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Les travailleurs égyptiens seront-ils à nouveau les perdants ?

vendredi 2 août 2013 - 13h:25

Mustafa Bassiouni - Al-Akhbar

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Dès que Hosni Moubarak a été renversé en février 2011, des demandes ont été formulées pour plus de travail et de productivité. Une attaque féroce a commencé contre les protestations des travailleurs, que les médias ont qualifiées de « grèves factionnelles », affirmant qu’elles étaient incitées par les anciens du régime Moubarak (fuloul) pour arrêter le « cycle de production » et saper l’économie.

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14 février 2011 - Grève générale des transports au Caire et manifestation des grévistes devant le Ministère des Transports - Photo : 3arabawy

Après la révolution, dont les slogans étaient « le pain, la liberté et la justice sociale », le tout premier projet de loi a été arrêté par le Conseil suprême des forces armées (CSFA). Il rendait les grèves et les manifestations illégales et envoyait les grévistes devant des procès militaires, ce qui devait bientôt le sort de certains travailleurs ayant organisé un sit-in devant l’Assemblée du Peuple.

A l’époque, aucune des forces démocratiques ne s’est opposée à la loi, malgré le rôle joué par les travailleurs en grève dans les années qui ont précédé la révolution et qui ont préparé le terrain pour le changement. Les travailleurs ont persisté dans leurs actions au cours de la révolution même, en accélérant l’éviction de Moubarak et en ouvrant la voie à l’opposition pour que celle-ci gagne en puissance et devienne un partenaire qui compte.

La position de Mohamed Morsi était encore pire. Un an après l’accès à la présidence, il a réussi à attaquer les grévistes avec des chiens policiers, à utiliser l’armée pour briser les grèves, et à tenté de renverser tous les gains du mouvement ouvrier. Sa politique économique, d’autre part, n’a pas conduit à des améliorations dans les conditions faites aux travailleurs, dont la situation s’est rapidement détériorée au cours de la même année.

Après le soulèvement du 30 juin qui a renversé Morsi, les appels à mettre fin aux grèves sont réapparus. Dès que Morsi a été emprisonné, la Fédération égyptienne des syndicats indépendants (EFITU), formée lors de la révolution de la place Tahrir, le 30 Janvier 2011, a publié une déclaration affirmant que les héros des grèves deviendront les héros du travail et de la production.

Cela a été considéré par la base de l’EFITU comme un coup dur contre le droit de grève , lequel s’était imposé de fait durant les grèves. Cela a conduit la Fédération à une clarification pour affirmer qu’elle adhérait toujours à ce droit.

Cette mise au point a été suivie d’un appel direct de la Fédération, qui suit toujours les autorités, de suspendre toutes les grèves pendant un an pour permettre les réformes. Des appels similaires ont été lancés par des organisations de moindre importance.

Les appels lancés sont une insinuation que les grèves des travailleurs - ou des « factions » - lancées en ce moment serviraient les intérêts des Frères musulmans, qui feront de leur mieux dans les rangs de la classe ouvrière pour perturber la production et gêner les nouvelles autorités. Tout à fait la rhétorique de 2011.

De façon tout à fait remarquable, les forces démocratiques continuent d’ignorer la répression du mouvement ouvrier, bien que le droit de grève soit un des piliers de la démocratie. Leurs positions sur les grèves ouvrières ont toujours été incompatibles [avec l’exercice de ce droit].

Par exemple, lors du premier anniversaire de l’éviction de Moubarak le 11 février 2011, un appel a été lancé pour une grève générale, repris par la majorité des forces politiques. Cet appel demandait d’aller de l’avant vers les objectifs de la révolution, mais il a été ignoré par le mouvement des travailleurs, malgré le fait que le taux de grèves aient augmenté de façon significative à l’époque.

Plusieurs appels ont été lancés pour une grève générale des travailleurs en appui à la révolte du 30 Juin. Les forces d’opposition ont alors encouragé le mouvement des travailleurs à participer pleinement à ces événements.

Toutefois, cela reflète une approche utilitariste par les forces politiques dans la façon de traiter avec le mouvement des travailleurs. Alors que les politiciens se précipitent parfois vers le mouvement des travailleurs, exhortant à la mobilisation de masse contre le régime, en d’autres occasions, ils ne se soucient absolument pas de la répression qui frappe ces mêmes travailleurs.

Ainsi, le manque de confiance qui prévaut entre les travailleurs et les forces politiques ne devrait pas être une surprise, pas plus que de voir les travailleurs ignorer les appels à la grève lancés par les forces politiques depuis l’extérieur du mouvement, lorsque cela leur est utile.

La position des autorités et des forces politiques à l’égard du mouvement des travailleurs n’est pas seulement à géométrie variable. Elle est également une indication de leur manque de compréhension de l’importance et de l’impact du mouvement.

En 2012, on a compté plus de grèves (3817), actions des travailleurs et protestations sociales que dans les dix dernières années du règne de Moubarak. Au cours des cinq premiers mois de 2013, le nombre de grèves (5544) a dépassé celui de l’ensemble de l’année précédente.

Probablement la tâche la plus difficile de Morsi lors de son année de mandat était un mouvement social obstiné et étendu à tout le pays. La grève déclenchée par les travailleurs au Conseil des ministres, qui a eu pour effet d’interdire au Premier ministre de Morsi de pénétrer dans le bâtiment du gouvernement, le 30 juin, est un indicateur important du rôle que peut jouer la classe ouvrière.

Le manque de compréhension de ce rôle de la classe ouvrière, est ce qui rend les appels à faire grève ou à ne pas faire grève sans aucune valeur réelle, même s’ils sont lancés par des organisations de travailleurs.

La caractéristique la plus marquante des protestations des travailleurs en Égypte, c’est que la grande majorité d’entre elles ne sont pas organisées par les syndicats. Elles sont organisées par les travailleurs sur leur lieu de travail sans aucun syndicat ou parti politique.

Le syndicat des travailleurs officiel, qui a appelé à la suspension des grèves, les jugeant « factionnelles », n’a que dans de rares cas dirigé ou organisé une grève, depuis sa création par un décret politique en 1957. Toutefois, ses tentatives pour empêcher les travailleurs de faire grève n’ont jamais eu de réel impact.

De même, les appels à la grève issus de l’extérieur de la classe ouvrière n’ont jamais été convaincants pour les travailleurs, car ces appels soit négligent leurs demandes ou semblent trop lointains. Aussi, les appels à cesser les grèves n’auront aucune valeur réelle ni impact sur le mouvement ouvrier. Mais ces appels pourraient refléter l’évolution du mouvement des travailleurs,qui semble être similaire à ce qui a suivi le 11 février 2011, lorsque ce mouvement était vilipendé.

D’autre part, un indicateur ne devrait pas être ignoré. L’un des dirigeants les plus éminents de la grève avant la révolution, Kamal Abu Aita, est maintenant ministre du Travail. Il a mené la grève des collecteurs d’impôts à la fin de 2007 et a créé le premier syndicat indépendant, en plus de fonder l’EFITU. Abu Aita a toujours été à la pointe des manifestations, appelant à l’augmentation du salaire minimum et à réduire l’écart entre les hauts et bas salaires.

Un homme qui avait porté en première ligne le mouvement ouvrier pendant des années est maintenant dans une position de prise de décision. Certains pourraient considérer cela comme une tentative de contenir le mouvement et de le contrôler, et non pas comme une volonté de concrétiser les revendications des travailleurs.

Mais le mouvement ouvrier peut-il se laisser berner et contrôler ? Il a survécu aux méthodes de répression les plus brutales, que ce soit sous Moubarak, qui a utilisé des véhicules blindés et des balles réelles pour briser les grèves, ou sous le SCAF, qui a envoyé les grévistes devant des tribunaux militaires, ou sous Morsi, qui a lâché sur eux ses chiens policiers.

Pourtant, le mouvement ouvrier ne cesse de croître. Les stratégies de confinement et de contrôle ont échoué les unes après les autres, que ce soit par des initiatives répressives précipitées qui sont le plus souvent inefficaces, ou par des promesses toujours non tenues.

Le mouvement des travailleurs a montré qu’il est beaucoup plus fort et résilient que ce qui a pu être imaginé. Même s’il n’est pas évident de savoir ce que fera le pouvoir issu du 30 juin concernant les revendications des travailleurs, la direction que prendra la classe ouvrière semble certaine. Elle rejettera la répression et la manipulation, déterminée à ce que ses revendications soient satisfaites.

Du même auteur :

- Le mouvement ouvrier égyptien se bat pour la justice sociale - 4 mai 2013

30 juillet 2013 - Al-Akhbar - Vous pouvez consulter cet article à :
http://english.al-akhbar.com/conten...
Traduction : Info-Palestine.eu - Naguib


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