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Une citoyenneté pour les Juifs uniquement ?

jeudi 3 mai 2007 - 06h:32

Shuli Dichter - Yediot Aharonot

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Note de la rédaction.

Adalah et les pères du sionisme : même combat ?

Ou comment il est possible de puiser n’importe où pour justifier ou condamner une politique. C’est en se réclamant des « pères du sionisme » et avec la « Déclaration d’Indépendance » d’Israël que Shuli Dichter appuie la revendication formulée par les citoyens arabes d’Israël : un Etat qui soit l’Etat de tous ses citoyens.

La citoyenneté en Israël, qui est conçue comme un habit étincelant et exclusif, devrait se fonder sur des valeurs démocratiques et égalitaires, comme le proposaient les pères du sionisme, le judaïsme diasporique et aussi l’organisation Adalah.

Le citoyen Azmi Bishara n’est pas Alfred Dreyfus. Il n’a pas servi comme officier dans l’armée israélienne et ne se considère pas comme appartenant à l’identité israélienne dominante, et d’ailleurs son ?affaire’ n’est pas encore née. Mais c’est un citoyen de l’Etat, la chair de la chair de cet Etat, tout comme le public qui l’a choisi pour le représenter au Parlement. Dès lors, la réaction du public juif ainsi que le vent médiatique puissant qui souffle avec passion contre l’ensemble de la population arabe, rappellent cette Affaire historique. Mais l’affaire Azmi Bishara n’est pas seule, en ce moment, à venir mettre à l’épreuve les rapports entre Juifs et Arabes : il y a aussi les documents que les citoyens arabes d’Israël ont déposés sur la table du débat public. Contrairement à l’affaire Bishara, qui ne suscite qu’une trouble décoction de haine à l’encontre de la minorité [arabe], ces documents ont amené une discussion houleuse mais légitime.

Il y a, dans les documents, des propositions pragmatiques avec des objectifs réalisables, des points difficiles à digérer et d’autres encore du genre à rester coincés dans la gorge du lecteur sioniste, à l’instar de la définition du sionisme comme fruit d’une opération coloniale d’une superpuissance. Mais il y a un thème qui sert de fondement conceptuel aux documents et qui est la citoyenneté au sein de l’Etat. Les rédacteurs, et plus encore ceux qui ont débattu à leur suite, ont veillé scrupuleusement à baser leur demande d’une égalité fondamentale sur leur citoyenneté dans l’Etat. En tant que minorité autochtone, ils ne se satisfont pas d’une citoyenneté passive, mais l’étendent en exigeant de prendre part à la construction de l’Etat sur base d’une pleine et égale citoyenneté, comme aussi d’une représentation adéquate au sein de toutes ses institutions. Cela vous a un accent familier ? Oui. C’est la formulation employée dans la Déclaration d’Indépendance : elle n’apparaît pas mot pour mot dans les documents avancés par la minorité arabe, mais elle résonne à chaque ligne.

C’est ainsi, par exemple, que la « Constitution Démocratique » de l’organisation « Adalah » base le caractère de la citoyenneté, au sein de l’Etat d’Israël, sur des valeurs universelles de liberté et d’égalité. Dans ces passages-là, la proposition d’Adalah communique au lecteur sioniste une sensation de chaleur et de nostalgie des pères et des instigateurs du sionisme, de Herzl aux rédacteurs de la Déclaration d’Indépendance qui l’ont fondée sur des valeurs universelles de liberté et de justice. Il n’y a aucun ambassadeur d’Israël aux Nations Unies qui ne s’appuie, dans ses discours, sur une justice historique et des valeurs universelles de protection des minorités, qui servent de fondement à la création de l’Etat d’Israël et à l’octroi de la citoyenneté israélienne aux Juifs persécutés, comme une protection contre les horreurs du vingtième siècle.

Parmi les Juifs de l’Exil, on comprend la nécessité pour Israël d’une citoyenneté égale, y compris pour ses habitants arabes, et aux Etats-Unis, ces deux dernières années, des leaders juifs éminents se sont même organisés pour faire avancer cette question. De leur point de vue, une citoyenneté égale est une valeur juive et démocratique de premier ordre, et c’est sur elle que les Juifs fondent leurs droits justes partout dans le monde. Pourtant, cette même valeur nous est précisément étrangère et la notion de citoyenneté censée protéger l’autre, est tenue pour une importation exilique superflue. Ici, sur la terre des aïeux, s’est développée une alternative à la citoyenneté, à savoir : l’appartenance même au peuple juif. Dans l’Etat d’Israël, la citoyenneté n’est pas une tenue de protection mais un habit splendide, étincelant et exclusif, pour les Juifs seulement.

Theodor Herzl a été fortement influencé par la réaction antisémite de la population française à l’affaire Dreyfus, en particulier dans la presse, engagée dans la délégitimation de la minorité juive en France. Mais en dépit de la proposition de Herzl que les Juifs de France s’en aillent pour rejoindre le foyer national en terre d’Israël, il y a plus de Juifs dans le reste du monde qu’il n’y en a en Israël et ils jouissent partout de la protection offerte par la citoyenneté. Il n’est pas étonnant que l’insistance des Arabes d’Israël porte sur leur citoyenneté, dans la mesure où ils éprouvent explicitement un besoin de protection, mais précisément face à leur Etat. Une citoyenneté égale, assurant la protection de la minorité, serait-elle un code moral et politique réservé à la protection des Juifs de l’Exil là où ils sont et à d’autres minorités, mais qui ne conviendrait pas à la préservation des droits de la minorité dans l’Etat des Juifs, justement ?

Peut-être le citoyen Azmi ne reviendra-t-il pas prochainement, mais le million deux cents mille Arabes qui vivent en Israël doivent revêtir l’habit de la citoyenneté et celle-ci n’est pas moins nécessaire aux Juifs. Conformément à la proposition des pères du sionisme, de l’organisation Adalah et des Juifs de l’Exil, la citoyenneté en Israël doit se fonder sur des valeurs démocratiques égalitaires. Ces valeurs et ces normes serviront d’étalon suivant lequel seront jugées les déclarations racistes de dirigeants et de faiseurs d’opinion, et évaluées les actions politiques ethniquement discriminatoires. En Israël, la notion de citoyenneté est perçue comme une importation, mais il vaut la peine de l’acquérir à la fois comme principe moral et comme instrument dans la gestion de l’Etat.


Shuli Dichter est co-directeur de l’association « Sikkuy » pour la promotion d’une égalité citoyenne.

Shuli Dichter - Ynet (Yediot Aharonot), le 12 avril 2007
Version anglaise : Citizenship for Jews only ?
Traduit de l’hébreu par Michel Ghys


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