande de Gaza dériver.

Benjamin Barthe, envoyé spécial à Gaza - Le Monde, le 2 mai 2007

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